Pour vivre heureux, vivons cachés : les couples de consultants
Les couples de consultants sont-ils viables ? Entre rythme de travail, conflits d’intérêts potentiels et guidelines RH, les obstacles théoriques ne manquent pas. Pourtant, exemple à l’appui, le conseil en stratégie peut s’avérer au contraire particulièrement propice à la vie à deux.

Logiquement, ils devraient être nombreux. De façon générale, l’homogamie professionnelle (la tendance à épouser des gens de la même classe d’emploi) est notoirement plus élevée dans les emplois supérieurs. Un médecin homme a par exemple 30 % de chances d’épouser une femme médecin. Or, les consultants en stratégie fréquentent les mêmes écoles, dont le conseil en stratégie est l’un des principaux débouchés, avec un nombre limité d’employeurs potentiels. Les politiques de recrutement favorisent la féminisation des effectifs, rendant plus probable aujourd’hui l’embauche de personnes en couple hétérosexuel.
En pratique, quel que soit le nombre de ces couples de consultants, on ne les voit pas beaucoup. Les cabinets sont discrets sur le sujet. Les intéressés aussi. « Je ne dirais pas que c’est fréquent, témoigne un ancien partner qui a connu cette situation pendant plus de 15 ans au sein d’un MBB en Europe, mais cela arrive. Dans des équipes où les gens travaillent ensemble de façon continue, il n’est pas surprenant que des couples se forment. » Ce n’est pas le cas de notre témoin et de son épouse, qui se sont connus avant.
Une exception juridique française : l’amour au bureau est une affaire privée
Mais le couple au bureau, est-ce seulement permis ? Les « affaires » Nestlé et Astronomer, dont les dirigeants ont dû démissionner après la découverte d’une relation non déclarée avec des collaboratrices, nous rappellent que la question n’est pas purement théorique. Le droit français, cependant, diffère significativement de celui de nos voisins anglo-saxons et suisses : les salariés qui entretiennent des relations ne sont pas tenus de se signaler, et un règlement intérieur qui interdirait les relations sentimentales entre collaborateurs ne serait pas légal. Il y a des exceptions : de façon générale, lorsque le fait d’être en couple affecte la relation de travail, l’employeur peut être fondé à agir. Un DRH qui entretenait une relation amoureuse avec une représentante du personnel en période de troubles sociaux a ainsi vu son licenciement avalisé par la Cour de cassation.
Qu’en est-il dans le monde du conseil en stratégie ? « Il existait sans doute des règles RH écrites, mais je n’en ai pas eu connaissance », commente notre témoin. Les interdits s’imposaient de façon tacite : « Il s’agit d’éviter que l’un des deux membres du couple se retrouve dans une situation de dépendance par rapport à l’autre, ou que l’un soit responsable de l’évaluation de l’autre. On ne doit pas se retrouver à siéger dans le comité d’évaluation de son conjoint. Lorsque cela se produit, le conjoint se lève et quitte la salle. »
Au moins deux des MBB abordent de fait publiquement le sujet dans leurs « codes de conduite ». Le BCG traite directement la thématique sous l’angle RH, au chapitre « Pour un espace de travail sûr, sain et professionnel » de son Code of Conduct global : « Tous les membres du BCG sont tenus de faire la distinction entre leurs relations personnelles et professionnelles. » Le code reconnaît par ailleurs qu’« une relation sentimentale ou sexuelle peut affecter le rôle d’un individu en tant que collaborateur, supérieur ou manager » dans ses liens avec son entourage professionnel, en particulier quand « deux individus occupent des positions différentes dans la hiérarchie ». En conséquence, les personnes concernées sont tenues de signaler l’existence de cette relation à un supérieur ou aux RH, « qui traiteront l’information avec la discrétion qui convient, mais aideront aussi à gérer tout risque lié à l’emploi ».
Le code de déontologie de McKinsey (version française du Code of Conduct américain) aborde quant à lui le sujet sous un angle encore plus strictement juridique. Les relations de couples y sont mêlées aux relations personnelles, familiales « ou autres ». On estime qu’elles « peuvent avoir des conséquences indésirables pour nos clients, nos collègues et notre entreprise », ou encore, « en réalité ou en apparence, créer un conflit d’intérêts ou donner une impression de partialité, menacer notre indépendance ou entraver la prise de décision fondée sur le mérite ». D’où nécessité de les signaler : « Certains types de relations doivent être déclarés afin que l’entreprise puisse évaluer les risques potentiels et mettre en place des mesures de protection si nécessaire. » Les formules sont prudentes et générales, mais en tout état de cause, il est peu probable que ces obligations de déclarer une relation amoureuse soient compatibles avec le droit français.
Un mode d’organisation qui réduit les risques de conflit
La question des conflits d’intérêts est réelle, mais elle se pose surtout dans le cas de couples consultant/client, comme dans l’affaire Kohl/BCG au printemps dernier. Les scandales en lien avec des liaisons entre consultants d’un même cabinet ne semblent pas légion, si tant est qu’il y en ait. Les employeurs eux-mêmes ne semblent pas en faire un sujet : « Je suis arrivé dans le cabinet un an et demi après mon épouse. Le cabinet était au courant du fait que nous étions mariés, je ne l’ai ni caché, ni évoqué, il n’en a pas été question lors de l’entretien. » Une pratique conforme au droit du travail français : l’employeur n’aurait pas eu le droit d’aborder le sujet à ce stade.
D’un certain point de vue, la structure sans vraie hiérarchie managériale de la plupart des cabinets de conseil en stratégie facilite plutôt les parcours de couples. Il suffit d’être vigilant au moment de la constitution des équipes de projets, et dans celle des groupes d’évaluation ; la règle est si simple et si intuitive qu’elle nécessite à peine une codification formelle. Certes, en pratique, « le fait d’être en couple réduit un peu la flexibilité. On ne peut pas travailler dans les mêmes équipes ni pour les mêmes clients ». Dans un petit cabinet, cela peut être problématique. Mais dans une grande structure, cela n’a pas trop de conséquences.
Pas de vrais problèmes RH côté cabinet, donc. Mais est-ce vivable ? Un avantage de la situation est que « dans la vie interne du couple, le fait de partager le même travail permet une compréhension de la situation de l’autre. Nous n’évoquions pas forcément les dossiers à la maison, mais nous savions ce que chacun de nous vivait ». La difficulté à comprendre et accepter les contraintes du métier de consultant en stratégie fait en effet partie des inconvénients majeurs cités par les couples « mixtes » consultants/non-consultants.
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La séniorité facilite les doubles carrières
Il reste cependant un problème majeur : celui de la gestion du temps, surtout dès lors que le couple a des enfants. « Soit on travaille avec des nounous à 100 %, soit l’un des deux réduit son implication, et donc ses ambitions. C’est particulièrement difficile pour les juniors. » Mais l’inconvénient se réduit avec la séniorité : « À partir d’un certain niveau, il est possible de réduire son rythme de travail, en choisissant ses projets. Dans le conseil, il y a des opportunités de mission tous les 6 mois ; alors que, dans l’industrie, il faut parfois attendre 2 ou 3 ans entre les propositions. En réalité, ce métier permet justement une certaine flexibilité et offre des opportunités pour gérer une vie familiale. On peut faire une pause sans grandes conséquences, et sans être obligé de renoncer à ses ambitions. Pour nous, c’était chance de réussir une carrière partagée, tout en faisant des pauses pour les enfants. Finalement, travailler dans le conseil en stratégie, qui plus est dans le même cabinet, crée davantage d’égalité dans le couple et à la maison. »
Le fait d’être en couple affecte-t-il les relations avec les collègues ? « Tout dépend de comment vous choisissez de vous présenter, de jouer ou non le jeu du couple dans la situation professionnelle. Mais en ce qui nous concerne, cela ne se percevait pas dans la vie quotidienne – ou alors uniquement au moment des événements festifs. » En somme, les couples de consultants travaillent dans le même lieu, avec les mêmes contraintes, mais ne vivent pas la situation des couples qui travaillent véritablement « ensemble », comme les couples de commerçants par exemple.
Les mêmes motifs de carrière et d’égalité auront poussé le couple à quitter le conseil simultanément. « Si l’un des deux était resté, les contraintes et l’urgence du métier du conseil se seraient imposées au couple, au détriment des ambitions professionnelles de l’autre. » Alors, le conseil en stratégie, un bon plan pour les couples ambitieux ? Probablement, si les conditions sont réunies.
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