Nouvelle-Calédonie : quand Beauvau délègue le bilan des accords de Nouméa

Par deux fois, en 2011 et 2018, un binôme de consultants a été choisi pour faire un état de la mise en œuvre de l’accord politique de 1998. Récit de l’intérieur de cette mission à fort enjeu diplomatique.

Benjamin Polle
28 Avr. 2022 à 05:00
Nouvelle-Calédonie : quand Beauvau délègue le bilan des accords de Nouméa
Wikimedia. Le centre culturel Tjibaou est un établissement public destiné à promouvoir la culture kanak, situé entre les baies de Tina et de Magenta, sur une presqu'île en périphérie de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie.

En 1998, les accords de Nouméa furent le point d’orgue d’une entente politique entre pro et anti-indépendance de la Nouvelle-Calédonie qui, dans les années 1980, s’étaient affrontés par la violence. Les accords mirent fin au statut de territoire d’outre-mer et reconnaissent une citoyenneté néo-calédonienne.

Ces accords « [définissent] pour vingt années l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie », et les conditions de l’émancipation de l’archipel du Pacifique colonisé par la France au milieu du XIXe siècle. Le texte en 41 points prévoit un processus de transfert progressif de compétences avant la tenue de référendums d’autodétermination.

Dix ans plus tard, à Paris et Nouméa, l’heure est plutôt au suivi de l’application de l’accord qui fait l’objet à échéances régulières d’un comité des signataires. En 2011, les accords de Nouméa ont 13 ans. Le ministère de l’Intérieur et le gouvernement néo-calédonien souhaitent faire un bilan de ces accords et de leur mise en œuvre. Pour ce faire, Paris et Nouméa en appellent à l’avis extérieur d’une tierce partie. Ils passent un appel d’offres en ce sens.

Pour y répondre, CMI, le cabinet de conseil qui s’est fait une petite notoriété sur les évaluations de politique publique, s’associe à Olivier Sudrie, économiste spécialiste des Outre-mer, responsable du cabinet d’études DME.

Le binôme remporte le marché. C’est le début d’une mission plutôt atypique et longue puisqu’elle s’étalera sur sept mois, ponctués de trois déplacements sur place. Et qui, chose assez rare, sera répétée une seconde fois en 2018.

La commande ? « Il y avait 41 mesures dans les accords de Nouméa. Par un exercice d’évaluation de politique publique assez classique, nous devions établir l’effectivité de la mise en application de chacune d’elle. Par exemple en ce qui concerne l’apprentissage de la langue kanak, nous avons constaté l’ouverture d’une licence langues, littératures et civilisations étrangères qui vise à renforcer les compétences langagières orales et écrites en langues kanak, de même qu’un journal télévisé et des dessins animés en langues kanak », se souvient le chef de file de la mission chez CMI, Philippe Bassot, qui est responsable de l’activité de stratégie publique du cabinet.

Pour mener ce travail de recensement à bon port, il fallut d’abord éplucher tout ce qui pouvait l’être : rapports de l’institut statistique néo-calédonien, documents de l’administration, etc. À ce travail documentaire se sont ajoutées trois vagues d’entretiens – 50 au total – avec une diversité d’interlocuteurs : l’administration française, le gouvernement calédonien, le sénat coutumier, les partenaires sociaux…

Dans un contexte politique si particulier, les premiers déplacements interviennent « en toute humilité », se rappelle encore Philippe Bassot. « Nous venions de Paris, nous étions loin du contexte, de la culture et de l’histoire néo-calédoniennes dont Olivier Sudrie est un spécialiste et dont il nous avait brossé le portrait. Nous étions surtout là pour écouter », dit-il.

Après trois denses vagues – de 15 jours à chaque fois – d’entretiens sur place, le cabinet doit conclure. Sur la montée en puissance de cadres néo-calédoniens à même d’assumer des responsabilités régaliennes (police, justice, etc.), sur les connexions internationales aériennes de l’archipel… sur tous les aspects de l’accord, le cabinet devait répondre aux questions suivantes : « Est-ce que les parties en présence ont fait ce qu’elles avaient dit qu’elles feraient ? Cela a-t-il eu un impact sur la capacité de la Nouvelle-Calédonie à piloter ses instances sans l’aide de la Métropole ? », reformule aujourd’hui Philippe Bassot.

Pour ébaucher une réponse, le cabinet formalise un barème en quatre niveaux d’application des 41 points de l’accord de Nouméa : atteint, en évolution rapide, en évolution lente, pas démarré. Dans ce cadre, CMI et Olivier Sudrie rendent une copie plutôt positive en ce qui concerne l’application de l’accord (13 points sont dits atteints, 16 en évolution rapide).

La mission s’achève par des ateliers de synthèse où consultants et parties prenantes font le bilan de l’émancipation institutionnelle de l’île, du rééquilibrage économique entre les différentes régions de l’archipel et la valorisation de l’identité kanak – établissant au passage les obstacles pour avancer encore.

Et tout aurait pu en rester là. Mais, sept ans plus tard, le binôme est à nouveau mandaté pour refaire un état des lieux sur le même sujet, pour faire un constat à nouveau optimiste sur la bonne application des accords de Nouméa.

Prévus par ces accords, les référendums d’autodétermination ont été tenus en 2018, 2020 et… tout récemment, en décembre 2021. Tous ont vu une majorité s’opposer à l’indépendance calédonienne.

Et à présent ? Philippe Bassot se veut confiant : « La très grande majorité est attachée à la Nouvelle-Calédonie et a envie de vivre ensemble. C’est sur ce bien vivre ensemble que toute l’attention doit être portée à présent. »

Benjamin Polle
28 Avr. 2022 à 05:00
tuyau

Un tuyau intéressant à partager ?

Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !

écrivez en direct à la rédaction !

commentaire (0)

Soyez le premier à réagir à cette information

1024 caractère(s) restant(s).

signaler le commentaire

1024 caractère(s) restant(s).
9 + 1 =

secteur public

  • Exclusif - Avant la création de France Travail, Pôle Emploi rempile avec Roland Berger

    L’établissement public vient de choisir les cabinets de conseil qui l’accompagneront ces prochaines années, a appris Consultor. Ce alors que Pôle Emploi s’apprête à muer en France Travail. Côté stratégie, Roland Berger et Accenture, qui étaient déjà attributaires du dernier marché du genre en 2019, ont été à nouveau retenus, aux côtés de PwC et Eurogroup.

  • État : exit les consultants, bonjour les inspections

    Le think tank qui regroupe 150 hauts fonctionnaires, qui avait déjà plaidé voilà un an pour la multiplication d’équipes de consultants internes, appelle à présent à mobiliser davantage les inspections internes à chaque ministère.

  • Chaos des permis de construire : le maire d’Austin en appelle à McKinsey

    Le cabinet a été mandaté rapidement par le nouveau maire démocrate pour comprendre les raisons des lenteurs extrêmes touchant la délivrance de permis de construire dans la capitale texane. Fin août, McKinsey a identifié de lourds dysfonctionnements au terme d’une mission gratuite. Les consultants pourraient à présent rempiler pour 6 mois.

  • Licenciements, harcèlements : le parlement australien met McKinsey à nu

    Opération transparence : interrogé par une commission d’enquête du parlement australien à la suite d’une polémique sur le recours aux consultants par le gouvernement, McKinsey a dû mettre la lumière sur plusieurs politiques RH internes sur lesquelles il n’est habituellement pas dissert, et révéler plusieurs cas de violations de son code de conduite interne.

  • Radio du futur : Beauvau resigne avec Roland Berger

    Pompiers, polices, gendarmes, administration pénitentiaire : le réseau radio du futur (RRF) doit permettre de mettre sur un même réseau de télécommunications tous les services de secours et de sécurité français. Après avoir confié un premier marché de définition de la stratégie du RFF au cabinet de conseil, le ministère de l’Intérieur vient de lui confier un deuxième marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage.

  • Légiférer sur le conseil ou pas ? L’Assemblée se déchire.

    Mercredi 12 juillet, l’Assemblée nationale présentait les conclusions de 2 mois d’une enquête sur les dépenses de conseil des collectivités territoriales. Il en ressort un grand flou et les parlementaires appellent de leurs vœux une étude approfondie. En coulisses, le sort d’une proposition de loi pour encadrer les achats de conseil dans le secteur public est l’objet d’âpres tractations.

  • Consultants : la Cour des comptes met la pression sur l’Assemblée

    La Cour des comptes a rendu public lundi 10 juillet un rapport sur le recours par l’État aux prestations intellectuelles des cabinets de conseil. Il entérine un triplement des achats de conseil hors informatique entre 2017 et 2021, et appelle à mettre un terme à plusieurs « anomalies ». Parallèlement, mercredi, l’Assemblée nationale présentera en commission des lois le fruit de la brève mission qu’elle a également consacrée au sujet et devrait acter le report aux Calendes grecques d’une éventuelle loi sur le sujet.

  • Conseil interne : l’État ne fait pas assez, tance la Cour des comptes

    Dans un rapport récent, la Cour des comptes juge timorés les efforts du principal guichet des achats de conseil pour réinternaliser des prestations de conseil sinon confiées à des cabinets de conseil privés.

  • Consultants et collectivités : l’Assemblée ouvre une mission d’information

    Un rapport sera remis sous 2 mois, avec l’objectif d’élargir aux collectivités territoriales la proposition de loi « anti-consultocratie » votée au Sénat, et d’atterrir sur une nouvelle proposition de loi à l’automne, a appris Consultor.

Benjamin Solano
secteur public
cmi, secteur public, ministere interieur, oceanie, nouvelle caledonie
10590
2022-04-27 19:37:33
0
Non