Les consultants freelances, jokers des cabinets
Mieux payés, plus libres de leur agenda : les consultants en stratégie passés en indépendants y voient surtout des avantages. Les cabinets, eux, en font une variable sur laquelle ils sont réticents à communiquer.
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À en croire les cabinets de conseil en stratégie, rares sont ceux qui recourent à des consultants freelances. « On a un recours aux freelances très limité », affirme ainsi un dirigeant d’une boutique parisienne. Idem chez un plus grand cabinet de la capitale : « Nous avons très peu recours aux freelances, assure-t-on, nous tournons avec deux-trois profils, représentant trois ou quatre missions par an. » Une autre structure estime quant à elle « ne pas être concernée » par le sujet.
Pas étonnant que les consultants freelances ne rendent pas les cabinets prolixes : si le recours à des consultants extérieurs est commun, la pratique est généralement proscrite par les clients dans les contrats. Alice*, une consultante en freelance, qui souhaite rester anonyme, explique ainsi que lorsque des cabinets lui proposent une mission, ils la présentent comme une salariée : « C’est systématique. » Elle complète : « Au départ, quand on est encore dans le côté tendu de la proposition commerciale, le client n’est pas au courant que l’on est en freelance. Une fois que la mission est vendue, et qu’on va chez lui, à un moment, il s’en rend compte… » Les cabinets n’ont donc généralement pas envie de s’étendre sur leurs recours aux freelances. D’autant qu’ils font tout pour retenir leurs salariés, qu’ils n’ont pas intérêt à voir s’établir et s’épanouir en tant qu’indépendants.
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1 800 euros par jour pour un manager
Pourtant, nombreux sont les consultants freelances, et ceux rencontrés assurent qu’ils gagnent très bien leur vie. Alice*, qui a quitté un cabinet après 8 ans d’expérience, au rang de manager, estime gagner le double, tout en « faisant des horaires normaux ». Elle s’est établie à son compte il y a déjà presque deux ans. Quant à Andrea*, qui souhaite aussi garder l’anonymat et a quitté le salariat après être devenu manager, elle évalue « gagner au minimum 60 % de plus » sur l’année passée, tout en travaillant « beaucoup moins, vraiment beaucoup moins », et ce après un an et demi de freelancing. Elle nuance partiellement : « Je n’étais pas sur un salaire BCG non plus avant, mais cela restait de beaux montants. » D’après un dirigeant de cabinet, un consultant ayant 8 ans d’expérience exigerait entre 1 800 et 2 000 euros par jour. Alice juge plutôt que les tarifs, à ce rang, s’établissent entre 1 700 et 1 900 pour une mission courte d’un mois, tandis que pour des missions plus longues, les prix facturés diminuent à 1 350 euros par jour. Quant à un consultant moins expérimenté, avec deux ans de bagage, il pourrait viser environ 1 000 euros par jour.
Manager, c’est le rang auquel la tentation de se lancer en freelance est la plus grande. Selon Andrea, « c’est un grade très pénible : il faut supporter les mauvais consultants en dessous et le partner qui n’a plus envie de bosser ». Pour l’instant, elle ne souhaite absolument pas retourner en cabinet. « Je ne veux plus être dépendante de l’agenda du mec au-dessus de moi, qui très souvent n’en a strictement rien à foutre, et j’insiste sur ce mot. »
Projets en parallèle
Alice* est moins catégorique, mais souligne comme Andrea* la liberté d’organisation que lui offre son nouveau statut, le temps gagné, les horaires bien plus agréables et la rémunération qui a augmenté. Et la vie sociale liée au cabinet ne leur manque pas : les interactions avec le client ou d’autres consultants rencontrés leur suffisent. Toutes deux préparent aussi d’autres projets en parallèle. Elles ne l’envisageaient pas en quittant leur cabinet, mais le temps libéré leur a permis d’y penser, et leurs missions de les financer.
Ensuite, chaque situation a ses particularités. Pour Alice*, les missions sont désormais plus intéressantes que lorsqu’elle était salariée. À l’inverse, Andrea trouve que les freelances « récupèrent les missions que les salariés ne veulent pas faire ». Pour des due diligences par exemple, les cabinets sollicitent souvent des consultants extérieurs plutôt que leurs propres employés.
« 2023 va peut-être être moins rigolote que 2022 »
Le freelancing présente toutefois quelques inconvénients aussi. « En cabinet, quand on est sur une mission, on peut solliciter des expertises à gauche et à droite. Tout seul, c’est plus compliqué, il faut trouver ses propres ressources et ses informations. Et les missions sont de moindre ampleur », regrette Alice*. Un problème qui en rejoint un autre, aussi lié au fait de ne pas avoir d’équipe : « On doit faire à la fois le travail du stagiaire, du consultant, du manager, et de l’associé : c’est exigeant… »
Et après la vague d’embauches post-covid, les cabinets recourent un peu moins à eux. La baisse d’activité n’en est qu’au début, et il est difficile de prévoir les évolutions de chacun. Andrea* anticipe toutefois : « Actuellement, c’est en train de freiner très méchamment, 2023 va peut-être être moins rigolote que 2022… »
*Les prénoms ont été modifiés.
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