Travel Retail : le duty free cloué au sol
Les voyageurs sont de retour dans les aéroports, mais le marché du duty free peine à redémarrer. Éclairage et pistes de stratégie avec des partners d’Advancy, Advention et Arthur D. Little.
Le rude coup porté par la crise du Covid au trafic aérien a fait au moins une victime collatérale : le commerce au sein des hubs aéroportuaires, qui représente la majeure partie du travel retail. Depuis 2022, les voyageurs remontent massivement dans les avions, mais le chiffre d’affaires des boutiques d’aéroport - duty free et restauration - ne suit pas vraiment.
Le marché du travel retail est organisé autour de grands opérateurs qui font le lien entre les aéroports (ou autres infrastructures de tourisme ou de transport) et les marques. C’est un marché très concentré, autour de géants comme le Suisse Avolta (anciennement Dufry, avant la fusion avec l’Italien Autogrill en 2023) ; DFS Group, contrôlé par LVMH et basé à Hong Kong ; Lagardère Travel Retail ; China Duty Free Group, le Coréen Lotte, ou encore l’Allemand Heinemann. « L’aéroport alloue les espaces, explique Mathieu Blondel, partner chez Arthur D. Little, puis conclut un contrat avec l’opérateur, par lequel il lui confie l’investissement et l’exploitation des surfaces pendant une période définie, de 5 à 10 ans en général. Ce contrat prévoit qu’un pourcentage du chiffre d’affaires soit reversé à l’aéroport, suivant un calcul assez fin, par types de produits. Il s’agit de partager la marge. »
Une crise avant tout asiatique
La performance du travel retail est bien sûr en grande partie corrélée au trafic de passagers, mais la courroie de transmission semble cassée. « Le trafic aérien a atteint 4,8 milliards de passagers en 2024, soit 5 % de plus qu’en 2019, selon Laurence-Anne Parent, partner chez Advancy. Il devrait continuer à croître de 4 ou 5 % en 2025. Pourtant, le marché du travel retail, même s’il a bien rebondi après l’année 2020, reste 15 % en dessous de 2019, à 74 Mds $ contre 86Mds $ 5 ans plus tôt. » Il y a un changement en profondeur des comportements des consommateurs.
En réalité, si l’on regarde le temps long, on s’aperçoit que les déterminants de la croissance sont essentiellement situés, ces 10 dernières années, sur le continent asiatique. « Le duty free a commencé à croître de façon spectaculaire à partir des années 2000, analyse Mathieu Blondel. Le coup de frein sur la croissance suite au Covid a mis un coup d’arrêt à cette croissance. »

Graphiques : © Arthur D. Little
Cette évolution globale du marché dissimule de fortes disparités régionales. « En Europe et en Amérique du Nord, le volume d’activité n’a pas vraiment évolué depuis 10 ans. La croissance des années 2010 était tirée par l’Asie et plus particulièrement les acheteurs chinois. De même, le ralentissement est largement lié au marché asiatique, qui a fondu d’un tiers entre 2019 et 2024. » Et, comme le souligne Mathieu Blondel, la réalité serait forcément pire avec des chiffres en dollars constants.
Un découplage trafic/dépenses qui s’explique en partie par le profil des voyageurs
Et maintenant ? « Le nombre de voyageurs en 2025 va continuer à augmenter plus vite que le marché du travel retail », poursuit Hamza Benhaddou, associate partner chez Advancy. Pourquoi ce découplage ? L’une des raisons est précisément à rechercher dans le fait que « Les Chinois et les Russes voyagent moins ; or, ils ont tendance à dépenser davantage que la moyenne », explique Alban Neveux, CEO d’Advention. La rareté des Chinois est à mettre en lien avec l’offensive lancée par le gouvernement chinois contre les daigou, ces « Chinois qui se rendaient à l’étranger pour acheter des produits, souvent au duty free, pour les revendre sur le marché interne ». À relier aussi, selon certains experts, à l’efficacité de la lutte du gouvernement chinois contre la corruption : le duty free serait un moyen privilégié d’acheter des cadeaux pour obtenir les faveurs de hauts fonctionnaires.
D’autres facteurs interviennent aussi. « Les consommateurs dépensent moins et mieux, de façon plus réfléchie, analyse Laurence-Anne Parent, ils demandent davantage d’expériences uniques autour de la découverte et du bien-être ; ils sont beaucoup moins dans une logique d’achat d’aubaine. Aujourd’hui, cela se traduit par des paniers moins élevés et moins de dépense au global. » Dans le même temps, la dépense en aéroport s’oriente davantage vers la restauration, où les montants par voyageur sont moins élevés. Le duty free en aéroport n’est d’ailleurs plus synonyme de « bonne affaire ». En cause, notamment, la concurrence forcenée entre les opérateurs pour obtenir les contrats avec les aéroports. « Dans les années 2000, explique Mathieu Blondel, la redevance acquittée par les opérateurs aux aéroports représentait autour de 20 % à 25 % du chiffre d’affaires. En 2019, on était plutôt à 30 %, voire plus. » Les prix de vente s’en sont ressentis. « Le principe du duty free, c’est de pouvoir vendre 80, ce qui vaut 100 en ville. Pour augmenter la redevance versée à l’aéroport tout en préservant la marge, il faut vendre à 90. L’image prix s’est donc dégradée par rapport à ce qu’elle était il y a 25 ans. »
Dernier facteur, mentionné par Alban Neveux : « Le recul du voyage d’affaires ne s’est que partiellement rétabli après le Covid. » Or, il s’agissait là d’une clientèle fortement consommatrice de produits en duty free.
Réinventer le duty free : un défi stratégique
La stagnation du travel retail a donc des causes multiples, dont certaines sont durables. Mathieu Blondel le constate : « Les surfaces se sont agrandies, on a réinventé l’implantation des commerces. Mais il est difficile aujourd’hui d’aller beaucoup plus loin : on ne peut pas doubler les surfaces ni facilement se développer dans de nouvelles catégories de produits lucratives, puisqu’on trouve désormais presque tout dans les aéroports. »
Les partners interrogés distinguent 3 leviers stratégiques actionnés par les opérateurs pour relancer l’activité. Il y a d’abord la connaissance des clients grâce au digital. « Les programmes de fidélité sont un moyen d’avoir accès aux données clients, mais les opérateurs aimeraient pouvoir aller plus loin et obtenir que les compagnies aériennes partagent la data. Cela permettrait d’activer les clients au fil de leur voyage. » « Il y a un vrai changement de paradigme dans la relation entre les opérateurs et les marques, estime quant à lui Hamza Benhaddou. Nous sortons du modèle classique de distribution pour aller vers un modèle d’alliance, dans lequel l’opérateur et la marque travaillent ensemble à la création de valeur. Notamment à partir de la valorisation de la donnée client. C’est en ligne avec ce qu’on observe dans le retail multimarque en général. » « L’IA permet une connaissance client prospective, affutée et actionnable pour aller chercher de façon très concrète à la fois de la désirabilité pour le travel retailer et les marques, et de la création de valeur, ajoute Laurence-Anne Parent, en faisant des analyses prédictives sur le comportement à partir de tendances identifiées sur les réseaux sociaux, sur les tribus clients comparables et sur les achats passés. »
Deuxième levier : l’amélioration de l’offre et des opérations. « Il s’agit de travailler sur l’expérience vécue par les clients, sur l’animation des zones, sur le comportement des équipes commerciales. », décrit Mathieu Blondel. « Le hub de Singapour ressemble presque à un musée, l’expérience est totalement immersive », remarque à ce sujet Alban Neveux. Une piste est « la premiumisation de l’offre, en se concentrant sur le luxe et les accessoires de mode, qui représentent des tickets moyens plus élevés que l’alimentaire ou la cosmétique. » Par ailleurs, « les millenials sont en attente d’offres renouvelées. Les grands acteurs travaillent sur des nouveaux concepts : magasins écoresponsables, produits locaux, précommande sur mobile, click and collect, livraison à bord… »
Le dernier facteur est le pricing, lui-même corrélé à la maîtrise des coûts. Pour Mathieu Blondel, « il est possible de travailler sur les coûts, en négociant avec les marques via les centrales d’achats. Peut-être allons-nous assister aussi à une stabilisation, voire une baisse des taux de redevance versés aux aéroports ». La technologie peut aussi aider. « Au-delà le connaissance client, rappelle Hamza Benhaddou, l’IA permet de travailler sur d’autres enjeux à fort impact de valeur ajoutée. Sur l’optimisation de l’assortiment : le bon produit, au bon endroit, à la bonne période. Sur la prévision des ventes et donc les bons niveaux de stocks et d’achats. Et sur l’efficacité des équipes, en automatisant les tâches à faible valeur, pour que les collaborateurs dégagent du temps sur ce qui compte vraiment en magasin, la vente et le conseil client.»
Les grands opérateurs sont-ils conscients de ces enjeux ? Manifestement oui, mais « tous les acteurs ne privilégient pas les mêmes leviers, précise Alban Neveux. Avolta travaille plutôt sur la digitalisation, le click and collect, le reserve and collect ; Lagardère met l’accent sur les magasins écoresponsables et l’offre alimentaire ; LVMH se concentre plutôt sur le luxe, la maroquinerie, les coffrets cadeaux… » En somme, « le travel retail repose toujours sur une équation à trois inconnues : le trafic de voyageurs, le taux de transformation et le panier moyen. Aujourd’hui, le trafic augmente. Les acteurs travaillent sur l’attractivité de l’offre pour améliorer le taux de transformation. La premiumisation vise à améliorer le panier moyen ». Y a-t-il des raisons d’être optimiste ? « Il y a des signaux positifs. La reprise du trafic aérien est une réalité, et les chiffres du tourisme sont impressionnants. Les fondamentaux sont très solides à long terme. La Chine prévoit notamment d’ouvrir 160 aéroports dans les 10 années qui viennent, en plus des 240 déjà existants ! »
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