Audit et conseil : le début du divorce ?

Deux des Big Four réfléchissent à scinder leurs activités audit et conseil en des branches indépendantes, et ainsi faire taire les accusations de conflits d’intérêts.

Jennifer Matas
14 Jui. 2022 à 18:00
Audit et conseil : le début du divorce ?
EY Tower with old building is shown in Toronto Canada on October 13, 2020.

La planète Big Four est fébrile depuis les révélations du Financial Times du 26 mai dernier : EY envisagerait de séparer ses activités d’audit et de conseil dans le monde entier. Ce qui signerait le « plus grand bouleversement chez un Big Four depuis deux décennies », souligne le journal. Et l’onde de choc pourrait se propager.

Accusations récurrentes

Le sujet de la séparation des activités d’audit et de conseil est un marronnier dans l’univers des initiés. Le divorce post-Enron-Andersen avait vu les géants de l’audit sortir du conseil : cession d’EY Conseil à Cap Gemini, de KPMG Consulting UK et Pays-Bas à Atos, de PwC à IBM, et séparation en France seulement de Deloitte Consulting de Deloitte Touche Tohmatsu (relire notre article).

Mais cette fois, cela fait beaucoup de bruit et la presse internationale s’en est saisie, alors qu’aucune annonce officielle n’a été faite de la part d’EY.

En interne, le projet s’appellerait « Project Everest ». Ce que l’on sait, c’est que le projet de scission envisagé par EY mettrait un terme aux récentes accusations de conflits d’intérêts dont font l’objet les quatre grands cabinets comptables et qui ont mis le secteur de l’audit dans le collimateur des régulateurs, principalement britannique et américain.

En cause : le risque de conflit d’intérêts lorsque se cumulent prestations d’audit et prestations de conseil auprès d’un même client (relire notre article). Ces dernières années, les affaires se sont succédé : Carillion et KPMG en Grande-Bretagne, Wirecard et EY en Allemagne, les magasins BHS et PwC, etc.

Outre-Atlantique, la Securities and Exchange Commission enquêterait sur des conflits d’intérêts entre branches d’audit et de conseil chez tous les Big Four, selon des révélations du Wall Street Journal.

Ce n’est pas la première fois que le sujet revient sur la table. En particulier au Royaume-Uni (lire ici) où KPMG avait même pris des mesures fin 2018 (relire ). En 2020, le Financial Reporting Council (FRC), régulateur des métiers de l’audit outre-Manche, avait remis une couche en demandant aux Big Four de séparer leurs activités de conseil et d’audit (notre article ici). En France, aussi, la directive Barnier voulait mettre fin au mélange des genres (lire ).

à lire aussi

24/10/18
Comptable

 

« Vous ne pouvez plus parler de cabinets d’audit. » Dixit Pascal Ansart, partner chez Strategy& (PwC), et ancien d’Oliver Wyman ou encore de Bossard. Lorsqu'il est arrivé chez PwC en 2011, avant les rachats de la société de conseil opérationnel PRTM la même année, ou de manière plus emblématique de Booz en 2013, la branche naissante de conseil en stratégie du géant de l’audit comptait alors quarante personnes en France.

 

 

Encore à l’étude

Les appels à réformer le secteur de l’audit se font donc nombreux, et EY pourrait, cette fois, céder aux sirènes de la scission, bien qu’officiellement, aucune décision n’ait été prise. « Nous n’en sommes qu’aux premières étapes de cette évaluation, a tenu à rappeler EY dans un communiqué à la presse. Nous évaluons régulièrement les options stratégiques susceptibles de renforcer davantage les activités d’EY à long terme. Tout changement significatif ne se produirait qu’en consultation avec les régulateurs, et après les votes des partners d’EY. »

Ces derniers doivent se prononcer dans chacune des entités nationales du réseau qui compte pas moins de 700 bureaux et emploie 312 250 personnes dans 150 pays, dont 5 980 en France.

D’après l’Australian Financial Review, les partners conseil d’EY jugent cependant la scission « inévitable » étant donné le contexte actuel et les pressions de la part des régulateurs sur l’audit. Un ancien associé explique que « les activités d’audit du cabinet rendent difficile la vente de services de conseil, en particulier dans des secteurs tels que le commerce de détail » et que « les consultants se plaignent que la partie audit de l’activité soit en fait un frein du côté du conseil ».

Les scénari possibles

Reste la question de la mise en œuvre d’une telle décision, si elle venait à être validée. Sur ce sujet, on est loin du consensus. Et ce n’est pas la récente démission de la patronne d’EY US, Kelly Grier, après 30 ans de maison, qui va clarifier la situation, comme le rappelle le Financial Times.

Trois grandes options s’offrent à EY pour scinder sa branche conseil. La première serait de vendre simplement l’activité. Mais tout le monde ne pourra pas se l’offrir. Pour rappel, elle a rapporté pas moins de 26 milliards de dollars de chiffre d’affaires à EY l’an dernier, soit 65 % des recettes globales du cabinet (40 milliards de dollars). À moins de passer par un fonds d’investissement, avec le risque de voir l’actif vendu à nouveau au bout de trois à cinq ans.

L’autre hic avec cette solution, ce sont les problèmes culturels susceptibles de se produire post-acquisition, comme cela s’est produit en 2000 lorsqu’Ernst & Young a vendu sa branche conseil à CapGemini et comme le rappelle l’Australian Financial Review.

Autre solution possible : la cotation en Bourse, comme l’a fait avec succès Accenture un an après sa scission avec sa société mère, Andersen Worldwide, au début des années 2000. Bien que séduisante, l’opération serait toutefois plus compliquée à mettre en œuvre qu’une vente privée.

EY aurait fait appel à JPMorgan et Goldman Sachs pour les conseiller dans l’une ou l’autre de ces options.

Deloitte dans les starting-blocks

Dans tous les cas, ce projet fait réfléchir les autres Big Four. D’après le Wall Street Journal, Deloitte réfléchirait lui aussi à scinder ses activités audit et conseil, dans une logique similaire à celle d’EY. Le cabinet étudie à l’heure actuelle un plan stratégique en ce sens.

Officiellement, les deux autres Big Four restent sur leurs positions. « Nous ne spéculons pas sur les projets des autres entreprises. Notre conviction, c’est que notre modèle multidisciplinaire nous confère de nombreux bénéfices, comme la diversité des talents et la dimension mondiale », assure-t-on sous couvert d’anonymat chez l’un d’eux.

Mais avec Deloitte dans son sillage, le séisme déclenché par EY serait un énorme bouleversement dans le monde des quatre géants mondiaux. Car si la moitié des Big Four change de stratégie, « nous devrons tous revoir notre position », a confié au Financial Times un associé principal d’un des cabinets concurrents d’EY. « Mais ce ne sera ni rapide ni instinctif », a-t-il ajouté, précisant que la réaction des régulateurs pèserait dans la décision finale des autres cabinets.

0
tuyau

Un tuyau intéressant à partager ?

Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !

écrivez en direct à la rédaction !

commentaire (0)

Soyez le premier à réagir à cette information

1024 caractère(s) restant(s).

signaler le commentaire

1024 caractère(s) restant(s).
9 - 1 =

Monde

  • New York : BCG et Deloitte croquent la Grosse Pomme
    18/05/23

    Si les deux cabinets avaient été retenus pour conseiller l’État de New York pour 5 ans et un plafond de 60 millions de dollars, leurs honoraires ont bondi à 200 millions de dollars, notamment du fait de la pandémie de covid.

  • Le sport universitaire américain fait appel à l’expertise de Bain
    17/05/23

    Le cabinet Bain & co a été choisi par la National Collegiate Athletic Association (NCAA), plus grande organisation sportive universitaire au monde, pour revoir sa stratégie commerciale.

  • Le Kilimandjaro à deux sur « 3 pattes »
    16/05/23

    Un consultant du BCG, adepte des défis humains et sportifs, a réussi l’ascension du Kilimandjaro en binôme. Petit détail : les deux compères s’étaient scotchés chacun une jambe pour sensibiliser à la maladie de Charcot Marie Tooth .

  • Les tensions économiques américano-chinoises rebondissent chez Bain
    05/05/23

    La police de Shanghai s’est rendue dans le bureau local de Bain pour y interroger plusieurs employés, alors que les tensions géopolitiques et commerciales entre la Chine et les États-Unis ne cessent de croître.

  • Oliver Wyman : après 3 années d’essor, le T1 2023 atteint un plateau
    24/04/23

    Selon des résultats publiés par la maison-mère du cabinet Marsh McLennan le 20 avril 2023, le premier trimestre 2023 marque une stabilisation de l’activité.

  • Nouveau coup de frein sur les recrutements
    21/04/23

    C’est une information du Wall Street Journal : aux États-Unis, McKinsey et Bain ont adressé simultanément des propositions de report de dates de démarrage à des recrues à qui des offres d’embauche avaient déjà été adressées. En France, plusieurs cabinets prévoient également un certain ralentissement des recrutements.

  • New York : un discours signé BCG et Deloitte à 2 millions de dollars
    20/04/23

    Après s’être procuré des documents publics, le New York Times a révélé que Kathy Hochul, gouverneure démocrate de l’État de New York, avait fait appel à Deloitte Consulting et au BCG pour l’aider à écrire son discours du « state of the State », qui dicte chaque année les grandes orientations budgétaires du pouvoir local.

  • Strategia déploie ses ailes aux States
    19/04/23

    Deux ans seulement après la création du cabinet pure player de conseil en stratégie de croissance durable, et l’ouverture d’un premier bureau en Chine fin 2021, les associés de Strategia, initialement basés à Paris et à Zurich, ouvrent un nouveau bureau aux États-Unis à Seattle.

  • Le « Split EY » renvoyé aux Calendes grecques
    13/04/23

    8 septembre 2022 – 11 avril 2023. Voilà quelle aura été la durée de vie publique du gigantesque plan de séparation des activités de conseil et d’audit, surnommé « Project Everest », qu’EY préparait en interne depuis novembre 2021. Le Financial Times annonçait mardi que le Big Four renonce à son projet, tout en laissant la porte ouverte à une séparation ultérieure dont les contours sont encore très flous.

Monde
ey, deloitte, audit, big4, big four, auditeur
10684
EY Parthenon Global Strategy Group
2022-06-24 07:45:10
0
Non