Réduction du temps de travail : petit guide pour consultants travaillomanes
Selon une étude parue dans la Harvard business review (HBR), les consultants en stratégie refusent les dispositions les incitant à modérer l’intensité de leur travail, auxquelles ils sont pourtant invités par leurs employeurs.
Des dispositifs irréalistes et inutiles, jugent les premiers concernés à Paris. Ce sont des blocages psychologiques et culturels, arguent les chercheurs américains, qui ne voient dans les mesures que du bon : à commencer par la santé des salariés et les bénéfices des sociétés de conseil.
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Voici une étude contre-intuitive sur les conditions de travail des consultants en stratégie – connus pour leurs horaires plutôt hardcore. Selon Alison Wynn (Stanford University) et Aliya Hamid Rao (Singapore Management University), « les sociétés de conseil offrent parmi les meilleures politiques d’aménagement du temps de travail ».
On y trouve pêle-mêle les possibilités de travail à temps partiel en vigueur chez McKinsey ou les facilités pour se déconnecter chères au Boston Consulting Group (cf le droit à la déconnexion au BCG).
Pourtant, paradoxe, « la plupart des consultants ne les utilisent pas », écrivent les deux auteures qui estiment qu’aux États-Unis tout comme en France, la culture des horaires à rallonge se fait au détriment de la santé et de la vie sociale des consultants. Une conclusion à laquelle elles sont parvenues à l’issue d’une cinquantaine d’entretiens avec des consultants travaillant dans les plus prestigieuses sociétés de conseil américaines.
De lourds horaires dans le conseil en stratégie et leurs effets possiblement néfastes pour la santé et la vie privée des consultants : l’information n’est pas neuve, mais demeure une réalité bien concrète pour quelques professionnels sondés à Paris.
Le hardworking reste la norme
« C’est effectivement compliqué de prendre, par exemple, cinq semaines de congés payés par an ainsi que l’ensemble des RTT, confirme Olivier Vitoux, partner chez Corporate Value Associates. Les clients s’attendent à ce que nos consultants, et encore plus les managers soient disponibles. En règle générale, nous sommes obligés de travailler pendant certaines vacances. »
Une pression de tous les instants que nous confirme un autre partner de la place qui ne souhaite pas que son nom apparaisse : « Même si on ne dort pas sur nos deux oreilles, qu’on ne coupe jamais et que l’on peut souvent rêver de nos missions, moi, j’exige, en vacances, d’être régulièrement informé par mes équipes de l’évolution des missions en cours. Sinon, je trouve cela anxiogène. »
Quand un troisième partner, lui aussi sous couvert d'anonymat, explique que la règle est que « les consultants (soient) très rarement en arrêt maladie et aiment leur travail ».
Une pression à ce point paroxystique que Les Échos racontaient voilà un an comment un cabinet de conseil en stratégie avait vu l'ensemble des profils éligibles déclinés leur promotion au rang de partner par peur du rythme que les nouvelles responsabilités impliqueraient.
Certains vont même jusqu'au burn-out, quoique beaucoup minimisent ces problèmes ne reconnaissant pas d’incidences sur la santé des consultants. En commençant par sa pénibilité physique quasi nulle.
Difficile dans ce contexte de déroger à la culture du dur labeur hyper prégnante. Pourtant, selon le document publié par HBR, le décalage entre les politiques RH offertes par les employeurs et leur utilisation limitée par les consultants relève davantage de blocages psychologiques et culturels que d’une réelle impossibilité.
A minima, les mesures existent : le congé parental rémunéré, le travail à mi-temps, la semaine de quatre jours ou le congé sans solde.
Les dispositifs existants largement sous-utilisés
Pourquoi, alors, ne pas s’en saisir davantage ? Plusieurs réponses des universitaires. Le milieu des consultants considère qu’utiliser ces mesures les stigmatise, les faisant passer pour moins investis que les autres. Les chercheuses précisent aussi que ce refus de prendre des mesures bonnes pour leur santé s’explique par le fait d’une « volonté de gérer, seul, leur propre vie et leur propre carrière ».
Le problème est que cette volonté de contrôler eux-mêmes leur équilibre vie privée/vie professionnelle n’a pas les résultats escomptés. Les consultants qu’Alison Wynn et Aliya Hamid Rao ont interviewés évoquent les sacrifices de leur vie de famille, leurs problèmes de santé et leurs relations en souffrance du fait de planning de travail conséquent.
« Je n’ai pas pu assister mon père sur son lit de mort, dévoile une consultante, citée par la HBR. Mon client me réclamait au même moment dans une autre ville. Plutôt que de demander un congé exceptionnel, j’ai privilégié mon travail. Je regrette profondément, mais cette décision a été la mienne. Je suis plus actrice de ma vie qu’une victime de cette situation. »
Un dévouement parfois sans limites qui, pour les sociologues, repose plus sur des choix individuels que sur des standards sectoriels. Tout d’abord, les consultants estiment que l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle est incompatible avec le métier de consultant.
Leurs compétences en conseil, deuxième raison, signifieraient qu’ils pourraient, mais surtout qu'ils devraient trouver des solutions à leurs soucis en totale autonomie. Pour eux, la solution collective proposée par l’employeur ne peut correspondre à des problèmes individuels.
Enfin, dernière raison, les consultants mettent en avant la possibilité de quitter le métier s’ils ne sont pas contents des conditions de travail. Ce qu'on fait sans mal dans ces entreprises. Cf. le turnover ou le up or out.
Changer les méthodes d'évaluation et faire évoluer la culture
Les mesures existent, mais elles sont largement déclinées. Ce paradoxe a des effets délétères pour la profitabilité du secteur, avancent même les chercheuses. Elles mettent en effet en avant la perte de rentabilité occasionnée par des journées à rallonge, des déplacements importants ou des structures privilégiant la quantité de travail effectué à sa qualité.
L’étude de la HBR propose alors des pistes pour faciliter leur usage par les consultants. Il s’agit, tout d’abord, « d’élargir les conditions de la réussite professionnelle ». Les deux auteures invitent les cabinets de conseil à redéfinir « les conditions d’ascension professionnelle des consultants ». Elles proposent par exemple de généraliser les évaluations à double, voire à triple sens : seniors – juniors, juniors – seniors, clients – consultants.
Dont les résultats plus complets que ce qui est aujourd'hui pratiqué en moyenne pourraient inciter à améliorer l’équilibre vie pro/vie perso. Autre recommandation : changer la culture. Les employeurs pourraient diminuer la pression conduisant naturellement à glorifier les journées à rallonge et « faire de la flexibilité des horaires une valeur partagée par l’entreprise ».
« Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d’alu », semblent nous répondre nos interlocuteurs sur le marché français. Un autre consultant interrogé sur ces conclusions réfute même tout l’argumentaire en bloc. « Ce travail ne génère pas de problèmes de santé majeurs », conclut-il. Bref, un dialogue de sourds.
Par Gwenole Guiomard pour Consultor.fr
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