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David Naïm, le consultant qui tape dans le tas

Que les consultants n’aient pas bonne presse relève de l’euphémisme. Dans son nouvel ouvrage aux allures de satire, David Naïm ausculte et dévoile, avec beaucoup d’humour, leurs excès – et sa vérité.

Lydie Lacroix
23 Jul. 2025 à 05:00
David Naïm, le consultant qui tape dans le tas
© Ivika/Adobe Stock

Auteur d’une tribune très remarquée publiée dans Le Monde le week-end dernier, David Naïm semble avoir plusieurs vies, comme les chats.

Dans l’une d’elles, l’écrivain est consultant en stratégie et même associé. Cofondateur en 2001 d’un cabinet qui a marqué les esprits, Greenwich Consulting – revendu à EY en 2013 –, il a poursuivi son chemin au sein du géant de l’audit et du conseil, d’abord chez EY-Parthenon, la branche strat du cabinet, puis chez EY « tout court ». Il y pilote actuellement les secteurs Consumer & Health pour la région Europe West.

Dans une autre, l’associé est auteur, avec à son actif le prix Hors Concours 2024 décerné par les éditeurs indépendants pour son ouvrage L’Ombre pâle, aux éditions de l’Antilope. Les vies « qui s’entrelacent de génération en génération et d’individu à individu» sont l’un des fils rouges de ses livres.

Dans Le Consultant, paru aux éditions Goutte d’Or en mai dernier, ce sont surtout les slides, visios, ambitions qui défilent en accéléré alors que le personnage principal se jette « dans le tambour du capitalisme» chaque semaine. David Naïm y interroge un « système » qu’il ne souhaite pas voir disparaître, mais qu’il invite, ardemment, à se reconfigurer.

Des cabinets de conseil atteints, comme leurs clients, « d’obésité morbide»

Ce métier de consultant, David Naïm l’aime « pour ses challenges intellectuels». Et c’est parce que le conseil lui tient à cœur qu’il a choisi de l’évoquer par le prisme de la satire.

« Le système capitaliste est devenu globalement assez idiot, et cynique. Les entreprises, qui font de leur croissance l’alpha et l’oméga, sont presque toutes atteintes d’obésité morbide. Plus personne ne comprend ce qui s’y passe, leurs dirigeants encore moins. Quant aux cabinets de conseil, ils sont atteints de la même maladie.»

Cette inflation de taille modifie significativement, selon David Naïm, « les relations» entre cabinets et entreprises. Alors que les consultants sont censés être « des observateurs, des analystes, des commentateurs, pour conseiller les dirigeants», leurs productions seraient parfois « davantage dictées par une vision du monde que par des analyses factuelles ». En témoignent la plupart des présentations de cabinets qui commencent par : « Nos convictions». Or, une conviction, « ce n’est pas une analyse». David Naïm y voit le partage d’une « doxa» visant à ce que le monde « ne change surtout pas, alors que c’est déjà fait».

D’où un décalage, selon l’associé, entre le monde du travail tel que les cabinets de conseil le pensent, et la réalité. « Cela m’amuse de m’en moquer – au bon sens du terme – car on mobilise beaucoup d’intelligence/s pour produire des choses… qui le sont assez peu.»

Les déclics à l’origine de cette satire

Comme de nombreux citoyens et consultants, sans doute, David Naïm a été « atterré» par le scandale des opioïdes aux États-Unis, qui implique McKinsey. « On parle de près de 700 000 morts au total. Ce n’est pas un “petit” sujet, une “légère” défaillance éthique. Le cabinet a reconnu sa responsabilité, il a payé plus d’un milliard de dollars» pour éviter des sanctions pénales. Cela a conduit David Naïm à se demander « quelle réflexion un associé d’un cabinet ayant fait ça peut porter sur son métier».

Les récentes activités du BCG ou de certains de ses associés à Gaza suscitent chez lui la même incompréhension, comme il en a témoigné dans Le Monde.

L’associé a par ailleurs travaillé sur la COP28 notamment, qui a eu lieu à Dubaï fin 2023. « Des centaines de participants s’y rendent en business class, des gouvernants s’accordent sur des engagements de nature politique avant tout – pour cette édition, il était question de limiter la hausse des températures à + 1,5 °C or, 2 ans après, on sait déjà que c’est impossible. Tout cela est inutile et dispendieux, d’un point de vue financier comme écologique !» Une grand-messe durant laquelle on pouvait lire partout : « Ne jetez pas vos badges, nous les recyclons.»

Autant de moments ayant inspiré, dans Le Consultant, le passage du séminaire à Dubaï, qui pourrait sembler improbable alors qu’il colle à la réalité. Un professeur de Stanford y proclame que « le nerf de la guerre, the name of the game, l’avantage compétitif, la silver bullet, c’est : le management par l’empathie» – phrase qui provoque des remous dans la salle tant elle contredit la culture du cabinet dans lequel le personnage principal évolue.

Au-delà, David Naïm reconnaît que, dans le conseil, « on travaille parfois sur des sujets d’organisation très importants et, d’autres fois, sur le calcul du nombre de bonbons à mettre dans un paquet pour optimiser les coûts».

Trop de rationalité tue la rationalité

Dans cet univers, un phénomène a déjà été abondamment décrit : l’enchaînement incessant de missions, de déplacements et de livrables à produire dans des délais ultra serrés. Les consultants sont alors proches du hamster dans sa roue : toujours en mouvement, sans véritable possibilité de s’arrêter pour prendre du recul et réfléchir. Un comble, vu leur métier.

« Les modèles de carrière, reportings et évaluations de performance ont été élaborés de façon extrêmement rationnelle. Mais à force d’empiler des couches les unes sur les autres, la rationalité s’érode, et toutes les autres valeurs aussi.» David Naïm s’inscrit ici dans l’esprit des travaux du sociologue allemand Max Weber, notamment.

« Dans les cabinets de conseil, la performance des consultants est analysée de façon strictement individuelle. Tout cela est très bien processé. Or, la première étude ayant démontré que, plus on analyse la performance de cette façon, moins on parvient à résoudre des problèmes complexes, date de 1973. Pourquoi continuer à mettre en œuvre des systèmes dont on sait qu’ils ne sont pas les plus efficaces pour faire notre métier ?», interroge David Naïm.

La réponse tient sans doute dans la « facilité de gestion» de ces systèmes, qui créent « des réflexes de compétition très individuels». Ces mécaniques sont, en outre, « totalement cohérentes avec le parcours des jeunes que l’on recrute, issus de classes prépa et de grandes écoles ». En ce sens, David Naïm estime d’ailleurs que ce n’est pas « au modèle du conseil qu’ils adhèrent, mais à ce qu’ils connaissent déjà».

Curieux paradoxe en effet que ces dirigeants du conseil, experts de la complexité, privilégiant les systèmes les plus basiques. Le partner, qui a tenté de mettre en place autre chose du temps de Greenwich Consulting, confie toutefois avoir pris à l’époque « un énorme râteau, non pas de ses associés, mais des consultants eux-mêmes». Ces derniers avaient relié les mécaniques collectives qu’il voulait initier «à Pol Pot». Leur première réflexion : « Comment fera-t-on pour virer celui qui n’est pas bon ?»

Un environnement fait de distorsions de la réalité

Dans l’ouvrage, le personnage principal évalue sa rémunération en « kiloprofs». Le salaire annuel d’un consultant junior équivaut actuellement « à 2 ans de salaire d’un enseignant en fin de carrière».

En tenant ce genre de propos, David Naïm sait qu’il va être traité de « démago». Il assume : « Cela doit nous interroger». Et lâche ses coups : « Au global, le monde du conseil est incapable d’envisager des modèles différents sans les traiter avec arrogance».

Autre exemple : dans des organisations boursouflées, «à chaque échelon on bâtit des modèles, et les gens regardent les sujets avec le tableau Excel qui correspond à leur périmètre d’activités.» Certains patrons de régions en arrivent à dire : « Les pays, ça pose des problèmes». Dans Le Consultant, le mentor du personnage principal perdra son poste du jour au lendemain, la big boss ayant décidé de simplifier et, donc, « de supprimer les pays».

Agir ainsi, selon l’associé, « c’est oublier que les gens habitent, et achètent des produits, quelque part. Tout n’est pas théorique ni dématérialisé».

Associé dans un grand cabinet… jusqu’à quand ?

Si David Naïm revendique une liberté de ton avant tout comme auteur, il estime que ces questionnements sont d’autant plus importants quand on évolue dans le conseil. « L’Economist Intelligence Unit identifie 25 “vraies” démocraties dans le monde, 70 en prenant des critères plus larges. Et les grands cabinets, comme les grandes entreprises, cherchent à travailler partout» tout en se targuant, souvent, de vouloir « faire le bien». Selon l’associé, « cela mérite réflexion».

Tout comme la taille des cabinets de conseil – on y revient –, qui changerait « la nature même des prestations qui y sont faites», si l’on pense au conseil en stratégie. « Pour un cabinet qui réalise 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et vise une croissance de 10 % par an, 500 millions de nouveaux business doivent être développés. Parce qu’on ne fait pas 500 millions en vendant 100 fois 500 000 euros». D’où le développement de nouvelles offres par les cabinets, sur la tech et l’IA/la GenAI notamment.

Le secteur du conseil serait par ailleurs, selon David Naïm, au tout début de profondes transformations – en raison de la GenAI précisément, « dans la façon dont les cabinets délivrent leurs conseils et celle dont les clients les achètent», ou au niveau de l’attraction des talents et du développement des carrières. « Les actions de jeunes Polytechniciens lors de leur remise de diplômes montrent qu’il y a une prise de conscience de la nécessité de changer de modèle.»

Quant à savoir si les cabinets de conseil sont utiles ou non, « bien qu’on ne puisse pas le démontrer par des modèles économiques, la confiance que les dirigeants leur accordent, et la perception que ceux-ci peuvent avoir d’une amélioration de l’état de leur entreprise après une mission de conseil» constituent une réponse.

David Naïm n’envisage pas d’arrêter le conseil. Notamment pour « la relation humaine qui se noue avec les clients». Une fois l’étape, assez fréquente, de « bashing» passée, la mobilisation de personnes qui ne se connaissent pas, « au sein du cabinet pour des équipes internationales, et chez le client», opère de façon quasi « magique». Or, il s’agit de « méthode, d’expérience, de gestion des relations et des problématiques». Sans parler du plaisir « de travailler avec des gens brillants : les cabinets de conseil sont des EGM – entreprises génétiquement modifiées».

 

>> Suite à la parution de cet article, David Naim souhaite préciser qu’il s’exprime à titre tout à fait personnel et que ses propos n’engagent que lui.

Lydie Lacroix
23 Jul. 2025 à 05:00
tuyau

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commentaires (2)

Prise de recul
23 Jul 2025 à 21:48
Pour wirecard
Tu es vraiment en train de mettre sur le meme plan :
un audit financier defaillant fait part une autre business unit de son employeur (il me semble qu il est associe conseil)
Et un plan de deplacement de populations
Et une strategie commerciale visant a rendre toxico des patients utilisant des medicaments opioides ?

Bravo pout ta prise de recul et ton esprit critique

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Wirecard
23 Jul 2025 à 12:34
Il doit savoir comment ça se passe dans les cabinets qui ont des scandales : quid de Wirecard ?!

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Manuel de survie

Adeline
Manuel de survie
conseil en stratégie, cabinet de conseil, David Naïm, satire, roman, critique, capitalisme, rationalité, EY-Parthenon, Greenwich Consulting
14727
2025-07-25 13:39:44
2
Non
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