Paul de Leusse : « Savoir ce que l’on veut faire et ne pas faire »

Depuis septembre 2022, Paul de Leusse dirige Sienna Investment Managers. Une nouvelle corde à son arc dans l’univers des services financiers où il évolue depuis près de 30 ans. Ce nouveau virage, loin d’être une rupture, s’avère un retour à une organisation proche de celle vécue pendant ses expériences de conseil.

Baptiste Julien Blandet
07 Mar. 2024 à 05:00
Paul de Leusse : « Savoir ce que l’on veut faire et ne pas faire »
Paul de Leusse (D.R.)

En juillet 2021, nous avions quitté Paul de Leusse, DG d'Orange Bank et DGA d’Orange. Aujourd’hui, nous le retrouvons CEO de Sienna Investment Managers. « C’est probablement un héritage du conseil : j’aime bien multiplier les expériences, concède celui-ci. J’ai travaillé dans la banque d’affaires pendant 5 ans chez Crédit Agricole Corporate Investment Bank, dans la gestion de fortune pendant 3 ans chez Indosuez, dans la banque de détail digitale pendant un peu plus de 4 ans chez Orange Bank… J’avais l’envie d’autre chose. Je me suis dit : je n’ai pas encore exercé dans la gestion d’actifs.» Cette nouvelle fonction s’apparente donc comme une expérience de plus dans les services financiers, et non pas un arrêt.

Redonner du souffle à Orange Bank

La nuance est d’importance. Son départ d’Orange Bank en septembre 2022 repose sur une opportunité et un choix stratégique. L’opportunité est celle de rejoindre le groupe Groupe Bruxelles Lambert et d’accrocher une nouvelle corde à son arc, donc. Le choix stratégique est celui de Christel Heydemann, la nouvelle directrice générale d’Orange de se recentrer sur les métiers cœur de l’opérateur télécom. « Orange Bank avait moins sa place dans la stratégie d’Orange en Europe », analyse Paul de Leusse.

Pendant 4 ans et près de 4 mois à la tête de l’activité bancaire de l’ex-France Télécom, Paul de Leusse a mis en œuvre une feuille de route claire : «Mon enjeu était d’une part de relancer l’activité, 6 mois après un lancement compliqué, de redonner un souffle en termes de conquête, en termes humains, et en termes financiers. D’autre part, j’avais aussi comme enjeu de déployer Orange dans les services financiers en Afrique, qui ont représenté une part importante de mon temps», développe l’ancien élève de l’X.

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Paul de Leusse, directeur général adjoint en charge des services financiers mobiles d’Orange et directeur général d'Orange Bank, a gardé des liens forts avec le monde du conseil où il a officié pendant près de douze ans (Oliver Wyman, Bain) avant de rejoindre le monde de la banque et du Crédit Agricole en 2009. Une expérience qui l’a marqué et l’amène régulièrement à côtoyer ses anciens collègues et à s’en entourer aussi au quotidien.
Des années conseil dont il garde quelques principes cardinaux, comme l'answer first chez Bain : ne pas s'encombrer des détails et aller à l'essentiel.

Choisir les bonnes personnes

De cette expérience, où il faut mener de front une relance d’Orange Bank en France et une transformation de Orange Money (transfert d’argent) en Orange Bank Africa (activité bancaire et de crédit), celui qui a débuté sa carrière de consultant chez Oliver Wyman retire de précieux enseignements. Son premier porte sur l’humain et l’effet taille des organisations. « Dans les petites structures, si vous ne choisissez pas les bonnes personnes, vous n’avez aucune chance de réussir, partage-t-il. Dans les très grosses entreprises, si des gens ne sont pas à la hauteur, c’est moins grave, la structure compense. »

Orange Bank, c’était 500 personnes en France, 100 en Espagne et 100 en Afrique. Aussi, il s’est beaucoup impliqué dans le choix du directeur d’Orange Bank Africa et a renouvelé 75 % du comité de direction en s’entourant de personnes de confiance comme Stéphane Vallois qu’il a recruté, et qui lui a succédé à son départ. La situation était assez proche de celle du conseil où il a commencé en 1997 : « Le choix des personnes comptait énormément. Vous devez recruter le bon partenaire pour développer votre offre qui adresse telle ou telle clientèle », explique l’ex-consultant chez Bain.

Faire des choix assumés

Son deuxième enseignement porte sur le lancement d’activité. Ce sujet n’était pas nouveau pour lui. Dès les années 2000, en tant que consultant, il avait déjà eu à construire la stratégie de néobanques en France. En Afrique, aucune banque ne s’adressait à tout le monde. Et en France, aucune banque n’était distribuée dans des boutiques de services en télécommunications.

« J’ai pu m’inspirer de mes expériences dans le conseil, car je partais d’une feuille blanche : poser le principe d’une stratégie positive très en amont est très important; définir ce qu’on va faire et ce qu’on ne veut pas faire », témoigne Paul de Leusse. En Afrique, ce fut la mise en place d’une offre de petits crédits allant jusqu’à 50 € comme produit d’appel pour crosser les clients vers des produits plus rentables. En France, ce fut la décision de remplacer une offre largement gratuite, héritée de l’ex-Groupama banque rachetée par Orange, par une offre payante.

Traduire une stratégie en business plan

Son troisième enseignement est qu’il « faut être capable de traduire en projection financière les choix en matière d’offres pour les clients et de positionnement. Et ce n’est pas si facile de traduire un choix très stratégique en un business plan financier ». D’autant qu’il y a deux stratégies différentes à appliquer avec deux ambitions financières également différentes. L’activité en Afrique devait être rentable sous 3 ans, ce qui fut le cas. Et l’activité française, toute tournée vers la conquête, avait pour objectif de réduire les pertes, mais pas d’être rentable. Là aussi, ce fut le cas pour l’ancien dirigeant d’Orange Bank : les pertes ont été divisées par deux pour atteindre 1 million d’euros, et le nombre de clients est passé de 100 000 à 2 millions.

Si «la stratégie de l’ancienne direction générale d’Orange était de se diversifier vers de nouveaux métiers, la banque, mais aussi les contenus, les médias… Derrière un choix financier était assumé : les nouveaux métiers pouvaient être en perte, consommer du bilan », comme l’explique l’ancien directeur général délégué du Crédit Agricole.

La fermeture progressive des comptes d’ici à fin 2024, et le transfert vers Hello Bank (BNP Paribas) pour les clients volontaires, livre d’autres enseignements à son expérience à la tête de la division bancaire de l’opérateur télécom. D’un côté, le produit net bancaire et la rentabilité restent l’épée tranchante qui décide du vainqueur au bout d’un temps. D’un autre côté, difficile pour un acteur qui n’est pas du sérail de se faire place. « Autant en Afrique, c’est relativement facile, la population est très digitale et faiblement bancarisée – 80 % de la population est non bancarisée –, autant en Europe c’est plus compliqué, admet le dirigeant. Et pour deux raisons : le coût d’acquisition d’un client européen est très élevé : entre 150 et 200 €; on a trop habitué les gens en France, et en Europe, à ce que les offres digitales soient gratuites. Je n’ai pas voulu faire ça. »

Open banking : une porte d’entrée à explorer pour les nouveaux acteurs

L’expérience lui permet de partager ce constat que tout nouvel acteur doit avoir en tête. « La clientèle la plus rentable dans la banque, ce sont les seniors, faiblement présents sur le digital, rappelle l’ancien partner chez Bain. La compétition est plus rude en Europe qu’en Afrique, car les acteurs se battent avec des offres gratuites pour récupérer des clients plutôt âgés de 20 à 30 ans, qui ne sont pas les clients les plus rentables. Pour cette raison, j’ai considéré qu’il fallait aller vers des offres payantes et pousser le crédit grâce au partenariat avec Younited. »

Paul de Leusse est parti d’Orange Bank avec le sentiment d’avoir rempli sa feuille de route, même si la question de la profitabilité a donc scellé l’avenir d’Orange Bank. Quant à savoir si un nouvel acteur peut encore émerger ? L’ancien directeur général adjoint de la banque de l’opérateur télécom français le pense, à condition qu’il s’appuie sur l’open banking qui «est très utile et permet, si le client est d’accord, d’avoir accès à l’ensemble de ses comptes bancaires ». Plus précisément, cela permet d’avoir la juste visibilité sur les engagements et les revenus des clients au moment d’évaluer un dossier de crédit. Bref, d’évaluer au plus juste le bon niveau de risque pris.

Être inspiré et en confiance par ses patrons

Quand la nouvelle direction a changé, à la suite du départ de Stéphane Richard, qu’il avait recruté, l’approche de la diversification tous azimuts mise à l’arrêt, la fermeture d’Orange Bank actée, Paul de Leusse sent qu’une page se tourne et qu’il est donc temps d’en ouvrir une autre. D’autant que l’homme avance au gré des rencontres et des personnes : «J’ai toujours choisi mes patrons, lance-t-il. J’ai besoin d’avoir une relation très forte, une relation de confiance, d’être un peu inspiré par les gens pour qui je travaille, un peu comme quand je choisissais mes clients dans le conseil.» Olivier Marchal chez Bain. Jacques le Normand au Crédit Agricole Corporate Investment Bank. Jean-Yves Hocher chez Indosuez. Stéphane Richard chez Orange. Et donc Ian Gallienne chez GBL. « J’ai vraiment eu un “fit” avec lui, avoue-t-il. Quelqu’un de très visionnaire, et en même temps, d’une capacité de décision très rapide ».

Paul de Leusse a donc plongé dans une nouvelle aventure, celle de la gestion d’actifs où par certains aspects il retrouve des ambiances connues en début de carrière. « Je retrouve un peu l’esprit des partnerships dans le conseil, qui sont actionnaires du cabinet de conseil dans lequel on travaille, décrit-il. Chez Sienna IM, ce sont des patrons de société de gestion très réactifs qui, en général, ont vendu leur entreprise à Sienna IM tout en restant actionnaires minoritaires de l’entreprise. Ils sont non seulement de très bons gérants, mais aussi d’excellents commerciaux. Je retrouve la même excitation des moments où j’allais voir les clients dans le conseil : une envie de convaincre le client, de lui apporter le meilleur des produits. »

Vers une organisation intégrée chez Sienna IM

Ne résumez pas Sienna IM au private equity. Cette activité pèse peu sur 30 milliards d’euros d’actifs, dont les deux tiers sont gérés de manière classique et traditionnelle avec des obligations et des actions. Le dernier tiers est consacré à la gestion alternative : immobilier, dette, et un petit peu de private equity. Comme chez Orange Bank, la stratégie mise en place fixe ce que Sienna veut faire et ne pas faire, quitte à laisser de côté certains types de clients pour en conquérir de nouveaux grâce au lancement de « produits communs assez rares qui associent la gestion classique à la dette privée, par exemple ».

Paul de Leusse poursuit : «Il a fallu poser des choix parce que nous ne sommes pas très gros, nous ne pouvons donc pas tout faire, mais cela a été vraiment le fruit d’une réflexion commune de l’ensemble des responsables de mes activités. » Il n’en dira pas plus. L’heure n’est pas encore aux annonces, mais elles approchent. En revanche, il détaille à l’envi sur sa mission : celle de mettre en place une organisation intégrée et adaptée à une structure qui s’appuie sur une multitude de petites entités qui investissent en Europe et s’adressent à des clients historiquement français, mais de plus en plus européens, et à l’avenir aussi venus d’autres continents.

Un œil bienveillant et actif sur les pays émergents

À vrai dire, le financement des entreprises est un sujet qui le passionne. Bien avant de rejoindre Sienna IM, Paul de Leusse est aussi ambassadeur pour Entrepreneurs du monde. Depuis 20 ans précisément. « Je crois beaucoup à la microfinance et à tout appui très local dans les pays émergents, développe-t-il. C’est paradoxal : ils n’ont pas de moyens, mais ils payent plus cher que nous l’accès au crédit. » Son rôle ? Participé à la levée de fonds auprès de donateurs pour financer des projets d’entreprises dans les pays émergents. «Si on prête à un taux d’intérêt qui n’est pas à 60 %, mais à 15 % par an, on va aider à créer et à développer des business. »

Fera-t-il un lien direct avec ses deux fonctions ? C’est peu probable : « Les personnes intéressées peuvent évidemment venir, mais je ne veux pas imposer mes choix.» Bien sûr, il parle de cette action à ses réseaux : «Lors de la dernière réunion d’Entrepreneurs du monde, il y avait pas mal de gens d’Orange », raconte-t-il. Et les prochaines fois sans doute quelques gérants de Sienna IM auront aussi été sensibles à la démarche. Mais chacun est libre de le rejoindre sur cette action de solidarité.

Car, ici, le leitmotiv est ailleurs : « Il est très gratifiant de se dire que dans les pays émergents, on a juste un problème d’accès à des ressources de base. Car après, les personnes là-bas sont d’un dynamisme incroyable. Ils sont beaucoup plus énergiques et entrepreneurs que dans les pays occidentaux, parce qu’eux, ils n’ont pas de parachutes sociaux. » Et de conclure : « C’est un peu comme des terres sèches, mais fertiles, il faut juste les arroser un peu, et ça pousse.»

Bain & Company Oliver Wyman Olivier Marchal
Baptiste Julien Blandet
07 Mar. 2024 à 05:00
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commentaires (1)

Bof bof
09 Mar 2024 à 00:39
Il y a vraiment des articles qui ressemblent a du publi reportage sans aucun esprit critique. Vouloir faire d’orange tout sauf un operateur telecom traduit un aveuglement strategique du management de l’epoque qu’aucun cabinet de conseil serieux (non conflicté) n’a jamais validé.

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services financiers

Adeline
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Bain & Company Oliver Wyman
Olivier Marchal
2024-03-08 08:57:58
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services financiers: Paul de Leusse : « Savoir ce que l’on veut f