Impact sur les clients : les consultants rechignent à se mesurer
L’efficacité des missions que les cabinets effectuent auprès de leurs clients. Sujet tabou ? La notation des missions de conseil en stratégie par les clients reste un exercice très peu pratiqué.
Si la plupart se disent directement « notés » par leurs clients qui refont – ou pas – appel à leurs services, de rares cabinets font de leur performance un atout client. En interne, les budgets mission par mission sont passés au crible.
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Avec quelque sept milliards d’euros annuels, le vaste marché français du conseil se porte plutôt bien (la strat’ représente 27 % de l’activité, selon Syntec). Mais qu’en est-il de l’efficacité intrinsèque et réelle de ces missions de conseil ?
Seule la fidélité des clients fait foi
Point de benchmark transverse au secteur. Le sujet n’est pas des plus documentés, c’est peu de le dire, et deux études françaises sur la question commencent à sérieusement dater. Marie-Isabelle Ferrer, chercheuse en sciences de gestion à l’université de Montpellier, avait présenté en 1996,lors de la 5e conférence internationale de management stratégique, son travail théorique de compilation sur les travaux de recherche entre les années 1960 et 1990 « L’évaluation des prestations de conseil en management stratégique : de la performance à la cohérence », une étude sectorielle de niche, mais globalement applicable à l’ensemble du conseil.
L’étude de Syntec Conseil, l’organisation pro du conseil, remonte déjà à 2009 ! « Elle n’est pas récente du tout. Ce n’est pas une étude qui propose une mesure de la valeur, mais une typologie des modalités par lesquelles le conseil crée de la valeur », confirme David Ifrah, son secrétaire général.
Au sein des cabinets consultés par Consultor – une majorité d’entre eux ne souhaite pas être cités –, cela reste une question complexe et intéressante, certes, mais pas forcément un sujet d’actualité, puisque la fidélité des clients reste le critère essentiel de notation objective…
Quand l’efficacité n’est pas au rendez-vous
Pourtant, en théorie, l’efficacité des missions devrait être une question de fond – d’autant plus que le prix auquel ces missions sont vendues est très élevé dans le conseil en stratégie.
D’autant plus encore que si les marques des cabinets de conseil sont a priori gages d’excellence, les ratés ou l’inanité des conseils fournis existent bel et bien – quoique personne ne va se précipiter pour en faire la publicité. Citons McKinsey chez Swissair (relire les articles de The Economist ou Le Temps par exemple) ou le BCG chez De Beers (relire notre article).
Autre exemple, en France, en 2018, la Cour des comptes avait aussi épinglé le secteur sur l’efficacité des missions de conseil au sein des hôpitaux français (relire notre article ici). Dressant une appréciation générale de la valeur des conseils fournis peu reluisante : « Les productions des consultants ne donnent que rarement des résultats à la hauteur des prestations attendues. En matière de conseil stratégique, la qualité des travaux est souvent faible, les préconisations très générales et laconiques. »
Mesurer l’efficacité des conseils : un barème unique inadapté à la pluralité des sujets et des clients
Alors, comment les cabinets répondent-ils concrètement à cette problématique d’efficacité des missions ? Un exercice complexe qui se résume pour nombre de cabinets en termes de satisfecit client. « En fait, il existe autant de typologies de missions que de dispositifs d’appréciation. Lorsque nous abordons, par exemple, une mission stratégique de rachat avec différents scénarios possibles que le client va arbitrer, si tout le monde y trouve son compte et le client y trouve son orientation, c’est pour nous une mission réussie. Lorsque nous accompagnons un lancement qui s’avère être un succès, c’est une réussite pour nous. Dans le cadre de mission de réduction de coût, le succès se mesure facilement et rapidement. Notre dispositif d’appréciation correspond avant tout au suivi réalisé avec nos clients, où nous mettons à plat nos points de succès et/ou d’amélioration », explique un stratège qui souhaite rester anonyme.
Les dirigeants du cabinet Mars & Co, avec leur philosophie bien spécifique « un client-un secteur » (relire notre article) et n’intervenant principalement que sur des « sujets à moyen et long terme », ont, eux, mis en place des outils de mesure uniquement qualitatifs : la satisfaction des clients illustrée par le renouvellement ou non des missions.
« Dans l’ensemble, nous considérons que notre performance est bonne, car nous travaillons de façon longue et récurrente avec la grande majorité de nos clients. Le reste est anecdotique. Notre plus ancienne collaboration client sans rupture date de 1985 avec un très grand fabricant de soda US bien connu », illustre Jean-Marie Hennes, EVP de Mars, lui aussi administrateur de Syntec Conseil. Chez Mars, point non plus de formes d’intéressement direct au résultat des missions dans les contrats, seulement « de temps en temps, des bonus discrétionnaires liés uniquement à la satisfaction du client ».
Des outils de suivi de la performance existent
Chez Bain & Company, l’efficacité des missions est un sujet récurrent datant de la création du cabinet en 1973. « Dès le début, nous avons imposé une règle. Nous n’intervenions que sur des missions où l’impact de nos honoraires pouvait multiplier au moins par dix les résultats escomptés pour nos clients », atteste le chairman France de Bain, Olivier Marchal, également administrateur de Syntec Conseil.
Bain a par ailleurs établi une méthodologie en fonction des missions. « Nous l’abordons de plusieurs façons. D’abord, avec le client, dès le départ, nous définissons le succès et sa traduction concrète avec des éléments mesurables ou notés par le client, ainsi que le rôle précis du consultant. S’il y a un objectif d’amélioration de la bottom line de 10 % avec une restructuration des coûts, nous identifions les leviers pour l’atteindre. Et si c’est successful à moyen terme, nous avons atteint nos résultats », précise Olivier Marchal.
Bain a également développé il y a une vingtaine d’années un autre outil à destination de ses clients, le NPS, le Net Promoter System, qui mesure et gère la fidélité des clients de l’entreprise, et « que l’on applique à nous-mêmes ! », se réjouit Olivier Marchal. Bain réalise ainsi régulièrement des enquêtes de satisfaction auprès d’un panel de clients. « Nous choisissons entre dix et quinze clients et on leur demande de noter Bain, d’identifier les points positifs et les points d’amélioration. » Une démarche d’évaluation jugée très stratégique par le président France du cabinet. « C’est un moyen précieux pour être encore plus utile dans les projets. Et c’est d’autant plus important lorsque notre rémunération est liée à l’atteinte des objectifs », reconnaît Olivier Marchal.
Plus généralement, certains cabinets monitorent très précisément client par client la performance de leurs missions de conseil, mais cette fois d’un point de vue interne, c’est-à-dire de la facturation.
Quelques-uns des douze clients du service de gestion BestConsultant dédié aux acteurs du secteur (relire notre article) vont même assez loin dans cette analyse. « Pour chaque projet, les cabinets établissent un budget, à savoir le nombre de jours estimés multiplié par les taux journaliers moyens (tjm) des consultants staffés, le tout arrondi aux milliers ou aux centaines de milliers d’euros. Avec deux gros modulateurs : l’overdraft, c’est-à-dire le rabais sur le prix catalogue des consultants, des rabais consentis au terme d’une négociation avec les clients ; et l’overrun, qui correspond à la différence entre le nombre de jours budgétés et le nombre de jours effectivement passés sur un projet, par exemple quand une mission tourne à la catastrophe, qu’elle est beaucoup plus complexe que prévu », explique le fondateur de BestConsultant, Florian Leloup, passé par Kearney et Roland Berger.
La performance du conseil en strat’ intangible par nature
Plusieurs ébauches d’outils existent donc. Mais il n’en reste pas moins que « le concept d’efficacité stratégique dans une organisation est plus facilement discutable en théorie qu’il n’est aisé de le mesurer en pratique… et ne peut s’effectuer que sur les bases du long terme », le reconnaît dans son étude de 1996 la chercheuse Marie-Isabelle Ferrer.
D’autant plus pour le conseil en stratégie, un secteur très intangible, très intellectuel par nature.
C’est aussi la position de l’EVP de Mars & Co, Jean-Marie Hennes : « Il existe une distinction entre du conseil opérationnel, par exemple augmenter la productivité d’une usine de 10 %, et le conseil en stratégie. Notre travail consiste à aider les DG à faire les meilleurs choix possible. Nous sommes là pour réduire les incertitudes de 90-95 %, mais il existe toujours des impondérables et de très bonnes recommandations peuvent être mal appliquées. »
Barbara Merle pour Consultor.fr
Crédit photo : Adobe Stock.
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