Interview du président de Deloitte à Consultor : « 30 % de femmes partners en 2027 »

Élu en 2021, Gianmarco Monsellato occupe les fonctions de président de Deloitte France et Afrique jusqu’au 31 mai 2025. Sur le split audit-conseil d’EY, sur le 100 % pluridisciplinarité sauce Deloitte, sur la place du conseil en stratégie portée par la marque Monitor, sur la parité, sur tous ces sujets, il répond à Consultor.

Benjamin Polle
20 Fév. 2023 à 22:10
Interview du président de Deloitte à Consultor : « 30 % de femmes partners en 2027 »
Gianmarco Monsellato à gauche et Redouane Bellefqih à droite © Deloitte

Un avocat devenu consultant et désormais président – une première ! Gianmarco Monsellato, choisi par l’assemblée générale des associés en 2021 pour succéder à Sami Rahal à la tête des 330 partners et 8 000 collaborateurs de Deloitte France et Afrique, incarne bien la capacité d’hybridation du groupe.

Une révolution copernicienne qui a fait d’une entreprise d’audit un cabinet d’audit et de conseil. Ce dont le Romain de naissance, fils d’un fonctionnaire des Pouilles arrivé en France en passant par Pontoise, puis diplômé de HEC a été témoin au premier rang.

Entré chez Deloitte en 1993 où il a d’abord été avocat avant de devenir partner en 2000, puis managing partner du cabinet d’avocats de 2004 à 2016, Gianmarco Monsellato est un spécialiste de la gouvernance fiscale des entreprises, et a également été membre de la direction mondiale de Deloitte.

Son mantra : tenir la ligne de l’hybridation des compétences, dont le conseil en stratégie sous la marque Monitor Deloitte est un poisson-pilote. Quand bien même cette pluridisciplinarité qui consiste à faire travailler des collaboratrices et collaborateurs de tous bords ensemble ne va pas sans une forte complexité de gestion du portefeuille de clients.

Pour lui, c’est clair, la séparation des activités d’audit et de conseil telle que celle décidée par EY va à rebours du succès rencontré par ces hybridations. Autre priorité : la parité, dont il convient sans détour que le secteur du conseil a encore énormément de progrès à faire.

Rédouane Bellefqih, patron du consulting de Deloitte depuis 2020, porte de son côté la prédominance des sujets techno dans l’ensemble des prestations de conseil.

Tous deux répondent aux questions de Consultor.

Un avocat devenu consultant pour diriger une boîte historiquement d’audit, n’incarnez-vous pas, Gianmarco Monsellato, les tournants pris par les Big Four ces dernières années ?

Gianmarco Monsellato : Je ne suis pas un consultant pur sucre, c’est indéniable ! Le fait que j’ai été élu président montre que notre société a la capacité d’évoluer. Aujourd’hui, nous sommes avant tout un cabinet de conseil au sens large, avec une très belle activité d’audit.

Vous avez plusieurs décennies de maison à présent : cette part de conseil, comment l’avez-vous vue évoluer ?

Gianmarco Monsellato : En 30 ans, un changement à 180 degrés s’est opéré. Le conseil a connu un développement colossal.

Rédouane Bellefqih : Il faut bien avoir la photographie d’ensemble en tête. Les services de consulting pèsent 25,8 milliards de dollars en 2022, sur un total d’activité de Deloitte dans le monde de 59,3 milliards de dollars. Une part grandissante dans laquelle les technologies jouent un rôle déterminant (SAP, d’Oracle ou de Salesforce, voir notre article sur la place de l’IT dans les cabinets de conseil en stratégie). Deuxième ligne de force qui explique le poids du conseil : un alignement de sujets transverses que nous devons adresser dans un même temps, en allant du conseil en stratégie, puis sa déclinaison opérationnelle, que ce soit sur des sujets de capital humain, de cybersécurité et/ou de développement durable.

Pareille révolution ne crée-t-elle pas de la friction entre des profils nécessairement très différents ?

Gianmarco Monsellato : Nous sommes 350 000 dans le monde, je n’ai pas le sentiment pour autant que nous soyons une entreprise frictionnelle. L’arbitrage entre les différents services que nous pouvons proposer à nos clients, entre audit et conseil notamment, est un moment complexe à gérer du fait de notre modèle pluridisciplinaire. Il ne génère pas de tension, mais il génère de la complexité dans la gestion du portefeuille clients.

Rédouane Bellefqih : Deloitte ne serait pas devenu aussi présent sur les sujets de conseil aux entreprises si la friction était un sujet du quotidien. Plus nos activités ont grossi, plus la priorité a été de se demander comment s’organiser au mieux pour répondre à l’ensemble de nos clients.

En 2019, votre prédécesseur, Sami Rahal, visait le doublement des partners consulting de Deloitte France et Afrique, pour atteindre 150 associés en 2023. Y êtes-vous ?

Gianmarco Monsellato : Il faut avoir de grandes ambitions. Nous sommes en croissance, mais non, nous n’avons pas encore doublé, parce que le doublement de l’activité de conseil veut dire beaucoup de centaines de millions d’euros à réaliser. Sur les 340 partners à date, 90 sont des partners consulting. Notre objectif reste d’atteindre une croissance à deux chiffres tous les ans, en nous concentrant sur des missions de transformation.

Rédouane Bellefqih : Un certain covid est aussi passé par là. Si certaines entités du consulting ont plus que doublé en cinq ans, ce fut moins le cas pour d’autres. Pour Monitor, la priorité a été de se renforcer sur certains secteurs, les services financiers, l’oil & gas ou les mobilités, par exemple.

Et dans cet ensemble, Monitor Deloitte, la marque de conseil en stratégie de Deloitte, 10 ans après le rachat de Monitor, ne compte que 7 partners en France. Cela ne reste-t-il pas marginal ?

Gianmarco Monsellato : On ne cherche pas à faire la différence. Notre objectif est bien d’être un leader du conseil au sens large. Cela dit, les partners Monitor occupent régulièrement des fonctions que nous appelons des Lead Client Service Partners, c’est-à-dire qu’ils sont les responsables de grands comptes pour l’ensemble des services de Deloitte. Aller chercher des partners avec une expertise très forte est une nécessité et cela passe notamment par des partners chez Monitor.

Rédouane Bellefqih : Notre crédo est bien strat’ et opérationnel. Dans la concurrence, les cabinets qui jouaient la carte du 100 % conseil en stratégie sont obligés de pivoter, notamment sur un volant plus techno. C’est ce que veulent les clients dans les directions générales.

Aux États-Unis, la marque Deloitte est autoporteuse, y compris dans le conseil en stratégie. N’avez-vous jamais songé à abandonner la marque Monitor ?

Gianmarco Monsellato : Nous nous sommes posé la question de l’abandonner. Mais nous avons choisi de la garder, car nous reconnaissons que ce sont des profils à la culture propre, et que cette marque est utile pour les recrutements et vis-à-vis des clients.

Une culture du conseil en stratégie propre, en quoi ?

Rédouane Bellefqih : Les process de recrutement ne sont pas les mêmes, et les équipes ne sont pas staffées de la même manière. Le ratio de consultants par partner est de 8 pour 1 environ, ce qui est plus bas que dans d’autres lignes de services. Le conseil en stratégie se différencie aussi par de hauts niveaux d’expertise sectorielle. Enfin, Monitor intervient auprès des clients un peu plus tôt que d’autres équipes.

Le croisement avec d’autres équipes, justement, n’est-il pas rebutant pour des étudiants en sortie d’école qui pourraient prétendre à des cabinets perçus comme plus premium et plus strat’ ?

Rédouane Bellefqih : Deloitte Consulting France et Afrique recrutent 750 consultants juniors tous les ans. Cela crée une richesse de profils. En interne, de plus, nous réalisons des sondages. Ils montrent qu’après une dizaine de missions de conseil en stratégie, les consultants qui souhaitent se frotter à des sujets plus opérationnels ne sont pas rares. C’est un souhait récurrent de leur part. La position « Je fais de la strat’ que de la strat’ » est peu répandue. En sens inverse, mais c’est plus rare, il nous est arrivé de transférer des profils hors Monitor chez Monitor, et cela a très bien fonctionné.

À l’heure où nous nous parlons, EY tente de faire atterrir une colossale séparation de ses activités de conseil et d’audit, dont votre concurrent juge qu’elle est nécessaire et que les autres Big Four y viendront. Est-ce le cas selon vous ?

Gianmarco Monsellato : Nous sommes sur une stratégie opposée. Nous considérons qu’il y a une valeur ajoutée indéniable à être ensemble, malgré la complexité qu’implique la gestion du channel 1 (les métiers réglementés, ndlr) et du channel 2 (les métiers non réglementés, ndlr). Nous jugeons ce modèle supérieur, et force est de constater qu’il nous a réussi.

Comment vous préparez-vous à l’arrivée d’un gros prestataire de services de conseil aux entreprises en plus ?

Gianmarco Monsellato : On s’y prépare, on la suit, ce n’est pas un non-événement. Mais, en réalité, le périmètre sera le même, seuls les véhicules capitalistiques vont changer – ce qui n’est pas rien sur un marché où vous avez de gros investissements à réaliser pour maintenir votre expertise.

Sur ces arbitrages, « C1 » et « C2 », quels sont les critères de répartition ?

Gianmarco Monsellato : C’est simple, le client décide. Évidemment, nous avons nos préférences en fonction de la gestion de notre portefeuille sectoriel, mais in fine la décision appartient au client. Notre ambition est d’être la première signature du marché, que ce soit comme conseil, auditeur ou avocat.

Depuis deux ans et demi, un débat public inédit a fait du mot consultant une quasi-insulte. Cela vous impacte-t-il ?

Gianmarco Monsellato : Nous avons une activité de secteur public. Mais, franchement, on ne se sent pas du tout concerné par le débat actuel, et il en va de même pour une grande partie de la profession. Sans toutefois être naïf : on sait que tout le monde est perçu de la même façon. Certains collaborateurs ont pu être énervés par ces polémiques souvent injustes.

Rédouane Bellefqih : Nous avons été interrogés par la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence des consultants sur les politiques publiques. Nous avons fait parvenir nos réponses écrites. Cela en est resté là.

Vous avez tout récemment signé une charte de la diversité et de l’inclusion. Vous vous engagez à atteindre 30 % d’associées et 40 % de femmes dans toutes les instances dirigeantes. Or, on tombe vite à moins de 20 % parmi les partners dans le conseil en stratégie, et il n’y a qu’une femme sur sept partners chez Monitor Deloitte en France : comment voulez-vous vous y prendre pour tenir ces objectifs ?

Gianmarco Monsellato : À date, nous ne sommes pas meilleurs que la moyenne. Or, nous voulons être nettement meilleurs que la moyenne. Au conseil d’administration de Deloitte France et Afrique francophone, nous comptons 40 % de femmes : c’est bien la démonstration qu’une femme peut faire carrière. En revanche, pour les partners, ce n’est pas le cas. Souvent au grade de manager, elles choisissent de rejoindre des corporates. Je le dis sincèrement : je pense que ces départs interviennent à notre corps défendant parce que, comme l’ensemble de la profession, nous avons donné aux carrières dans le conseil une image indésirable. De fait, les mères restent beaucoup plus accaparées par l’arrivée d’enfants, et elles démissionnent pour des entreprises qu’elles considèrent comme étant plus compatibles avec leur vie privée. Alors que c’est faux : des femmes siègent au comex de Deloitte et sont des parents épanouis.

Certains cabinets ont choisi de frapper fort en doublant par exemple la durée des congés parentaux. Pourriez-vous faire de même ?

Gianmarco Monsellato : Nous avons écarté cette option. Pour la raison que chez Deloitte, vous êtes très autonomes dans votre travail et que vous pouvez vous organiser comme vous le souhaitez.

Sur quels leviers agissez-vous alors pour favoriser la parité ?

Gianmarco Monsellato : Un exemple : nous limitons les stress d’agenda et faisons tout pour que les réunions ne se tiennent pas à des heures incompatibles avec la vie de famille. De même, nous sommes très vigilants à la charge de travail en retour de congé maternité. Le seul stress que doivent subir les consultantes et les consultants sur ce sujet est celui des clients – c’est le seul souhaitable. Je vous dresse là un tableau impressionniste de petites mesures. Au-delà, nous devons opérer un changement de culture et faire entrer dans les mentalités que s’occuper d’enfants n’est pas incompatible avec la poursuite de sa carrière. J’espère aussi que le changement de culture sur la place de la paternité viendra rééquilibrer la charge qui reste sur les femmes et nous aidera.

Concrètement, quel niveau de partners femmes souhaitez-vous atteindre ? Et quand ?

Gianmarco Monsellato : En 2027, je souhaite être en ligne avec l’échéance fixée par la loi Rixain de 2021 sur l’égalité économique et professionnelle, soit 30 % de femmes parmi les partners de Deloitte France et Afrique. Et atteindre les 40 % en 2030.

Cela vous semble-t-il réaliste ?

Gianmarco Monsellato : J’ai réussi à inverser la vapeur dans mon métier d’avocat d’affaires, où la culture était encore plus machiste. Pourquoi ne pas le faire aussi dans le conseil ?

 

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Alors qu’EY annonce qu’il fera atterrir la colossale séparation de ses activités de conseil et d’audit au premier semestre 2023, les trois autres Big Four (PwC, Deloitte, KPMG) n’en démordent pas : la séparation, très peu pour eux. Patrice Morot, le président France de PwC, et Christophe Desgranges, partner en charge du conseil en stratégie, le réaffirment dans une interview à Consultor.

Benjamin Polle
20 Fév. 2023 à 22:10
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Adeline
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Deloitte, Monitor, Monitor Deloitte, Gianmarco Monsellato, redouane bellefqih, France, Afrique
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