Comment Matignon a verrouillé le marché de conseil du second quinquennat Macron

C’est un fait. La consultation de la DITP sur le conséquent marché de prestations de conseil auprès du secteur public met un cadre plus strict à l’activité des consultants. Elle a été lancée avec 6 mois de retard de concert aux engagements du ministre Stanislas Guérini. La DITP, via son secrétaire général Jean-Michel de Guerdavid, a accepté d’en préciser les grandes lignes à Consultor.

Barbara Merle
06 Oct. 2022 à 09:22
Comment Matignon a verrouillé le marché de conseil du second quinquennat Macron
Entrée du ministère de l'Intérieur, Place Beauvau, Paris.
© Adobe Stock/kovalenkovpetr

Cette consultation était attendue comme le messie par les quelques cabinets actifs dans le secteur public. Initialement prévue pour publication fin 2021, repoussée une première fois en avril, elle a finalement été publiée courant de l’été.

Les causes premières de ce report : l’enquête-fleuve sénatoriale, puis la proposition de loi qui en a découlé. Mais pas seulement, selon Jean-Michel de Guerdavid, SG de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP)… La loi de finances avait notamment inscrit à l’exercice 2022 des économies et l’internalisation de 10 postes ETP (Équivalent temps plein) après que le Plan achats de l’État (PAE) a identifié des mesures de réduction et d’encadrement du recours au conseil.

« Mais aussi des recommandations en janvier 2022 de la mission d’information de l’Assemblée nationale relative aux différentes missions confiées par l’administration de l’État à des prestataires extérieurs, ou encore de la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022, qui formalise les décisions prises dans le cadre du PAE et tient compte des recommandations de la mission d’information de l’Assemblée nationale », détaille à Consultor le SG de la DITP.

Un copié-collé du précédent ?

Il faut dire que ce marché de conseil représente un beau gâteau de 150 millions d’euros à partager entre dix cabinets sur quatre ans (2023-2027), composé de trois lots, conseil en stratégie (lot 1), cadrage et conduite de projets (lot 2), et efficacité opérationnelle (lot 3). Avec toujours un nombre d’attributaires restreints, trois pour le lot 1 pour le prochain marché.

« Le nombre de titulaires est, d’après notre expérience, adapté au volume des missions qui sont confiées aux prestataires. Conformément aux règles applicables aux accords-cadres à bons de commande, il n’y a pas de remise en concurrence des prestataires sélectionnés à l’issue de l’appel d’offres, mais une répartition entre les titulaires prévues par la règle du tourniquet », signifie Jean-Michel de Guerdavid. Un marché à venir qui serait assez similaire au précédent, à un iota près. « Il exclut cependant les prestations d’évaluation des politiques publiques et les prestations d’AMOA de projets informatiques qui sont dirigées vers d’autres supports. »

Des bénéficiaires qui s’engagent

Au-delà de toute prestation supérieure à 40 k€ HT, en bénéficient les services du Premier ministre, la DITP, et tous les ministères, excepté le ministère des Armées, qui conserve son indépendance. Et ce pour « des raisons officielles de confidentialité et de sensibilité », un gros consommateur de conseil qui n’est donc pas inclus dans la facture finale des 150 M€, mais lui aussi appelé à une diète de consulting, tout en mettant en place de nouveaux process. « Nous avons de nombreux échanges avec le MINARM, principalement sur les bonnes pratiques et notamment dans le cadre des activités de contrôle et de conseil du pôle d’achat de conseil de la DITP. »

À leurs côtés, une nouveauté, une liste restreinte de dix-huit établissements publics, parmi lesquels ne figure aucun gros consommateur de conseil en stratégie ; la Caisse des Dépôts ne fait par exemple pas partie de cette short list… Pourquoi ? « En raison du principe d’autonomie des établissements publics, ceux-ci peuvent choisir d’adhérer à l’accord-cadre ou non, et cette décision est définitive. Les gros opérateurs de l’État peuvent par ailleurs passer des marchés en adéquation avec leurs besoins métier, qui sont parfois sensiblement différents de ceux des administrations centrales ou déconcentrées. L’adhésion à l’accord-cadre de l’État, qui comporte un engagement d’exclusivité aux titulaires, et les ministères (hors Armées) ne pourront avoir recours à l’UGAP pour ces prestations dès qu’il sera disponible en janvier 2023. Pour les projets de plus de 2 M€, les ministères (hors Armées) devront passer un nouvel appel d’offres sans pouvoir passer par l’UGAP. »

Une facture finale vraiment réduite ?

Le 29 juillet dernier, le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guérini, s’engageait fermement sur un plafonnement des missions de conseil : pas plus de 150 millions d’euros sur l’accord-cadre pluriannuel (la facture s’était élevée à 208 M€ pour le précédent). À un bémol près, la possibilité de monter à 200 M€ si absolue nécessité. Une belle marge de manœuvre donc. Mais comment ne pas faire déraper la facture finale ? Le nouveau cadre fixé pour le recours aux prestataires associé à l’appel d’offres lancé en juillet a l’ambition de réduire de 15 % les dépenses de conseil en stratégie et organisation pour 2022 par rapport à 2021. Sur le champ de l’accord-cadre, la DITP devra donner son avis en amont sur tout projet supérieur à 500 000 euros et, en aval, disposera d’outils contractuels « et bientôt numériques », pour un suivi plus précis des engagements « avec notamment une obligation pour chaque titulaire de déclarer les bons de commande reçus chaque trimestre ». Et Jean-Michel de Guerdavid d’assurer : « Le système de contrôle interne mis en place par le gouvernement est tourné vers la sélectivité des missions et un meilleur suivi des dépenses. Les comités d’engagement ministériels permettront de vérifier l’opportunité et le bon calibrage des prestations intellectuelles. »

2 M€ par mission, un plafond… théorique

Stanislas Guérini annonçait aussi, au cours de l’été, un montant maximum par prestation de 2 millions d’euros, et pas plus de deux contrats consécutifs par prestataire (pour un montant cumulé maximal de 2 M€). Une somme par mission de conseil qui peut finalement paraître considérable… Que nenni aux yeux de Jean-Michel de Guerdavid de la DITP, qui considère ce montant comme un point d’équilibre en termes de charge administrative et de délais par rapport aux objectifs. « Les commandes, dont le montant est supérieur à 2 M€, sont rattachées à des projets importants qui doivent pouvoir être anticipés, faire l’objet d’une programmation permettant de mobiliser des ressources spécifiques, et accepter des délais de mise en œuvre plus longs. L’accord-cadre a en effet vocation à répondre à des besoins ponctuels et non à des projets qui s’inscrivent dans la durée. Cette pratique permettra aussi à d’autres prestataires que les titulaires de l’accord-cadre DITP de remporter des projets. »

Le lot d’excellence opérationnelle (no3) n’est pas concerné par ce seuil des 2 M€. « Ces missions sont particulières en ce sens qu’elles peuvent donner lieu à un déploiement national de démarches ayant fait leurs preuves dans des organisations pilotes », amende Jean-Michel de Guerdavid. Seule dérogation à la règle pour les lots 1 et 2, « en cas d’urgence avérée », de type gestion de crise – à l’instar de la pandémie de Covid –, où le temps de passation d’un marché spécifique n’est pas compatible avec les délais nécessaires pour répondre au besoin. Dans ce cas, impossible pour l’administration de le décider seule. Ces missions extraordinaires sont alors autorisées sur instruction écrite de deux ministres (celui de tutelle et de celui de la Transformation, en l’état Stanislas Guérini) auprès du secrétaire général concerné et à la DITP.

Un appel d’offres très sélectif…

Dix cabinets seront donc toujours attributaires du marché, dans une application et une vérification strictes du principe de tourniquet entre les prestataires. « C’est le prestataire qui présente le montant cumulé de commandes le plus faible qui sera sélectionné, l’objectif étant d’égaliser autant que possible le chiffre d’affaires entre les prestataires d’un même lot. »

Le lot stratégie a été, lors du dernier marché, attribué à trois groupements : Roland Berger/Wavestone, BCG/EY, et McKinsey/Accenture (pour le lot 2, il y avait notamment une association BCG/EY, et pour le lot 3, Roland Berger/Wavestone). Des cabinets privés, pour la plupart de très gros cabinets d’origine anglo-saxonne. Pourquoi ? Le seuil minimal de chiffre d’affaires exigé par la consultation pour les cabinets participants paraît élevé, de 20 et 33 M€ sur trois ans (selon les lots), ce qui semble écarter de fait certaines PME françaises. Pas vraiment, du point de vue de Jean-Michel de Guerdavid de la DITP. « Ce seuil concerne les attributaires des lots, qui doivent d’une part avoir une surface minimum pour servir nos besoins, et d’autre part ne pas se mettre en situation de dépendance économique vis-à-vis de ce marché. Les PME et TPE peuvent se grouper avec d’autres entreprises afin d’obtenir ce CA minimum, qui est calculé sur la somme des CA du mandataire, des co-traitants et des sous-traitants. »

L’évaluation des missions en question

Nouveauté coulée dans le bronze de la consultation, l’épineux sujet de l’évaluation des missions effectuées par les cabinets de conseil (une problématique sensible soulevée par les sénateurs-enquêteurs) et du transfert de compétences en fin de mission. Une fiche d’évaluation par mission devient obligatoire et systématique, à remplir par les administrations bénéficiaires, assez classique dans son contenu (appréciation de la contribution du prestataire, de la qualité de l’apport des consultants, du savoir-être et du respect des obligations administratives). Un gage pour la qualité des livrables, selon le SG de la DITP. « Elle invite les bénéficiaires à s’interroger sur la qualité de la prestation commandée et réalisée, de la relation de travail et sur l’apport réel des consultants. Le pôle d’achat de conseil de la DITP formera à l’évaluation des prestations, pour que cela soit le plus pertinent possible. Le nouvel accord-cadre élargit et renforce les pénalités en cas de non-respect des obligations contractuelles ou du règlement général sur la protection des données. Un marché pourra être résilié en cas de manquements répétés de la part du prestataire. » Et pour faciliter le transfert des savoirs, des méthodes et des compétences, le prestataire s’engage à réaliser des livrables spécifiques de capitalisation. 

Conflit d’intérêts, pro bono, data : la nouvelle donne

Règles inédites encore sur «l’obligation pour les prestataires de déclarer tout risque de conflit d’intérêts avant chaque projet. Les missions pro bono doivent faire l’objet d’une autorisation par le secrétaire général du ministère bénéficiaire, et être enregistrées auprès de l’acheteur ministériel ou interministériel compétent. Aucun droit de suite ne peut être accordé au prestataire d’une mission pro bono. » Quant à la protection des données, vieux serpent de mer du secteur du conseil, elle sera assurée par le Règlement général sur la protection des données (RGPD, ndlr) appliqué à chaque prestation. « Les données récoltées par le prestataire seront automatiquement détruites après leur restitution à l’administration. Les mesures de sécurité informatique seront renforcées : les données seront hébergées sur le territoire national, tout incident de cybersécurité devra être déclaré dans les plus brefs délais à l’administration et à l’ANSSI. »

La DITP, le gendarme de l’activité conseil

C’est une première pour la DITP qui endosse un rôle de vérificateur (mis en place dans la circulaire du 19 janvier 2022). Jusqu’alors, le guichet unique des cabinets de conseil n’avait, en effet, aucun mandat de contrôle interne sur les dépenses de conseil « que ce soit sur l’opportunité, le montant ou la régularité des prestations commandées qui restaient sous la responsabilité de l’administration ayant fait appel à la prestation ». Chaque administration ayant recours à des prestations intellectuelles est chargée de veiller à leur conformité et les secrétaires généraux des ministères sont responsables du système de contrôle interne. « Ils ont reçu l’instruction du Premier ministre de renforcer le contrôle interne sur les prestations intellectuelles et de mieux piloter ces dépenses en mettant un dispositif spécifique associant les inspections et conseils généraux des ministères : justification du recours à un prestataire externe, notamment en raison de l’absence de disponibilités, de compétences ou de ressources internes, qualité de la transcription des besoins dans le bon de commande et l’adéquation du prix à de la prestation demandée, respect des règles des marchés interministériels ou ministériels », amende Jean-Michel de Guerdavid de la DITP. Aussi, la DITP donne un avis dans le comité d’engagement ministériel (obligatoire pour toute commande correspondant aux prestations suivies par le pôle interministériel d’achat de la DITP d’un montant supérieur à 500 000 € TTC), et met en place des contrôles renforcés dans l’utilisation des accords-cadres : suivi des dépenses en lien avec la direction du budget, vérification de la production des évaluations en fin de mission, vérification du respect des règles du marché (tourniquet, montants maximums, etc.).

Un troisième niveau de contrôle (des dépenses) est par ailleurs assuré par la direction du budget et la direction des achats de l’État, souligne la DITP. « Dans le cadre du PAE (Plan d’achat de l’État, ndlr), il a été décidé de créer des pôles interministériels d’achats spécialisés pour certaines catégories de prestations intellectuelles. Un pôle interministériel d’achat a été créé au sein de la DITP pour un certain nombre de prestations, stratégie et évaluation des politiques publiques, organisation, transformation, efficacité opérationnelle. » Au total, une quinzaine de prestations, du design de services aux sciences comportementales, en passant par le codéveloppement, l’innovation et l’expérimentation, la participation et la consultation citoyennes ; ou encore la simplification des parcours usagers et la cartographie.

Trouver une bonne synergie conseil interne/externe

Face aux nombreuses critiques de la sous-utilisation des compétences internes aux administrations publiques, un sujet régulièrement pointé notamment lors de la crise sanitaire, le ministre Guérini l’a promis : le gouvernement va réinternaliser les compétences de conseil et s’appuyer sur les laboratoires publics pour l’évaluation des politiques publiques. La DITP, service de conseil interne interministériel pour l’appui des administrations dans la mise en œuvre des transformations et politiques prioritaires du gouvernement, est donc en première ligne. Elle est dotée d’une équipe de 35 consultants et experts de conseil interne, avec notamment une expertise en stratégie et accompagnement de la transformation. « Pour réaliser ses missions, la DITP a recours à des prestataires externes, soit pour augmenter sa force de frappe et répondre aux besoins de ses commanditaires, soit pour mobiliser des expertises complémentaires très ciblées (intelligence artificielle, parangonnages…). Dans ce cas, les prestataires externes interviennent en “équipe intégrée” avec les agents de la DITP, sous la responsabilité d’un directeur de projet de conseil interne de la DITP. Ce mode de fonctionnement permet de combiner les avantages du recours à des compétences externes pour des expertises ciblées ou un besoin de ressources de déploiement et ceux de l’implication directe d’agents de l’État pour la connaissance de l’environnement et des modes de fonctionnement des ministères. » L’été dernier, le ministre Guérini annonçait quinze postes supplémentaires, la DITP, dans le cadre du plan achats de l’État, partage, elle, plutôt le chiffre de 10 ETP (Équivalent temps plein).

Télescopage des calendriers entre la discussion sur le projet de loi qui a lieu le 18 octobre et la publication des attributaires de ce méga marché de la DITP d’ici fin octobre (la date limite de réception des offres s’établissait au 22 septembre dernier). Stanislas Guérini s’était engagé à publier « dès cet automne » un rapport recensant les dépenses des ministères en prestations de conseil, annexé au projet de loi de finances, destiné à éclairer le débat de la Chambre haute. Et d’ici l’entrée en vigueur du nouveau marché, la DITP doit, elle, faire face aux demandes de conseil. Avec quels moyens ? « La période non couverte se limitera vraisemblablement au 2e semestre 2022 uniquement. Il n’y a pas eu de gel des achats, en dehors de l’objectif de réduction de 15 % des dépenses en conseil en stratégie et organisation. La DITP priorise le recours à ses ressources internes », complète Jean-Michel de Guerdavid.

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Boston Consulting Group McKinsey Roland Berger
Barbara Merle
06 Oct. 2022 à 09:22
tuyau

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commentaires (1)

MONGRAND JEAN-PIERRE, Directeur Général de DYNACTION
21 Oct 2022 à 14:04
Dirigeant d'une structure de conseil en stratégie et organisation à taille huamine, spécialisée dans le secteur public, je viens d'écrire au Ministre de la Transformation et de la Fonction Publiques pour dénoncer le nouvel appel d'offres de la DITP, qui exclue de fait les structures de conseil comme la mienne et qui montre que rien n'a vraiment changé au sommet de l'Etat!
Vous trouverez sur le réseau LinkedIn la lettre ouverte au Ministre que je viens de publier cette semaine.

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secteur public

Adeline
secteur public
secteur public, ditp, Stanislas Guérini, ministeres, Etat, senat
12002
Boston Consulting Group McKinsey Roland Berger
2022-10-12 13:09:13
1
Non
secteur public: Comment Matignon a verrouillé le marché de conseil d