Reformuler pour mieux résoudre : l’art d’être consultant
Comment résoudre une problématique sans l’avoir correctement identifiée ? Dans la mesure où « la qualité de la question détermine la valeur de la réponse » – parole de consultant.

La maïeutique chère à Socrate n’est pas loin. Sur le terrain toutefois, les consultants sont-ils en mesure de changer la façon dont un sujet va être traité ?
Simplification de la complexité de départ, vérification et croisement des données, reformulation/challenge de la problématique : les partners Maxime Bremond d’Avencore et Victor Magny de PMP Strategy, se penchent… sur la question.
Un métier qui consiste souvent « à changer la perception du sujet »
Dans une approche grand angle, selon Maxime Bremond, un « bon » consultant doit savoir « très vite capter et comprendre les enjeux et spécificités d’un client, faire les connexions avec les projets ou benchmarks réalisés, et exercer son esprit critique pour apporter de la valeur – une approche, une méthodologie, des solutions concrètes ».
Moyennant un plan plus resserré, ses apports consistent à « simplifier et apporter de la clarté dans la complexité ». Ou, selon la jolie formule de Michela Zuccolo, ex-consultante senior au bureau de Paris du BCG, « à voir les schémas à travers le bruit ».
Rien que de très classique. C’est là qu’intervient, en gros plan, la capacité du consultant à « requestionner ou à reformuler le problème, qui va changer la perception du sujet » – dixit Maxime Bremond. « Si le consultant n’aide pas le client à voir différemment le sujet qui lui a été soumis initialement, cela signifie qu’il ne fait qu’exécuter ce qui lui a été demandé ». Il n’active alors pas « toutes les cordes qu’il doit avoir à son arc ». Car c’est bien son rôle « de confronter les différentes perceptions aux faits, aux chiffres, à des analyses », poursuit Victor Magny de PMP Strategy.
Est-ce à dire que les premiers concernés, qui vivent eux-mêmes la problématique, ne sont pas capables de (se) poser les bonnes questions ? Tout sujet est « interprété en fonction de ses expériences propres, des fonctions occupées et/ou des responsabilités exercées », souligne Victor Magny. D’où la difficulté, pour les dirigeants d’entreprises ou de services, de capturer au plus près ledit sujet, d’autant plus qu’il peut avoir été « déformé au fil de la vie des organisations ».
Des reformulations opérées tout au long des projets « à des niveaux différents »
Chaque projet repose « sur une méta-problématique qui se décline en sous-sujets », explique Victor Magny. Or, chacun peut nécessiter « une clarification au fur et à mesure des interviews et nouvelles analyses menées. On touche ici à l’ADN de la démarche du consultant : sans clarification, impossible d’envisager une quelconque résolution ».
Et cela concerne l’ensemble de l’équipe conseil, du consultant junior au plus capé. « Chacun, à son niveau, doit se challenger au quotidien. » Une gymnastique analytique permanente où chaque nouvelle phase éclaire ou rebat les cartes de la suivante.
Savoir sortir du cadre proposé
Pour Maxime Bremond, challenger une problématique commence par ne pas s’en tenir au cadre initial. L’associé cite des missions présentées comme relevant du design-to-cost. Or, en croisant les données et en interrogeant les équipes, les sujets se sont révélé nécessiter « un repositionnement stratégique ou une réorganisation en profondeur », ou bien porter « sur la performance usine ».
Ainsi, dans le cas d’un projet mené par Avencore « dans le monde du spatial », alors que la demande portait sur « la performance coût du produit », l’analyse a montré que la marge de manœuvre sur le produit lui-même était limitée, l’essentiel des leviers se situant du côté de l’organisation. Le challenge ? Faire accepter à l’entreprise de reposer la question : non plus « comment baisser le coût du produit ? », mais « quels sont les différents éléments qui conduisent au coût actuel du produit ? ». Dès lors, il allait falloir travailler « sur l’organisation, les processus, les interfaces et les interactions entre les différents acteurs »
Autre exemple, macro, dans le secteur des télécoms. « Durant plusieurs années, l’enjeu des opérateurs a été d’installer la fibre. Ils ont, à cette fin, adopté une approche industrielle relative aux réseaux. » Or, pour les cabinets qui les accompagnaient – comme PMP Strategy –, il n’a pas été simple de les faire changer de logique lors de l’étape suivante, celle de l’équipement des particuliers. « Alors qu’ils envisageaient les choses via l’efficacité, le contrôle des coûts, la contractualisation avec des entreprises de travaux publics, ils devaient désormais travailler l’approche client : comment prendre un rendez-vous ? Comment faire comprendre que mon produit est un produit du futur ? Etc. » S’ils n’avaient pas modifié leur approche, ils n’auraient pas pu franchir ce cap.
Remonter de la problématique à l’enjeu du client
Les « signaux faibles » sont de grands amis du consultant. C’est en effet par leur intermédiaire qu’il va pouvoir, au-delà de la question qui lui est soumise, « remonter vers un niveau plus “amont” et voir plus large tout en restant extrêmement pragmatique – c’est toute la difficulté », souligne Maxime Bremond.
Par ailleurs, si les apports du consultant tiennent notamment « dans son extériorité à l’entreprise pour apporter de la valeur à celle-ci », ils relèvent aussi de sa capacité « à comprendre quels sont les besoins de ses clients, y compris quand ces derniers n’en ont pas encore pleinement conscience ».
Et lorsque les clients refusent la reformulation ?
Selon le partner d’Avencore, le consultant a alors « un devoir d’alerte vis-à-vis de la direction générale qui l’embauche pour tenter de lever les blocages ». On touche ici « à d’autres compétences clés dans le conseil, indique Victor Magny de PMP Strategy : le sens de la pédagogie et l’empathie. Il faut tenter de comprendre qui est l’interlocuteur, à quoi il est sensible et la façon dont il perçoit le sujet – pour pouvoir l’amener à le percevoir autrement ».
En tout état de cause, conduire le projet comme si de rien n’était reviendrait à réaliser une prestation « one shot » peu susceptible de donner naissance à une relation commerciale fructueuse. Car, au-delà « d’améliorer la compréhension du sujet, la reformulation permet de faire avancer la réflexion », estime Maxime Bremond.
Un autre contexte est fréquent. « Le DG enregistre la recommandation, mais nous demande de nous focaliser d’abord sur le sujet initial. Cela ne nous empêche pas de partager des rapports d’étonnement réguliers où nous mentionnons les autres problématiques à traiter plus tard. »
Un métier fondé sur le facteur humain et la rigueur de l’analyse
Le triptyque compréhension rapide/analyse instantanée/reformulation qui apporte de la valeur est « un muscle qui se travaille », indique Maxime Bremond. À cet égard, le temps fait son œuvre, car, comme l’a écrit Éric-Emmanuel Schmitt reprenant Confucius, « l’expérience est une bougie qui n’éclaire que celui qui la tient ».
Cela passe notamment par l’activation constante d’un esprit critique constructif, « un basique souvent répété aux jeunes consultants ». Le fait de travailler chez les clients, « à leurs côtés », permet aussi de développer et d’entretenir ce muscle, notamment grâce aux « signaux faibles » que l’on peut alors saisir. « De toute façon, cette organisation, on n’y comprend rien » : voilà le type de signal qui donne une idée de ce sur quoi il va falloir se pencher, partage l’associé d’Avencore.
Quant à Victor Magny, il conclut sur les similitudes « avec une démarche scientifique – en physique notamment », où l’on formule des hypothèses testables. Ou encore en mathématiques, où poser le bon problème constitue souvent 80 % de la solution, et en biologie, où l’on cherche à comprendre un système complexe par niveaux d’analyse.
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