Le conseil en strat’, voie royale ou voie de garage pour les data scientists ?
« Les bons data scientists n’ont aucun intérêt à aller dans un cabinet de conseil en stratégie. Soit ils vont dans un GAFA, soit ils créent leur boîte, deux options où ils sont payés au max », lance pour le moins abruptement l’auteur-conférencier-entrepreneur Stéphane Mallard (relire notre article).

Et l’auteur en remet une couche : « Les cabinets font croire qu’ils sont bons en embauchant ces profils, mais les cabinets n’ont pas les moyens de rivaliser avec les géants du numérique qui montent leur propre offre de conseil. » Une réalité ou un jugement à l’emporte-pièce ? Consultor a posé la question.
D’abord, faut-il encore faire la part des choses.
Primo, sur la réalité d’un effet de masse des data scientists vers le secteur du conseil en stratégie en France. Selon une étude réalisée par Darwin X, un cabinet de conseil à la croisée des chemins entre business, data et tech, ces funambules de la donnée ne représentent encore que 3 % des effectifs globaux des cabinets de cabinets de conseil en stratégie, quelques dizaines de profils tout au plus. C’est un point de plus que sur l’ensemble des employés des entreprises françaises. Leur présence n’est donc pas massive dans l’ensemble des cabinets.
Le conseil en strat’ : choix ou solution de repli ?
Alors pourquoi ces profils ultra-pointus, entre informatique, stat et maths, choisissent-ils le conseil en stratégie ? Sur ce point, les avis restent pour le moins partagés, à l’image de Stéphane Mallard, qui pense que ce secteur est une voie de secours pour les moins bons, et de Dominique Mary, fondateur de Darwin X et ancien associate partner chez McKinsey puis senior executive au BCG,
« C’est un niveau d’élite, ce n’est pas parce qu’ils ne trouvent pas de travail ailleurs. Ce sont des profils ultra-recherchés, ils vont un peu là où ils veulent. Ceux qui choisissent le secteur du conseil en stratégie ne veulent pas faire du code toute leur vie et souhaitent pouvoir créer des ponts entre différents métiers », assure ce dernier. Même son de cloche du côté de Julien Bohné, senior data scientist au sein de l’entité Gamma du BCG entre 2017 et 2019, chef data scientist de la division innovation du groupe Société Générale depuis deux ans.
Selon lui, les data scientists qui font le choix de la strat’ ne sont peut-être pas les plus pointus scientifiquement parlant, ils sont en revanche d’excellents profils capables d’une grande polyvalence et d’adaptation en milieux incertains.
« La création de valeur grâce à la data science n’est pas qu’une affaire de réalisation technique, il est crucial de considérer l’ensemble de la chaîne de valeur : identification de l’angle d’attaque du problème, développement du modèle, industrialisation et gestion du changement. Bien communiquer sur le projet auprès d’interlocuteurs variés est également un point clé », ajoute-t-il.
Un secteur qui ouvre des portes
Le parcours de Julien Bohné, multidiplômé, en est une bonne illustration : master EPITA, ingénierie informatique (2005), master vision par ordinateur de Grenoble INP-Ensimag (2006) et doctorat en machine learning de l’University College de Londres (2016).
« Durant la première partie de ma carrière, j’étais focalisé, en tant que chercheur, uniquement sur les aspects techniques et scientifiques. Ensuite, j’ai eu envie de m’éveiller à la dimension business. Le conseil en stratégie est formateur en termes de product management, de structuration de la réflexion et d’identification de problématique ; des points qui gagneraient souvent à être mieux traités par les entreprises. Le BCG Gamma n’est pas un back-office des consultants généralistes, mais c’est une activité client facing et de coconstruction des solutions globales avec les consultants généralistes. »
Autre parcours, autre cas de figure, Emmanuel Ladoux, Mines ParisTech (2006), HEC (2007). Entré chez Oliver Wyman comme consultant généraliste en 2007, il s’est spécialisé au fil du temps. Pour cause, le secteur du big data en était à ses balbutiements et le métier de data scientist n’existait pas encore, ou si peu… « En onze ans chez Oliver Wyman, je me suis formé au contact de collègues plus expérimentés que moi sur les sujets data, et en m’autoformant. Dans mes premières années, les travaux consistaient surtout en de l’analyse de données et de l’automatisation de traitements. Puis le machine learning s’est démocratisé, et a ouvert la voie au développement pour nos clients d’outils plus complexes et plus puissants », atteste Emmanuel Ladoux, aujourd’hui CEO de Solstice Lab (conseil mixte data/stratégie, partenaire des cabinets de conseil), qui a ensuite été principal data scientist au BCG Gamma en 2018-2019.
Diverses stratégies pour attirer ces pépites
Mais pour les cabinets, les attirer est un véritable défi. Aux yeux d’Emmanuel Ladoux, si les cabinets ont tout intérêt à se positionner sur ce sujet de la data science en recrutant des profils dédiés, ils connaissent des fortunes diverses. Les cabinets de taille moyenne ne peuvent atteindre la taille critique pour rivaliser avec les mastodontes du secteur.
À l’opposé, le BCG, et son entité Gamma créée en 2016, serait de loin le meilleur stratège dans le domaine. « Parce qu’ils savent gérer les data scientists, leur culture et leurs savoir-faire. Pour attirer des profils data science de grande qualité, le BCG a compris que les critères habituels de prestige, de marque ou de salaire, qui valent pour les consultants, ne suffiraient pas. Le BCG a ainsi eu l’idée géniale de s’attacher, même provisoirement, les services de Cédric Villani (relire notre article, ndlr), la rock-star de la science française. Quoi de mieux pour faire rêver un data scientist ? N’oubliez pas que dans data science, il y a science... » explicite l’ex du BCG Gamma, Emmanuel Ladoux. Le BCG Gamma a également su recruter Yann Hendel, mathématicien, docteur en optimisation (en 2013, aujourd’hui associé à Stockholm), et est entré en partenariat avec le chercheur en math, et sommité en IA, Gaël Varoquaux. Effet boule de neige garanti.
L’autre cabinet gros recruteur de data scientists, McKinsey, a développé une autre stratégie pour tenter d’aimanter les cerveaux de la data science. Le bureau a par exemple récemment enregistré l’arrivée du fondateur de la société d’analyse de données Quantum Black que McKinsey a rachetée en 2015 (relire notre article). Pourtant, seuls vingt-huit profils de data scientists figurent chez McKinsey en France, à peine 4 % de l’effectif de 716 personnes comptabilisées sur LinkedIn – quand son grand concurrent le BCG affiche un ratio de près de 6 % (64 data scientists comptabilisés sur un effectif de 1 100 personnes, incluant consultants et fonctions support).
L’argument de la rémunération
Les cabinets de conseil sont-ils également attractifs financièrement pour ces profils +++ ? Selon le site dédié bigdata.fr, les data scientists juniors émargeraient annuellement en moyenne en France, entre 45 et 55 k€ (le double aux États-Unis) et entre 70 et 100 k€ pour les seniors de plus de cinq ans d’expérience – le métier est si jeune que les data scientists sont considérés expérimentés à partir de trois à quatre ans d’expérience…
Des niveaux de rémunération sur lesquels le BCG et McKinsey peuvent s’aligner à l’aune des niveaux de rémunération moyens appliqués dans le secteur (relire notre article). « Les salaires des data scientists du BCG Gamma sont alignés sur ceux des consultants en stratégie du cabinet, ils sont donc bien payés. Et par rapport à des postes dans de grandes entreprises traditionnelles, c’est environ 25 % de plus au BCG en sortie d'école et près de 80 % de plus au bout de trois à cinq ans », atteste Julien Bohné, ex-senior data scientist du BCG Gamma.
Les grands cabinets mettent donc le prix. C’est aussi l’avis d’Antoine le Gleuher, consultant chez Upward Data, cabinet de recrutement spécialisé dans les métiers de la data, notamment en conseil en stratégie : « Les cabinets de conseil en stratégie sont compétitifs en termes de rémunération avec des offres de packages globaux attractifs, par exemple grâce à la part variable », confirme le recruteur.
Pas sûr que cela dure. Car comme le constate aussi Antoine le Gleuher, le besoin croissant de profils de data scientists expérimentés ou ultra-pointus provoque une évolution à la hausse des grilles de salaires, y compris dans le secteur du conseil en stratégie. Ce qui, avec l’évolution rapide des technologies qui tendent à une automatisation rapide des tâches effectuées par un data scientist, pourrait réinterroger les cabinets de conseil en stratégie sur la pertinence de recruter des profils de purs data scientists.
Barbara Merle pour Consultor.fr
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