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Forfait jours : les cabinets de conseil jouent avec le feu

La convention de forfait en jours est très utilisée dans le conseil. Depuis son apparition en 2000, elle a fait l'objet de nombreux contentieux devant les Prud'Hommes, obligeant les employeurs à davantage de rigueur dans le respect des durées de repos et dans le suivi de la charge de travail. Les sociétés de conseil — à l'instar d'Accenture récemment condamnée — rechignent-elles à appliquer ces règles ?

06 Mar. 2018 à 14:24
Forfait jours : les cabinets de conseil jouent avec le feu

Alertées dès 2011 par l’arrêt du 29 juin 2011 de la Cour de cassation qui venait renforcer l’encadrement de la convention individuelle de forfait en jours, les sociétés de conseil voient leurs pratiques condamnées par la justice. Dernières en date : après une condamnation en septembre 2017, le cabinet Accenture en subit une nouvelle en décembre dernier.

À l’origine mise en place afin de faciliter le décompte du temps de travail des cadres, la convention de forfait en jours, apparue en 2000 au moment de la loi Aubry sur les 35 heures, n’a cessé de gagner du terrain. Alors qu’elle ne concernait que 4 % des salariés en 2001, ils sont 10 % en 2007 et 13,8 % en 2015 selon la dernière étude de la DARES, la direction de la recherche du ministère du Travail.

Foule de contentieux

Dispositif largement plébiscité pour les cadres (47,8 % des cadres sont au forfait jours), il permet de rémunérer les salariés sur la base d’un forfait et donc, en théorie, indépendamment du nombre d’heures effectuées. Cette promesse de simplification pour les entreprises et d’autonomie pour les salariés a commencé à rencontrer un certain nombre de limites qui ont forcé la législation à évoluer.

En effet, depuis son arrêt de 2011, la Cour de cassation n’a cessé de contraindre le recours au forfait jour, s’appuyant pour ce faire sur le droit européen. C’est ainsi que le succès de la convention individuelle de forfait en jours a donné lieu à un grand nombre de contentieux au sein d’une multitude de secteurs d’activité : BTP, métallurgie, industrie chimique, habillement, commerce de gros, aide à domicile en milieu rural, cabinets d’experts comptables... et enfin, le secteur du conseil.

En cause : une protection insuffisante de la santé des salariés. Si comme la loi l’indique, ce dispositif permet de sortir les salariés des dispositions relatives au temps de travail maximal quotidien de dix heures, ou de quarante-huit heures hebdomadaires, en réalité c’est bien au niveau de la charge de travail des salariés que le bât blesse selon la Cour de cassation.

Le cas Accenture n'est pas isolé

Mais que se passe-t-il concrètement lors d’un contentieux ? Une question se pose au juge pour le salarié qui a une convention individuelle de forfait en jours : est-elle valable ? Pour que la convention individuelle soit valable, il faut que la convention collective offre suffisamment de garanties de repos pour le salarié, mais également que l’employeur applique les dispositions adéquates (par exemple le suivi de la charge de travail).

C’est dans ce cadre que la Cour de cassation invalide la convention Syntec, qui régit le secteur du conseil dans son arrêt du 24 avril 2013, à l’occasion d’un contentieux entre le cabinet Lowendalmasaï et une ancienne salariée. Cette convention collective, résultat d’un accord de branche conclu le 22 juin 1999, fait office de pionnière sur le forfait en jours. Pourtant, elle sera considérée comme insuffisante au regard des garanties qu’elle offre aux salariés.

Bien qu’un avenant à la convention Syntec ait été signé le 1er avril 2014, le secteur du conseil continue de faire l’actualité. Après une première condamnation en septembre dernier, le cabinet Accenture subissait une nouvelle intervention de l’inspection du travail qui amena une seconde condamnation en décembre.

Le suivi de la charge de travail en cause

Mais les cas de Lowendalmasaï et d’Accenture ne sont pas isolés. Les cabinets de conseil en stratégie interrogés par Consultor considèrent ne pas courir de risque étant donné qu’ils respectent les repos quotidiens (onze heures consécutives) et hebdomadaires (vingt-quatre heures consécutives) obligatoires mais sans posséder de dispositif de suivi de la charge de travail.

Pourtant ce dispositif n’est pas très lourd à mettre en œuvre. Pieter-Jan Peeters, avocat spécialiste du droit du travail, rappelle que la convention Syntec prévoit depuis l’avenant du 1er avril 2014, que « l’employeur convoque au minimum deux fois par an le salarié ainsi qu’en cas de difficulté inhabituelle à un entretien individuel spécifique ».

En plus du repos et du suivi de la charge de travail et dans la lignée des arrêts rendus par la Cour de cassation, la convention Syntec impose à l’employeur la vigilance qui s’impose concernant les durées maximales de travail.

Dans ce cadre, les employeurs sont tenus :

  1. d'inscrire dans le règlement intérieur les modalités portant sur les durées maximales ;
  2. d'afficher dans l’entreprise le début et la fin d’une période quotidienne et d’une période hebdomadaire au cours desquelles les durées minimales de repos quotidiens et hebdomadaires devront être respectées ;
  3. de mettre en place un dispositif de déconnexion des outils de communication.

Pour résumé, si les dispositions relatives aux durées maximales de travail ne sont pas à respecter, elles doivent rester « raisonnables ». Ainsi, les onze heures de repos quotidien prévus par le forfait jour ne signifient pas que les journées de travail doivent toutes s'étaler sur treize heures, mais désignent une amplitude exceptionnelle.

Les salariés jouent le jeu

L’intensité de la charge de travail est une condition sine qua non de l’exercice du métier de consultant. C’est la raison pour laquelle les cabinets peuvent encore compter sur la motivation de leurs salariés pour échapper à toute condamnation.

Les conditions de travail dans le secteur du conseil en stratégie sont en effet connues de tous et offrent leur lot de contreparties : rémunération attractive, intérêt du travail, accélération de la carrière... Les salariés ne seront donc pas très prompts à se retourner contre leur employeur.

En revanche, ce sujet pourrait se retrouver au cœur d’un bras de fer entre salariés et employeurs concernant les conditions d’un départ.

Un risque conséquent pour les entreprises

La loi El Khomri du 8 août 2016 ayant permis d’intégrer au Code du travail la jurisprudence la plus récente, pour les cabinets ne respectant pas encore les dispositions légales, le risque est réel. « L'enjeu financier peut être très important et son montant dépend d'un certain nombre de variables d'ajustement : le nombre d'heures supplémentaires, la rémunération du salarié… qui diffèrent d'un dossier à l'autre. Il n'est pas rare que sur une période de trois ans, la rémunération des heures supplémentaires, sa majoration et le repos compensateur correspondant représentent une somme globale pouvant aller jusqu'à quinze mois de salaire, sans parler d'une éventuelle condamnation sur le fondement du travail dissimulé » ajoute Pieter-Jan Peeters.

La marche à suivre pour les cabinets ? Mettre en place toutes les actions correctives et attendre les trois années ouvrant droit à prescription. De quoi voir grandir l’ulcère en tout DRH !

Alexis Serran pour Consultor.fr

06 Mar. 2018 à 14:24
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