Partner : une pression à plusieurs vitesses
Le partner vend, délivre, staffe, se fait noter et évaluer… Voire défend son pré carré commercial et chasse une part grandissante de rémunération variable.
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« Deux, c’est bien. Trois, c’est mieux ». Quelques mots qui en disent long sur la réalité de la pression commerciale à laquelle les partners des cabinets de conseil en stratégie sont exposés. Comprendre : deux à trois millions d’euros de projets à vendre chaque année aux dirigeants des entreprises de leur secteur de prédilection.
Dixit un partner justement passé par plusieurs des marques les plus emblématiques du secteur. C’est le premier impératif des associés à ce niveau : vendre, vendre, vendre. « Dans le conseil, il n’y a pas de stock. On doit être dans une dynamique commerciale permanente. La pression est d’autant plus forte quand les temps sont durs », dit Cyril Gay Belan, senior partner chez Monitor Deloitte, passé par Roland Berger et Oliver Wyman.
Un constat qui s’applique partout. Car comme dit Hanna Moukanas, le patron d’Oliver Wyman à Paris, « dans nos métiers, il n’y a pas d’excellence sans excellence commerciale. Il n’y a pas d’excellent partner sans leur terrain de jeu commercial de prédilection ». Avec cinquante nuances (de cash) selon la culture d’entreprise et la practice.
"Le quotidien change selon la practice ou le secteur dans lesquels vous intervenez », confirme Marc André Kamel, associé depuis 20 ans chez Bain. Indépendamment de la taille du cabinet. « Nous n’avons pas de compte à rendre aux actionnaires mais des comptes à se rendre entre nous. Comme m’a dit un vieux Corse : ‘tu as choisi tes chaînes’ », dit Boris Imbert, l’associé fondateur de Mawenzi.
Avec trois associés et une quarantaine de consultants, les process ne sont évidemment pas aussi touffus chez Mawenzi que chez les McKinsey, BCG, Bain et consorts. Le suivi commercial y est aussi serré. Les objectifs sont passés au peigne fin une fois par semaine lors des comités de direction, auxquels sont associés directeurs et managers à tour de rôle. « Si vous intervenez dans un secteur ou un métier très global, vous allez évidemment vendre des missions partout où les opportunités sont présentes et ces projets impacteront votre performance commerciale au bureau de Paris. Si vous travaillez pour un client local, même si le groupe a des filiales internationales, vous vendrez principalement en France », détaille Hanna Moukanas.
Un partner n'est pas un professeur Nimbus
En bref : un partner n’est pas un professeur Nimbus. Et la pression ne s’arrête pas là. Bien vendre, c’est aussi bien délivrer. « La pression sur la qualité de ce qui est remis au client reste vrai du grade de junior à celui de partner », avance Cyril Gay Belan.
Et qui dit bien délivrer, dit bien staffer. « La pression sur les partners est souvent liée à une certaine incertitude sur la disponibilité des consultants, dit par exemple Benoît Tesson, le directeur général et fondateur de Vertone. Notre organisation en pôles, auxquels sont rattachés les managers, senior managers et partners, leur permet d’avoir la maîtrise du staffing des managers, mais moins simplement de celui des consultants. Chacun des trois pôles est dirigé par un trio de partners et regroupe en moyenne trois senior managers et sept à huit managers. Par ailleurs, il y a soixante-dix à soixante-quinze consultants, confirmés et senior non rattachés aux pôles. Le staffing pour ces équipes fait l’objet de réunions transverses, et les arbitrages font souvent l’objet des longs échanges. Dans les périodes de forte charge, le goulot d'engorgement est là. Les pôles ne sont pas des business units avec une politique de ressources humaines propre. »
Le partner vend, délivre, staffe… Voire défend son pré carré commercial des petits copains qui pourraient être tentés de venir s’y servir. Ce qui est souvent le cas dans les grands cabinets où les prospects et les approches commerciales sont très nombreux et les occasions de se faire reprendre au collet ne sont pas rares.
Chasse à la rémunération variable
Car le niveau de rémunération est critique. « Une fois partner, les “up” sont moins systématiques », commente Cyril Gay Belan. Ce qui peut donner lieu à une chasse à la rémunération variable entre partners. Une compétition qui dépend ensuite du mode de comptabilisation des ventes pratiqué par les cabinets. Roland Berger ou le Boston Consulting Group par exemple sont des habitués du « multi booking ».
C’est-à-dire que la vente d'un projet peut être répartie entre plusieurs partners, là où ailleurs une vente revient à un partner. L’individualisation de la performance peut parfois même être exacerbée par décision d’un patron de bureau. Quand ce dernier relève la part variable de la rémunération accordée aux partners. Mais le quantitatif ne fait pas tout.
Tous les ans, le bureau parisien d’Oliver Wyman réunit tout son staff hors les murs pour le « upward review day ». Encadrés par une coach externe et supervisés par deux principal et manager à tour de rôle, tous les consultants du cabinet tous niveaux hiérarchiques confondus peuvent exprimer les points de satisfaction et d’insatisfaction ressentis vis-à-vis des équipes dans lesquels ils ont eu à travailler pendant l’année écoulée.
Le bulletin de notes du partner
Avec l’idée d’améliorer la performance humaine collective et… d’éviter les crispations et les règlements de comptes. Pour les partners, l’exercice se poursuit sous la forme d’une évaluation complétée par ordinateur remise et présentée à l’intéressé sous la forme d’un document de quelques pages par un consultant du bas de la pyramide. Comportement, leadership, role model… chaque partner reçoit une évaluation qualitative de son comportement vis-à-vis des équipes de consultants, ses points forts et les aspects sur lesquels il doit s’améliorer. Untel qui communique trop la pression aux équipes. Un autre qui ne challenge pas suffisamment les idées qui lui remontent. Autant dire qu’un partner passe sa vie sur le gril ?
Plutôt pas, assure Cyril Gay Belan. Pour lui, « il y a tellement de filtres jusqu’au rang de partners, qu’à ce niveau vous anticipez mieux les variations de l’activité et vous gérez mieux la pression qu’aux grades antérieurs ». Parfois, une légère sous-performance est envisageable. « Mais un partner qui est sous la moyenne des autres pendant plusieurs années, cela se voit », glisse un autre associé. « On n’est pas dans le monde de Oui-Oui. En cas d’erreur de casting, on peut bien sûr aller jusqu’à la sortie du cabinet », raconte Cyril Gay Belan.
Notamment dans le cas des industriels expérimentés ou de recrutements latéraux. « Passer d’un conseil en SSII à du conseil en stratégie, ce n’est pas la même promesse client, la même qualité, le même prix et le même niveau de vente. Certains n’arrivent pas à passer le cap », raconte Fabrice Kahn, ancien partner chez Roland Berger et ancien senior advisor chez AlixPartners.
Chez Astae, cabinet d’avocats spécialisé dans la défense des cadres dirigeants, on gère tous les ans plusieurs dossiers d’anciens partners du conseil en stratégie qui se retournent contre leur ancien cabinet après leur départ. « Et pas seulement pour des raisons commerciales : les partners peuvent attaquer pour des pratiques managériales contestables ou des entraves à la liberté d’expression auxquelles certains partners étaient tenus prétendument par loyauté envers la marque du cabinet », abonde Susana Lopes Dos Santos, avocate associée chez Astae.
Définir des modalités de sortie fair play des partners les plus âgés
Et pour les partners les plus seniors, le dernier facteur de pression, qui transcende la carrière, est celui de l’âge. Ou comme dit Fabrice Kahn : « la pression peut venir de managers ou principals de 35 ans environ. Quand la croissance de l’activité permet d’absorber ces aspirations légitimes, très bien, mais parfois ce n’est plus le cas. Il faut alors définir des modalités de sortie des associés les plus âgés qui soient fair play ». Ce qui, à l’entendre, n’est pas le cas partout.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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