Turnover : une bataille perdue d’avance ?
Dans le conseil en stratégie, quelque 30 % des consultants quittent chaque année leur employeur.
C’est une règle que peu de structures veulent vraiment modifier. Les consultants en acceptent aussi le principe : soit on grimpe dans la structure avec un salaire important et des conditions de travail difficiles, soit on part. Pourtant, ce système se modifie à la marge. Les jeunes générations veulent autre chose. Certains cabinets s’adaptent.
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En matière de fidélisation des talents, il y a les discours. Les cabinets de conseil en stratégie, la main sur le cœur, annoncent alors leur volonté de s’adapter aux millennials. Ils leur concoctent une série de mesures pour abreuver leur soif de sens, de bienveillance ou d’appétence pour l’étranger.
Et puis, il y a la réalité. « Notre turnover oscille entre 20 et 30 %, commente ainsi Olivier Marchal, président du bureau parisien de Bain & Company. Ces départs, dont le taux évolue peu, font partie du métier. Chez Bain, nous retenons nos talents grâce à un développement de carrière rapide et à un niveau de rémunérations attractives, mais surtout en leur offrant des opportunités d’avoir un impact pour leurs clients et pour la société ou la planète de façon plus large. »
Money, money, money
Certes, Bain et ses homologues sont tenus de s'adapter à de nouveaux talents moins fidèles sur la durée. Mais la rémunération et les promotions ne répondent pas suffisamment au besoin de sens recherché par cette génération.
Romain, qui préfère garder l’anonymat, 31 ans, dont cinq ans de 2012 à 2017 dans un des trois MBB, McKinsey - Boston Consulting Group - Bain & Company, n’en disconvient pas : « J’ai quitté mon cabinet pour monter ma start-up. J’avais fait le tour du conseil. Pour moi, les consultants restent dans ce métier pour trois raisons principales.
- Il y a d'abord l’argent. On peut ainsi percevoir 60 000 euros brut par an en début de carrière pour atteindre les 150 000 euros cinq ans plus tard.
- Deux autres raisons sont possibles : s’épanouir dans un métier passionnant et formateur ou, enfin, l’ambiance.
La quête de sens, c’est la raison qui m’a fait partir. Il ne faut pas intégrer un cabinet pour ce motif. Le jeune sera déçu. »
L'argument pro bono
Pourtant, les cabinets de stratégie développent tous un discours marketing et de nombreuses mesures pour fidéliser leurs consultants sur ce thème.
« C’est ce que recherchent nos jeunes recrues, estime Anne Baudrier, manager RH d’A.T. Kearney. Certes, le 'package salaire attractif-carrière rapide' demeure nécessaire, mais ce n’est plus suffisant. Les millennials portent une attention particulière à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Notre promesse intègre donc une politique de staffing proposant aux équipes des opportunités sur des objets sociaux et environnementaux. »
Bain développe aussi une politique visant à équilibrer la vie privée et la vie professionnelle de ses consultants en leur permettant de télétravailler, de s’épanouir dans des ONG ou une start-up, histoire de recharger leurs batteries…
Le secteur oscille donc entre des politiques traditionnelles de rétention des talents – salaire très attractif et développement de carrière rapide – et des techniques plus sophistiquées. Objectif numéro un : lutter contre une usure rapide dans le métier, soit par appel d’autres horizons, soit par réelle fatigue.
« Après trois ans d’expérience dans le conseil, l’argent ou la rapidité de progression dans sa carrière ne suffisent plus à fidéliser les équipes », poursuit Romain.
Turnover : des leviers existent
Selon lui, trois mesures permettraient d’abaisser un turnover élevé – bien au-dessus de la moyenne française à 15,1 % selon le Center for Economics and Business Research : sonder régulièrement les collaborateurs pour connaître leurs besoins, renforcer la cohésion dans les équipes et proposer des parcours très rythmés avec des changements réguliers pour faire des « breaks à l’étranger ou chez le client ».
C’est sur ces techniques que surfent les cabinets ne pouvant ou ne voulant pas suivre les surenchères salariales. « Notre volonté est de peaufiner notre management de proximité, commente Stéphanie Nadjarian, associée en charge du management des équipes pour Kea & Partners. Pour cela, nous avons limité à douze consultants le périmètre du manager d’équipe. Cela lui permet, au sein d’entités à taille humaine, de faire mensuellement le point avec chacun pour discuter de ses missions, de ses activités extraprofessionnelles, de ses besoins, de son parcours. »
Kea permet aussi à 70 % des consultants d’être associés à son capital, quand normalement seuls les partners y ont droit. « Nous remettons régulièrement en vente des actions pour les plus jeunes, ajoute Stéphanie Nadjarian. Notre travail RH consiste à recruter nos futurs associés. »
Cette politique plurielle semble fonctionner. Selon le cabinet, son turnover est aujourd’hui de 13 % après avoir été de 18 % en 2015. Même discours chez EY-Parthenon, qui revendique un turnover de 16 % en 2018. « Nous misons sur l’intérêt de nos missions dont 55 % concernent le corporate strategy pour conserver nos forces vives, précise Bruno Bousquié, managing director pour la zone Europe de l’Ouest. On ne retient pas les talents avec des salaires. Et nous n’avons pas non plus la notoriété des marques les plus historiques. Pour que les consultants restent, je développe la bienveillance, l’entrepreneuriat et la possibilité de travailler à l’international. »
Réduction des plafonds hiérarchiques, resserrement des équipes, intérêt des missions, entrée au capital, démultiplication des engagements sociaux et environnementaux… des leviers de réduction du turnover existent. Pas de fatalisme qui vaille dans le conseil en stratégie.
L'effort de transparence qui manque encore
Encore faut-il être transparent vis-à-vis des consultants sur l’existence de ces leviers et leur mode d’emploi. « 86 % des salariés estiment qu’il y a inadéquation entre le discours et la pratique… » assène Vincent Binetruy, directeur France du Top Employers Institute, un auditeur des pratiques RH des organisations.
Un effort de transparence auquel rechigneraient encore nombre de sociétés de conseil en stratégie. En France, tout du moins, selon Patrick Dumoulin, président de Great place to work France. « Les cabinets de conseil en stratégie français sont toujours réticents à intégrer nos rankings. Il n’y en a pas, par exemple, dans notre classement français. »
Gwenolé Guiomard pour Consultor.fr
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