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Les nouveaux défis du transport aérien face à l’explosion du nombre de passagers

Avec des prévisions inégalées de passagers pour 2024, le secteur du transport aérien affiche de belles perspectives. Mais les acteurs sont-ils prêts à faire face à l’afflux toujours plus massif de passagers ? Et ce, dans une nécessaire transformation d’offre de transport aérien durable. La vision de consultants dédiés, Lionel Chapelet, associé, et Sébastien Charbonnel, senior manager chez PMP Strategy, et Michel Zarka, ex-partner d’Oliver Wyman et d’Eight Advisory, à la tête aujourd’hui d’Aluzia Partners, son cabinet spécialisé Orga/Transfo.

Barbara Merle
01 Aoû. 2024 à 12:00
Les nouveaux défis du transport aérien face à l’explosion du nombre de passagers
© Elenathewise/Adobe Stock

Les chiffres donnent le vertige : près de 5 milliards de passagers transportés estimés en 2024. Ce sont 400 000 passagers de plus qu’en 2023, une année identique à 2019, qui avait été elle-même une première année record avec 4,6 milliards de passagers. Juste avant l’arrêt quasi total des vols internationaux suite à la pandémie mondiale. Pas moins, « la pire année de l’histoire pour la demande de transport aérien », selon les experts. Le nombre de passagers avait ainsi chuté de 60 % en 2020 et les revenus du secteur de près de 70 %, selon les sources de l’Association de transport aérien international (IATA).

Depuis, l’horizon s’est donc totalement dégagé. Selon l’IATA, toujours, les recettes du secteur pourraient atteindre un nouveau record cette année de près de 1 000 milliards de dollars (920 milliards d’euros), avec des bénéfices nets de près de 26 Mds $. Pour preuve, Airbus et Safran avaient annoncé dès 2023 des commandes historiques. « Le besoin humain de voler n’a jamais été aussi fort. Il ne fait aucun doute que l’aviation est essentielle aux ambitions et à la prospérité des individus et des économies », a ainsi appuyé le DG de l’IATA, Willie Walsh, lors de la dernière assemblée générale annuelle en juin dernier.

Des données à la loupe

Et ce n’est pas fini, loin s’en faut. Le nombre de passagers devrait ainsi doubler d’ici 20 ans. « Nous parions sur un doublement du nombre de passagers transportés de 5 à 10 milliards de passagers en 2050, alors qu’il y aura 9 milliards d’humains sur Terre. On fait donc le pari que l’on va transporter une grande partie de la population mondiale, une hypothèse sur laquelle je reste prudent », relativise cependant le consultant expert en organisation et transformation, Michel Zarka. Des chiffres qui questionnent aussi du côté des consultants Transports/mobilité de PMP Strategy. « Il faut aussi étudier les mailles géographiques, l’Europe ne connait pas les mêmes réalités que le Moyen-Orient, l’Asie ou les États-Unis. Si les retours du trafic s’avèrent assez bons à l’échelle mondiale, l’Europe est loin d’être revenue partout au niveau de 2019, et la Chine a mis très longtemps avant de se remettre en route par exemple. Plus localement et plus ponctuellement également, la France observe aujourd’hui un léger phénomène d’évitement, avec les JO», pointe Sébastien Charbonnel, senior manager de PMP Strategy. Si l’on zoome encore, au niveau national, tout le monde n’est pas non plus logé à la même enseigne pour l’associé de ce cabinet Lionel Chapelet. « Les différences restent très fortes entre le trafic international et domestique. Les trajets courts loin restent moins nombreux qu’avant. Et puis cela dépend également du type de trafic. Si les voyages de loisirs se portent bien, les voyages d’affaires ne sont pas encore revenus au niveau d’avant-covid dans de nombreux aéroports européens. »

Les acteurs face à leur avenir

Ces perspectives de forte croissance du trafic mondial de l’aérien sur le moyen terme induisent de nouvelles problématiques pour les différents acteurs, constructeurs, compagnies aériennes, aéroports, sous-traitants… « Ils ont du mal à se positionner face à ces tendances et sont tiraillés entre le besoin de croissance et la volonté annoncée de faire changer les habitudes des clients (c.-à-d. de moins voyager en limitant notamment les courts trajets/séjours) », appuie Sébastien Charbonnel de PMP Strategy. Même si une chose est sûre, comme le souligne Lionel Chapelet, c’est « que ces acteurs ont envie de mettre la crise covid derrière eux et de refaire des plans à long terme, car le secteur nécessite de très lourds investissements et il faut donner des garanties et de la visibilité aux investisseurs et financeurs, notamment dans un contexte de transition du secteur».

C’est notamment le cas des constructeurs, comme le pointe Michel Zarka, car les quelque 5 milliards de personnes qui ont voyagé en 2024 le sont sur une flotte vieillissante. Ce qui pose d’ores et déjà la question de son renouvellement. « Airbus a annoncé récemment une demande de plus de 42 000 avions d’ici 2045 ce qui correspondrait à un doublement de la flotte en partant d’une situation aujourd’hui de plateau de production pour tous les constructeurs à la suite de la crise covid en premier lieu. Cette situation ne se résorbera pas rapidement, car des compétences et des pratiques ont été perdues sur toute la chaîne et ne se reconstitueront pas facilement. On peut assister à un plateau de production pendant encore 2 ou 3 ans, ce qui rend l’anticipation de volume plus incertaine. Les montées en cadence anticipées par les constructeurs sont extrêmement ambitieuses. Sachant qu’aujourd’hui, Airbus livre moins qu’en 2017 et Boeing n’en livre pas… Que Comac (moyen-courrier chinois, dont le premier vol commercial s’est déroulé en mai 2023, ndlr) est limité, car pas encore certifié et dépend de fournisseurs européens, comme Safran, pour ses moteurs. Et cela ne va pas évoluer d’un coup de baguette magique ! » Une explosion du trafic aérien civil qui pose aussi d’autres problématiques pour les autres acteurs selon le CEO d’Aluzia Partners, comme « les capacités d’accueil/d’engorgement des aéroports, le contrôle aérien, la maintenance des avions, les politiques commerciales, les personnels ».

Face à une transfo de fond du secteur

En France, si la filière se porte plutôt bien (un chiffre d’affaires en hausse de 9 %) avec des entreprises-vitrines (Safran-Airbus) qui apportent l’eau au moulin de la balance commerciale, la situation est inégale au cas par cas. Car au-delà de la nécessaire et coûteuse décarbonation de l’industrie aéronautique, les acteurs font face à plusieurs défis critiques dans leur nécessaire transformation : l’augmentation des cadences de production, la réindustrialisation par l’autonomie stratégique et la compétitivité, la sécurité, le recrutement et la formation, la sécurisation des financements. Dans ce cadre, les ministres français ont signé fin décembre dernier le nouveau contrat stratégique de filière (CSF) «Aéronautique» pour la période 2024-2027. À la clef, deux dispositifs : le lancement du fonds dédié Tikehau Aéro Partenaires 2 (qui devrait lever jusqu’à 800 M€) et deux appels à projets, la production en France d’aéronefs bas-carbone et le développement d’une filière de production française de carburants aéronautiques durables. De beaux et grands projets, certes… « Il est juste d’avoir de l’optimisme. La flotte va augmenter, c’est certain, mais va-t-elle plus que doubler ? Pas sûr. Il faut également rester prudent sur ces questions de supply chain, note Michel Zarka, qui est longuement intervenu dans ce secteur au sein de Theano Advisors et d’Oliver Wyman. Car le covid a fait perdre des compétences presque partout dans le monde, sauf en Chine, et du temps va être nécessaire pour des raisons financières et humaines afin de retrouver ces compétences tout le long de la chaîne de valeur, et ce, à des niveaux de cadence supérieurs. Et puis, c’est très bien de créer des fonds dédiés comme Tikehau, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont eux-mêmes soumis à des rendements financiers, donc investiront là où c’est le plus rentable pour les retours attendus pour leurs mandants ». 

L’enjeu central de la décarbonation du secteur

Côté consultants, et notamment pour PMP Strategy, ce sont des missions tous azimuts auprès des différents acteurs : l’optimisation de la performance opérationnelle des modèles pour les compagnies aériennes, le développement international pour les aéroports ou industriels soumis à des réglementations très fortes en Europe ou l’amélioration de la supply chain, ou encore la recherche d’actifs à bon potentiel pour les fonds, ou encore bien sûr, la décarbonation. « La décarbonation totale du secteur ne peut s’envisager qu’à des horizons moyens/longs termes. À court terme, cela se traduit par le développement de carburants durables (SAF) et l’optimisation des moyens et de la performance. Mais, de toute façon, en France, les acteurs n’ont juste pas le choix, avec des objectifs fixés ambitieux qui donnent un cap afin que les acteurs se mettent en route. Par exemple, pour les aéroports européens qui communiquent sur leur trajectoire d’émission nette 0, il n’est pas question de 0 émission, mais plutôt de compenser leurs émissions, ce qui est déjà un objectif volontaire et ambitieux», ajoute Lionel Chapelet, associé du cabinet. 

La décarbonation, un os pour l’aérien civil ? C’est certain pour le CEO d’Aluzia Partners, Michel Zarka. Car la filière décarbonation n’est pas mature, c’est peu de le dire. Les avions hybrides et électriques en sont à leur balbutiement. Quant aux avions à hydrogène, « c’est une foutaise ! tonne Michel Zarka, car la technologie n’est pas maitrisée, la filière et la supply chain dédiées ne sont pas constituées. Quant aux carburants alternatifs, nous n’avons pas les capacités de production à l’échelle ». Les contraintes environnementales des aéroports également rendent très difficiles la construction et/ou l’agrandissement pour répondre à la croissance de la demande, « des facteurs potentiellement limitants que l’on ne prend pas suffisamment en compte », appuie-t-il.

Ce sujet de la décarbonation du secteur, une dynamique principalement des pays développés en Europe et Amérique du Nord pose également problème pour Sébastien Charbonnel, car « un sujet de concurrence va se poser, notamment par rapport aux pays limitrophes à la zone euro qui sont eux moins-disant et offrent un cadre moins contraignant pour les compagnies». Mais point positif pour Lionel Chapelet, qui constate que « tous ceux qui investissent dans la décarbonation et la transformation de leur modèle sont considérés comme des markets makers». L’enjeu de décarbonation, un sujet épineux en effet, comme l’a reconnu en ce début d’année Guillaume Faury, le DG d’Airbus, « après les années 2021-2023, où ont été posées les grandes lignes de cette feuille de route, on entre dans le dur ».

Transporter deux fois plus de voyageurs d’ici 2050 et, ce, dans une approche durable, face à une concurrence internationale moins-disant sur le sujet, cela parait encore à l’heure actuelle un bel objectif utopique. Le secteur français (et européen) doit rapidement trouver les clefs de cette complexe équation.

PMP Strategy Lionel Chapelet
Barbara Merle
01 Aoû. 2024 à 12:00
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Adeline
transports - tourisme
Lionel Chapelet, Sébastien Charbonnel, Michel Zarka, transport, aérien, pmp strategy, décarbonation, aéronautique, compagnie aérienne
13844
PMP Strategy
Lionel Chapelet
2024-08-03 18:30:45
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