Pro bono, persona non grata dans le secteur public
Les cabinets de conseil en stratégie entendus par la commission d’enquête du Sénat sur leur influence sur les politiques publiques ont détaillé la fréquence et la nature de ces missions gratuites, à vocation sociale.
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Le pro bono, les cabinets de conseil en stratégie y ont souvent recours. C’est une manière de mettre à disposition leur savoir-faire à des organisations qui n’auraient absolument pas le budget pour y recourir à des conditions de marché normales ; mais aussi une manière de donner du sens à des consultants souvent motivés par ces missions sans but commercial et à des fins philanthropiques (relire notre article).
Les exemples abondent. Ces missions peuvent aussi avoir une tournure plus politique, comme quand McKinsey était intervenu auprès de l’Office des réfugiés à Berlin, donnant par la suite lieu à une mission, elle, rémunérée par le Sénat allemand.
C’est d’ailleurs bien ce qui inquiète les parlementaires : mettre le pied dans la porte par des prestations gratuites, pour décrocher ensuite des missions facturées.
En ce sens, le député (LR) d'Eure-et-Loir Olivier Marleix avait même proposé d’interdire le consulting dans le secteur public. Une proposition qui avait fait pschitt.
Dans le cadre de leur commission d’enquête, les sénateurs et sénatrices reviennent à la charge sur ce sujet, sur lequel consultants et représentants de l’État sont systématiquement interrogés.
« Chaque année, nous effectuons deux à trois projets pro bono décidés par la direction générale de McKinsey France. De telles missions sont rares, concernent des sujets spécifiques et sont entièrement décorrélées de notre activité classique. À ma connaissance, ces projets n'ont jamais été suivis d'un projet payant », a par exemple expliqué Karim Tadjeddine, partner de McKinsey en France, en charge du secteur public.
Des missions plus que ponctuelles et très marginales sur le total des activités de conseil des cabinets. Ce qui est en ligne avec l’équivalent des 3 % de chiffre d’affaires annuel que Bain indiquait par le passé consacrer à ces missions non facturées.
Au Sénat, McKinsey indique par exemple être récemment intervenu « en faveur du secteur culturel, notamment pour accompagner des musées – Le Louvre, le Centre Pompidou – dans des stratégies de radiation », indique Karim Tadjeddine, sans en révéler davantage.
Le cabinet a été également missionné gratuitement pour « accompagner la préparation du dossier de candidature de la France aux Jeux Olympiques de 2024. Nous avons effectué des travaux de coordination ou de recherche », explique encore le partner (relire notre article).
Autre gros dossier pro bono de McKinsey, le sommet Tech For Good, créé par Emmanuel Macron pour réunir les grands patrons du digital afin de les pousser à s’impliquer officiellement et concrètement dans une démarche plus écoresponsable.
« Le sommet Tech for Good, c'est environ 80 entreprises et associations qui se réunissent pour prendre des engagements collectifs du côté du secteur privé, pour que les progrès technologiques bénéficient au plus grand nombre. Cinq thématiques ont été identifiées, comme la diversité ou l'inclusion économique. L'objectif, c'est que les participants prennent des engagements suivis d'année en année. Nous réalisons un support pour aider à préparer les ateliers thématiques, en rassemblant des bases factuelles et en mettant en place des outils pour suivre dans la durée les engagements de ces acteurs », a détaillé, à ce sujet, Karim Tadjeddine, indiquant que la participation de McKinsey à l’organisation de ce forum « n'était pas contractualisé[e] pour la première édition, mais depuis lors, nous contractualisons [contrat de mission de conseil pro bono – ndlr] ».
Enfin, le partner a indiqué que l’implication de McKinsey au sein de la Commission Attali, le cercle de sages voulu par Nicolas Sarkozy en 2008 pour libérer la croissance de l’économie tricolore, avait été faite au titre d’une mission pro bono. « Ce support, en 2008 puis de nouveau en 2010 ou 2011, a eu lieu dans le cadre d'un projet pro bono, au même titre que celui d'autres cabinets comme Accenture ou Capgemini », a déclaré sur ce point Karim Tadjeddine.
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Une proposition de loi portée par trente-six députés LR, avec en chef de file, Olivier Marleix (député d’Eure-et-Loir), a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale fin février.
Elle vise à interdire les prestations de conseil pro bono à l’égard de toute administration ou parti politique. Son déclencheur : le battage médiatique provoqué par la révélation des interventions de McKinsey dans l’organisation de la campagne de vaccination covid en France. Dans le fond, elle est plutôt floue et met la profession en émoi. Analyse.
McKinsey n’a pas été le seul cabinet à en dire un peu plus sur ses récents engagements pro bono. BCG et Roland Berger ont également détaillé les missions conduites à titre gracieux dans le cadre de la crise covid. Le BCG, a témoigné Jean-Christophe Gard, partner à Paris en charge du secteur public notamment, est par exemple intervenu (comme de nombreux autres cabinets volontaires, voir notre article) auprès de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) dans la mise en place de modèles de prévision des appels du Samu au moment du pic de la pandémie pendant le premier confinement, sur des tris de fichiers volontaires et des tableaux d’occupations de lits personnels.
Dans le cadre du covid, le BCG a également accompagné le ministère de l’Économie dans la définition de mesures économiques d’urgence pour venir en soutien aux PME (ce qu’a fait aussi EY-Parthenon). La mission du BCG portait tout particulièrement sur les artisans et les commerces de détail au moment du premier confinement.
Roland Berger a confirmé (mission dont nous faisions déjà état ici) avoir œuvré pour la direction générale des entreprises de Bercy à l’identification des vulnérabilités des chaînes de valeur. Deux missions de 25 jours au total qui ont donné lieu à un contrat de mission de conseil pro bono avec la DGE.
Pas sûr que toutes ces missions se poursuivent à l’avenir. Du moins, dans sa circulaire du 19 janvier (voir le document) sur le recours de l’État aux cabinets de conseil privés, le Premier ministre a eu un mot spécifique à leur sujet : « Les missions dites pro bono ne doivent donner lieu à aucune contrepartie. Toute mission pro bono, ou mécénat de compétence, doit être autorisée par le secrétariat général du ministère et enregistrée auprès de l’acheteur ministériel ou interministériel compétent. Il va sans dire qu’aucun droit de suite ne peut être accordé au prestataire d’une mission pro bono. »
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