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Métamorphoses du tourisme, trois associés témoignent

En apparence, le tourisme a retrouvé sa situation d’avant-Covid. Mais derrière les chiffres, les partners spécialistes du sujet décrivent des acteurs en pleine transformation.

Bertrand Sérieyx
04 Aoû. 2025 à 05:00
Métamorphoses du tourisme, trois associés témoignent
© PxHere

Après un début de décennie 2020 marqué par le coup d’arrêt du Covid, les acteurs du tourisme ont dû affronter une succession rapide de crises et de tensions géopolitiques.    L’activité est revenue, mais au prix d’adaptations et de changements constants. 

Le Covid, cygne noir et meurtrier

Les 3 partners que nous avons interrogés, Vincent Delaeter (Advancy), Mickaël Tauvel (Arthur D. Little) et Sébastien Vincent (Simon-Kucher), sont unanimes : la crise du Covid a porté un coup particulièrement brutal au tourisme. « En 2020, l’activité est tombée à 70% de son niveau habituel : on peut parler de catastrophe industrielle », estime Mickaël Tauvel.

Sur ce qui a suivi, en revanche, nos experts divergent sur la chronologie. Pour Mickaël Tauvel, « en 2022, le secteur a redémarré, et a retrouvé son niveau d’avant crise en Europe en 2023. Depuis 2024, nous sommes probablement en train d’arriver en haut de la courbe. » En somme, on observe à l’échelle mondiale ce que l’on constate lors de crises plus locales. « Après la tentative de coup d’Etat en Turquie en 2016 et l’attentat de 2017, le tourisme dans le pays a mis 5 ans à rattraper son niveau antérieur. C’est ce que l’on constate généralement après des crises importantes ».

Vincent Delaeter s’accorde avec cette analyse. « Le tourisme a la faculté d’être globalement résilient, en dehors des « black swan events », comme l’a été, justement, le Covid. Quand on interroge les Français sur leurs dépenses pré- et post-Covid, on s’aperçoit que les vacances sont le poste qui s’est le mieux maintenu avec la nourriture. » Au sortir du confinement, les acteurs qui ont maintenu ou augmenté leurs prix en tablant sur cet appétit de loisirs en sont sortis gagnants.

Seul Sébastien Vincent semble voir les choses un peu différemment, au moins sur la datation des phases. Pour lui, « le tourisme a connu un très fort rebond en 2021-2022 ; à partir de 2023 mais surtout 2024, l’activité a commencé à ralentir, et 2025 ne s’annonce pas comme une année facile ; on est loin de l’effervescence de l’après-Covid. Il n’y a pas de retour à la normale ; de mon point de vue, il n’y a plus vraiment de « normale » ». Cette divergence de vues est sans doute moins radicale qu’il n’y paraît : tous s’accordent sur un rebond post-Covid, même s’ils diffèrent sur les dates exactes ; et tous perçoivent ou anticipent des difficultés plus ou moins importantes dans un avenir proche.

Les touristes reviennent, mais qui sont-ils ?

Une chose est sûre, la composition des flux n’est plus tout à fait la même qu’avant le Covid. Pour Mickaël Tauvel, « la clientèle asiatique n’est pas totalement revenue en Europe ; on est entre 10 et 15% en-dessous du niveau d’avant-crise. » Dans le même temps, « du fait de l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, les touristes asiatiques se détournent fortement du marché américain. Avant Trump, 35% des Chinois qui voyageaient hors d’Asie se rendaient aux Etats-Unis ; ils ne sont plus que 25% cette année ».

Dans le même temps, par la force des choses, on rencontre moins de touristes russes et ukrainiens en Europe. « Ils représentaient autour de 5% du tourisme international ». La guerre, initialement, avait aussi affecté d’autres destinations. « En 2022, la crise a fortement affecté l’Europe de l’est, en Hongrie, en Pologne. Mais ce recul ne s’est pas installé ». En pratique, analyse Sébastien Vincent (Simon-Kucher), « les guerres ont un impact local, mais pas vraiment sur le tourisme global. Elles entraînent des reports de destinations, relativement indolores pour les grands acteurs. Mais l’ère Trump a inauguré une nouvelle dynamique qui est celle de l’inconnu : on ne sait pas sur quel pied danser. »

Pour Mickaël Tauvel (Arthur D. Little), « L’impact à court terme de l’élection de Donald Trump est très net. On parle d’une baisse de l’ordre de 10% au premier semestre 2025, et même 17% pour les Européens ». La rumeur dit même que le prix des billets pour les Etats-Unis aurait baissé, mais pour le moment les chiffres ne le confirment pas. 

Un sous-secteur du tourisme a été durablement marqué par la crise : c’est le tourisme d’affaires, frappé par l’essor des réunions à distance comme par les politiques RSE des entreprises. « Avec le Covid », estime Sébastien Vincent (Simon-Kucher), « on s’est rendu compte qu’il n’était pas nécessairement utile de se déplacer systématiquement pour les réunions clients. Le nombre de voyages a baissé. » Résultat : « avant 2019, le tourisme d’affaires représentait 45% des nuitées d’hôtellerie en France. Aujourd’hui, on est tombé à un tiers », commente Mickaël Tauvel. « Le tourisme business n’a pas repris son niveau d’avant 2020 », confirme Vincent Delaeter ; « on est à -10 à -15% par rapport à l’avant crise »

Dans les transports, l’avion toujours au top

Sur le volet « transports », les consultants constatent un retour massif de l’avion. « L’aérien a retrouvé son niveau pré-Covid. De nouvelles routes loisirs via les low cost continuent à se créer, en témoigne l’extension de Luton », l’un des aéroports desservant Londres. . « Le secteur continue à tabler sur une croissance. » Des lignes nouvelles apparaissent, pour lesquelles il fallait autrefois que les voyagistes affrètent des charters : « On peut désormais faire Limoges Marakkech, Toulouse Rabbat, Paris Fez… »

Les compagnies aériennes s’adaptent aux changements, mais elles contribuent aussi à créer ou amplifier les flux, comme l’explique Mickaël Tauvel. « Les compagnies peuvent se montrer assez réactives aux évolutions de la politique internationale pour réaffecter les vols. C’est pourquoi les pays s’attachent à séduire les compagnies avant même de séduire les touristes ».

Le ferroviaire a-t-il pour autant perdu la bataille ? Assurément non. « 2024 a été une année historique pour le train en France. La préférence des Français pour ce mode de transport va se matérialiser à mesure que la concurrence va arriver en France et que de nouvelles rames seront mises en service. D’autant que l’aérien est en fait assez peu important sur le marché domestique. » Un partage des distances confirmé mais nuancé par Sébastien Vincent. « En France, en trajet direct, le train bat l’avion. Mais ce n’est plus le cas dès qu’il y a une connexion. A l’international, en revanche, l’avion est toujours gagnant. Même si la mauvaise image-prix du train n’est pas forcément 100% rationnelle. »

L’hôtellerie vend ses murs et s’ouvre au plein air, les voyagistes à la peine

Du côté des grands acteurs de l’accueil et du voyage, l’heure est au changement permanent. « Nous accompagnons les entreprises dans un monde VUCA » (volatility, uncertainty, complexity, ambiguity), explique Mickaël Tauvel, en les incitant à s’adapter, souvent dans le prolongement de transformations entamées dès les années 2010. La vente des murs est une de ces tendances. « Dans l’hôtellerie, on assiste au déploiement de modèles « asset-light », où l’on préfère opérer des franchises plutôt que de posséder ses actifs. Le groupe Accor, qui a adopté ce modèle depuis plus longtemps, a moins souffert que d’autres de la crise du Covid. »  Dans le même temps, le monde l’hébergement développe « des microfranchises, plus ancrées dans les territoires, plus ciblées », plutôt que des méga-chaînes d’hôtels.

L’adaptation passe aussi par une diversification de l’offre, un conseil qui revient souvent dans la bouche des partners. Un exemple marquant est celui de l’hôtellerie de plein air, qui «  a connu un essor considérable à partir des années 2010, avec le soutien de fonds privés et d’investissements massifs. Par rapport à l’avant-crise, le plein air a progressé de 9% en nombre de nuitées, et de 35% en valeur, grâce à une forte montée en gamme de l’offre ».

Les vendeurs de voyages, en revanche, sont mis à rude épreuve. « Les distributeurs, les voyagistes sont beaucoup plus impactés. Leur écosystème est de plus en plus compétitif, avec d’une part l’irruption de nouveaux acteurs qui font du packaging d’offres comme les compagnies aériennes, ou encore AirBnB ; et d’autre part le développement d’agences de voyage spécialisées dans certains thèmes, comme Voyageurs du Monde ou Terre d’Aventure… Ils doivent faire preuve de beaucoup d’adaptation pour survivre ». Diversification ou spécialisation thématique, pour les voyagistes, sont des stratégies de survie. « Les voyagistes qui dépendent d’un pays récepteur ou émetteur sont peu résilients face aux crises qui affectent leur zone », expose Vincent Delaeter. « En réaction, les investisseurs poussent les acteurs à se diversifier, pour éviter d’être dépendants d’un flux. »

Face à ces évolutions, les acteurs du tourisme sont donc acculés au changement. « Depuis 2024, on s’oriente vers un nouvel équilibre entre prix et volume, différent d’avant la crise, mais stabilisé ». Pour s’en sortir, « les acteurs s’intègrent intelligemment, pour gagner davantage en marge et en contrôle de leurs actifs cœurs ».

Globalement, le secteur touristique a de beaux jours devant lui, même s’il est soumis à des recompositions constantes. Contrairement à ce qu’on pourrait penser au vu de leur sensibilité aux sujets environnementaux, constate Mickaël Tauvel, « les générations Y et Z ont envie de voyager, de découvrir le monde, mais de façon plus authentique que leurs parents et grand-parents. Les ¾ d’entre eux veulent des expériences hors des sentiers battus. » Une demande de plus en plus difficile à satisfaire.

Advancy Arthur D. Little (ADL) Simon-Kucher Mickael Tauvel Sébastien Vincent Vincent Delaeter
Bertrand Sérieyx
04 Aoû. 2025 à 05:00
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transports - tourisme

Lydie lacroix
transports - tourisme
tourisme post-Covid, reprise, mutations, secteur touristique, clientèle internationale, tourisme d’affaires, modèle d’affaires, conseil en stratégie
14773
Advancy Arthur D. Little (ADL) Simon-Kucher
Mickael Tauvel Sébastien Vincent Vincent Delaeter
2025-07-31 12:06:32
0
Non
Tourisme post-Covid : rebond, tensions et mutations
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