Ultratrail et conseil en stratégie : le goût des terrains accidentés
Tous les deux sont associés du cabinet Arthur D. Little : Albert Meige et Clément Santander enchaînent les dénivelés comme les missions de conseil. Moyennant quels parallèles ?

Pour Albert Meige, les débuts dans l’ultratrail ont lieu en 2019. Un type de course qu’il va renouveler, seul ou en petit comité. Kilomètre 360 – Au-delà de l’ultra-trail est le livre qu’il a consacré à son expérience de l’ultra-endurance en montagne et au Swiss Peaks Trail, une course qu’il a réalisée notamment en format 360 kilomètres, soit l’équivalent « de 9 marathons et 9 ascensions du Mont Blanc, d’affilée ».
Arrivé chez Arthur D. Little en 2020 lors de la vente de sa startup Presans au cabinet, Albert Meige en est associé, membre de l’équipe globale. Cet ancien chercheur en physique numérique a fondé l’institut Blue Shift – sous l’impulsion du DG Monde d’Arthur D. Little Ignacio Garcia Alves – afin « d’explorer et d’anticiper l’impact des technologies sur le business, la société et l’être humain ».
Pour Clément Santander, le manuscrit d’Albert Meige fait office de déclencheur. Il en est en effet le premier relecteur, avant sa parution. Le consultant, qui a pratiqué « l’alpinisme, l’escalade, l’apnée, le ski de rando... », se met « à courir lentement » pour pouvoir le faire longtemps. L’Appalachian Trail est son premier défi d’envergure, « sur une ligne de crêtes durant 24 heures, en solo ».
Clément Santander est associé d’Arthur D. Little, qu’il a rejoint en mars 2021. Son expertise porte sur les opérations et les stratégies de développement « des entreprises établies ou des startups ». SVP d’Alix Partners en 2020-2021, il a aussi cofondé deux startups.
La préparation, indispensable pour gérer « des états émotionnels et mentaux » inédits
Pratiquer l’ultratrail, c’est plonger dans une fatigue extrême qui occasionne « des états de conscience modifiés durant plusieurs jours. Pour la Swiss Peaks et ses 360 km par exemple, raconte Albert Meige, on dort moins de deux heures quotidiennement et de façon fragmentée, souvent on s’endort en marchant ».
Quand un tel niveau de fatigue est atteint, la biochimie du cerveau se dérègle. L’esprit se met alors à générer « des pensées incontrôlables et incohérentes ». Or, la montagne est un milieu « intrinsèquement incertain et dangereux ».
Au bout de 24 ou 36h sans sommeil, chaque tâche devient très compliquée : « Refaire son sac, remplir ses gourdes, utiliser sa boussole… » Et si l’on veut atteindre son objectif, il faut pouvoir « continuer à décider, à agir ». Cela se prépare.
Six domaines d’incertitude à apprivoiser
Parcourir de telles distances en courant, en montagne, implique d’avoir une stratégie. Celle-ci passe, en grande partie, par l’anticipation des imprévus potentiels.
Albert Meige estime que, dans de tels contextes, l’incertitude se décline en six dimensions : « corps, esprit, navigation, équipement, nutrition et gestion de l’accident ». D’où l’importance de pouvoir se référer à des « cadres mentaux permettant de décider rapidement en cas de problème sur le terrain ».
Cela ramène « aux deux horizons temporels à prendre en compte quand on fait de la stratégie : le long terme, et l’adaptation en temps réel lorsque des événements se produisent. Par exemple : l’arrivée de la GenAI, qui reconfigure la façon dont nous travaillons, une crise économique ou des turbulences géopolitiques… » Ces décisions qui doivent être prises très vite le seront d’autant plus qu’elles auront été « anticipées, permettant d’actionner les bons mécanismes ».
Que ce soit dans le conseil de direction générale ou en montagne, Albert Meige confie « faire constamment des allers-retours entre l’anticipation et l’adaptation ou, pour prendre une image, la carte et le territoire ». La carte correspondant à la théorie, « tout ce que l’on fait à la maison pour préparer son ultratrail » et, une fois sur le terrain, « le territoire, ce qui va se passer comme prévu et le reste : une mauvaise météo, un accident… ». Des allers-retours qui permettent « d’affiner » ses cadres mentaux.
Affûter son intuition comme on entraîne un muscle
L’intution s’aiguise en effet par la confrontation à un certain nombre de « situations similaires dans le passé ». D’où la nécessité, au retour de courses d’ultra-endurance, de faire un débrief. « Qu’est- ce qui s’est bien passé, qu’il faudra continuer à faire ? Qu’est-ce qui s’est mal passé, qu’il faudra absolument améliorer dans le futur ? Quelles sont les choses à bannir – parce qu’on a frôlé l’accident ? »
Dans un contexte business, la prise de décisions requiert tout autant ce type d’analyse des « presque » accidents.
Par ailleurs, selon Clément Santander, « on retrouve une même exigence de rigueur dans le conseil comme dans l’ultra-endurance. Si l’on en manque, on risque d’affaiblir certains muscles, certains mouvements : sur la durée, ça ne pardonne pas ».
Atteindre un objectif « raisonnable » ou viser « un objectif ambitieux non démontré » ?
Une expérience de Clément Santander dans la Cordillère des Andes illustre ce dilemme. Alors qu’il envisage d'atteindre « les neiges du glacier du Nevado del Tolima, 5 000 m d'altitude », lui qui n’a jamais dépassé les 4 000 m, il effectue la veille « une course 'proof of concept' (POC) visant 4200 m – pour tester [ses] limites et comprendre l'écart de performance induit par le facteur de l'altitude ». En difficulté dès 3 400 m, Clément Santander décide « d’ajuster [sa] cible et de viser un sommet qui culmine à 4 700 m ».
L’accompagnement de startups industrielles qu’il réalise pour les aider « à passer le cap du scale-up » recoupe cette expérience. Ou même le fait de « courir 5-10 km, puis 30, puis deux fois 50, puis 110 et enfin, 280 ou plus ».
Sachant que Clément Santander a connu des échecs – sur un marathon par exemple. « C’était trop tôt », il n’était pas « assez préparé » et le parcours comportait « trop de dénivelés ». Il n’a donc parcouru que 33 km pour ~400D+.
Une résilience tant physique que mentale
Lors d’un ultratrail, la question n’est pas de savoir « si l’on sera fatigué et si l’on aura mal : les deux sont des certitudes », souligne Albert Meige. Et l’on aura aussi « envie d’abandonner, à plusieurs reprises ». Les états de conscience modifiés que traverse l’ultratraileur conduisent son cerveau « à chercher la moindre excuse pour arrêter ». Comment faire pour ne pas l’écouter et poursuivre l’effort ?
Cela se travaille lors des phases d’entraînement. « Pourquoi a-t-on décidé de se lancer dans un ultratrail ? » Les techniques de visualisation positive sont très utiles : au moment de l’effort intense, elles permettent de se raccrocher instantanément à des images mentales qui boostent.
C’est ce qui a permis à Clément Santander, lors du Swiss Peaks 380, d’aller jusqu’au bout. Pourtant, après 200 km, l’une de ses jambes « ne se fléchit plus, l’obligeant à descendre sur les bâtons, en boîtant ». C’est ensuite son autre jambe qui flanche, et il termine les 180 km qui restent « aux forceps ».
L’analogie avec certaines phases de transformation, pour les entreprises, apparaît. La résilience se bâtit « au niveau de l’organisation, des process et de la gouvernance », fait observer Albert Meige. Au bureau de Paris d’Arthur D. Little, certains associés sont spécialisés « dans la résilience des chaînes d’approvisionnement, par exemple ».
De son côté, Clément Santander mentionne l’alternance, pour les consultants, « de boosts d’endorphine après une réunion client qui s’est bien passée, où l’on a délivré de la valeur » et les moments « où l’on reçoit une forte pression : ça peut se compliquer pour l’équipe alors que les deadlines approchent ». Il faut donc être en mesure « de s’accrocher ».
Jusqu’à dix-sept heures hebdo consacrées à l’entraînement
Dans le conseil en stratégie, les agendas débordent. Préparer un ultratrail requiert donc une organisation au cordeau.
Le DG de Blue Shift indique effectuer « en période normale, deux sorties de deux heures max par semaine, moyennant des plages horaires sanctuarisées, et des sorties plus longues le week-end ». De son côté, Clément Santander s’astreint « à une routine », sautant le repas de midi quand il n’a pas de déjeuner client – pour aller courir – et faisant des sorties de plusieurs heures le week-end. « C’est suffisant car, dans l’ultratrail, l’objectif est de courir longtemps, pas de faire de la top performance. »
Si la nutrition est importante, Albert Meige se dit « plutôt saucisson-fromage que compote bio et boisson d’effort ». Quant à Clément Santander, bien qu’il ait « lu des blogs dédiés à l’ultra-endurance et testé quelques petites choses », il se reconnaît dans l’approche d’Albert Meige « qui préconise le plaisir dans la nourriture », moyennant une juste mesure, ou non !
La passion commune des deux associés pour l’ultratrail, qu’ils ont partagée dans des posts LinkedIn, a créé « de l’envie et de l’émulation » chez Arthur D. Little. Une communauté de coureurs s’est ainsi constituée. Elle adopte son propre rythme et « allonge progressivement ses distances, dans l’optique prochaine d’un 100 km ». Pour parler d’ultratrail, il faut dépasser les 80.
« Who says it can’t be done ? » La citation est du fondateur du cabinet, Arthur D. Little himself.
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