Comment Publicis veut se faire une place dans le conseil en stratégie
Au sein des équipes de Sapient, l’agence rachetée à grands frais aux États-Unis en 2014, Publicis a mis sur pied en 2019 une business unit de conseil en stratégie qui pioche les talents chez la concurrence et entend à présent vite grossir.
À Paris, un tandem d’associés recrutés au Boston Consulting Group et chez Roland Berger mène la barque.
« À fond les ballons. » Moins d’un an après être arrivé (relire notre article), le 6 janvier, chez Publicis, Olivier Abtan, l’ancien senior partner du Boston Consulting Group et de Roland Berger, ne mâche pas ses mots sur le rythme auquel le troisième groupe de communication mondial entend se positionner dans le conseil en stratégie. Avec un véhicule clair pour ce faire : Publicis Sapient, la marque née du rachat en 2014 du groupe américain Sapient. Sapient est un groupe actif dans la publicité, le marketing et le conseil en transformation digitale créée en 1990 à Boston qui comptait au moment du rachat par Publicis 13 000 collaborateurs dans le monde.
Un binôme de partners à Paris
C’est au sein des équipes de Publicis Sapient, qui compte désormais 20 000 collaborateurs dans le monde, dont 250 en France, qu’une équipe de conseil en stratégie a été mise sur pied voilà deux ans. « La business unit conseil en stratégie de Publicis Sapient est passée de 0 à 200 dans le monde (Publicis Sapient a des entités aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Inde, en France, en Italie, dans les Émirats arabes unis, en Allemagne, au Canada, en Chine, NDLR) en deux ans », appuie Olivier Abtan.
À ses côtés à Paris pour déployer la marque en France, Thierry Quesnel, un centralien tout comme Olivier Abtan (relire notre article sur la cote des centraliens dans la stratégie).
Thierry Quesnel est archi capé dans le conseil en stratégie où il a successivement occupé des fonctions de consultant, de directeur à senior partner chez Kearney, Bain et Roland Berger. Lui aussi, en janvier, rejoignait Publicis Sapient à Paris (relire notre article).
Moins de douze mois après son lancement en France, le tandem d’associés se veut très optimiste sur son potentiel de marché. Avec plusieurs arguments à l’appui.
Les arguments que Publicis fait valoir
D’abord, les moyens que Publicis déploie pour accentuer son profil et ses compétences de conseil, dans un contexte de dépenses publicitaires mondiales baissières, de fortes croissances de Facebook et d’Alphabet en tant que colosses de la publicité en ligne, mais aussi de concurrences grandissantes des géants du conseil, tels qu’Accenture, qui multiplient les rachats d’agences digitales, de création, de design ou de marketing.
Pour y répondre, en mars 2018, moins d’un an après avoir succédé à Maurice Lévy à la présidence du directoire de Publicis, Arthur Sadoun faisait déjà du conseil, lors de la présentation de sa stratégie 2018-2020, un des principaux leviers d’obtention de revenus additionnels, avec la volonté de repositionner le groupe sur le marché de la transformation numérique, plus large que le seul marché de la publicité.
Une ambition qui passe nécessairement par des recrutements. Lors de la publication de ses résultats début février, Arthur Sadoun, le président du directoire de Publicis, indiquait que le groupe avait en 2019 investi 100 millions d’euros dans le recrutement de talents en provenance de cabinets de conseil pour muscler ses propres équipes consulting.
C’est cette enveloppe qui a permis de faire venir Olivier Abtan, Thierry Quesnel, mais aussi Thierry Elmalem, un partner de McKinsey, cabinet avec lequel il a collaboré pendant dix-sept ans, qui a rejoint Publicis Sapient à Londres en janvier 2019.
Plus bas dans la pyramide, on retrouve des profils de Bain ou d’Advancy. Pour l’heure, ces profils issus de la concurrence composent le bataillon strat’ – encore modeste – de Publicis Sapient à Paris. De nombreux autres doivent suivre. Du moins les vannes du recrutement sont grandes ouvertes.
Autre motif d’enthousiasme : la turbine à business Publicis. « La qualité des relations du groupe Publicis avec les CEOs, en France et dans le monde, est inégalée. C’est un atout différenciant qui nous apporte de nombreuses opportunités de développement », appuie Olivier Abtan. Thierry Quesnel se félicite aussi que, hormis quelques sceptiques, l’immense majorité des clients approchés à ce jour ont montré de la franche curiosité pour le développement de Publicis dans le conseil en stratégie.
Les premières missions sont au rendez-vous, principalement pour l’instant dans les secteurs de spécialisation du tandem d’associés parisiens.
Des clients ont été servis à ce jour notamment dans le retail, la grande conso, les loisirs, le luxe et les services financiers, à l’instar de la refonte du e-commerce mondial d’un groupe sur cinquante marques et cent pays à laquelle travaille le cabinet naissant.
Staffing croisé
Des missions pour lesquelles les équipes de conseil en stratégie de Publicis Sapient peuvent au besoin faire appel aux autres associés et consultants en stratégie au Royaume-Uni et aux États-Unis où les équipes sont pour l’heure le plus étoffées. Et au-delà encore aux autres équipes de Publicis Sapient, des consultants en management, des designers, des data scientists (dont les profils sont très demandés dans le conseil en stratégie, relire notre article), des spécialistes de l’expérience client, des codeurs…
Des staffing croisés sont décidés au cas par cas. « 100% des missions embarquent consultants en stratégie et profils Sapient diversifiés. Un tiers des missions restent à très forte dominante conseil en stratégie, et similaires à ce que font les grands cabinets traditionnels », détaille Olivier Abtan.
Au-delà encore, Publicis Sapient ne s’interdit pas de collaborer aussi avec l’une ou l’autre de la galaxie d’agences du groupe Publicis. Besoin d’une analyse poussée de retour sur investissement d’une campagne médias ? Pourquoi ne pas se tourner vers Performics, l’agence maison rachetée à Google en 2008 ? Une mission dans la santé ? Pourquoi ne pas se faire épauler par Publicis Health ? Besoin d’injecter un sujet de comportement des consommateurs dans une mission ? Il n’y a qu’à toquer chez Epsilon, le mastodonte des CRM, plus grosse acquisition de l’histoire de Publicis intervenue en 2019. Autant de synergies a priori simples sur le papier dont l'expérience a prouvé dans d'autres groupes qu'elles sont un défi.
« Avec ces équipes-là, associant des consultants expérimentés en stratégie avec de vrais experts de la tech et de vrais pros de l’expérience client, nous faisons de la transformation digitale une réalité, depuis des réflexions stratégiques CEO et Comex jusqu’à la production effective de solutions, des plateformes CRM, des infrastructures technologiques ou encore des algorithmes d’intelligence artificielle », veut croire Thierry Quesnel.
Malgré la très forte concurrence, multiplier l’activité par deux tous les ans
Sujet sur lequel Publicis n’est absolument pas seul : McKinsey a sa marque Digital, le BCG a développé une pluie de marques telles que Gamma, pour les data analytics, Platinion, pour tous les sujets technologiques, BCG Digital Ventures, studio d’incubation et d’innovation, Bain fait fleurir un écosystème digital (visionner à nouveau notre reportage), on en passe !
Publicis Sapient ne se laisse pas impressionner et assure pouvoir se démarquer. Même si par ailleurs tout n’est pas rose.
Car le conseil en stratégie de Publicis Sapient s’est lancé au pire moment, en janvier 2020, quelques semaines avant le déclenchement de la crise sanitaire et du premier confinement. A fortiori, développer une nouvelle activité au sein d’un groupe de la taille de Publicis a des airs de numéro d’équilibriste vis-à-vis des marques et des activités préexistantes. « Il faut trouver les bons points d’accroche », confirme Olivier Abtan. Ce qui ne va pas non plus sans lourdeurs dans un environnement autrement plus chargé en process que dans des cabinets classiques, tout au plus de quelques milliers de collaborateurs à travers le monde.
Des obstacles surmontables, à en croire le binôme Abtan-Quesnel, qui reste très résolu : « Nous allons doubler de taille tous les ans. »
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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commentaires (1)
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France
- 06/12/24
Jean-Hugues Monier, une vingtaine d’années chez McKinsey, est un partner français basé à New York parti récemment en retraite. Il a coordonné un vaste mouvement de solidarité de la part d’une ONG américaine, Friends of Notre-Dame-de-Paris, qui a grandement participé à la reconstruction de notre emblème national, en partie détruite par le feu en 2019. Il est même personnellement très impliqué dans cette association caritative en qualité de membre du conseil d’administration.
- 05/12/24
Les heureux élus se nomment Laure Charpentier, Bastien Godrix et Thibault Rochet, tous issus de l’interne. Au niveau mondial, Oliver Wyman annonce 45 élections de partners et directeurs exécutifs.
- 03/12/24
C’est l’un des secrets les mieux gardés par tout cabinet de conseil, a fortiori par McKinsey… Identité des grands groupes conseillés par le cabinet de conseil, clients faisant les belles heures du bureau parisien : Consultor lève le voile.
- 27/11/24
Le principal intéressé l’annonce lui-même : dès la fin du mois de novembre, Mickael Brossard ne fera plus partie de McKinsey ni de QuantumBlack, l'entité dédiée à l’IA, la data et l'informatique quantique.
- 18/11/24
L’un des ténors du BCG en France, Guillaume Charlin, 54 ans, patron du bureau de Paris entre 2018 et 2022, serait en passe de quitter le cabinet.
- 15/11/24
Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.
- 15/11/24
Le partner Retail/Consumer Goods d’Oliver Wyman, Julien Hereng, 49 ans, a quitté tout récemment la firme pour créer son propre cabinet de conseil en stratégie et transformation, spécialisé dans les secteurs Consumer Goods, Luxe et Retail, comme il le confirme à Consultor.
- 13/11/24
À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa.
- 11/11/24
Si Arnaud Bassoulet, Florent Berthod, Sophie Gebel et Marion Graizon ont toutes et tous rejoint le BCG il y a plus de six ans… parfois plus de dix, Lionel Corre est un nouveau venu ou presque (bientôt trois ans), ancien fonctionnaire venu de la Direction du Trésor.