Pub TV : La mission du BCG qui fait la promo des distributeurs
Le digital a largement rebattu les cartes du marché publicitaire. TV, presse, radio, affichage, prospectus, la plupart des autres supports sont touchés. Alors qu’une mission a été commandée par le ministère de la Culture et l’ARCOM à PMP Strategy sur le financement des médias par la publicité (pour début 2024), c’est un autre cabinet, le BCG, qui a récemment planché sur ce dossier pour le Syndicat national de la publicité télévisée, le SNPTV. L’angle : l’ouverture de la pub TV à la promotion pour le secteur de la distribution.
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Cette étude du BCG, que le SNPTV ne souhaite pas partager publiquement pour l’instant en tout cas, est tout sauf anodine. L’idée étant de démontrer, chiffres à l’appui (objectivement, pour le SNPTV, totalement subjectivement pour ses détracteurs), les avantages de la potentielle évolution réglementaire donnant accès à la pub TV aux promos des distributeurs.
La distribution, un secteur très alléchant pour la pub
Les conclusions générales du BCG : tout le monde y serait gagnant, en tout cas, il n’y aurait pas de perdant, ni la presse écrite, ni la radio, des secteurs de leur côté vent debout contre cette idée. Car ce secteur de la distribution est une véritable poule aux œufs d’or pour ces médias supports de publicité. Il représente à lui seul un tiers de la publicité en France, soit 9 milliards d’euros (sur 33 Mds €), dont 4 Mds € pour le segment promo. « Nous (i.e. les représentants de la pub TV) n’avons accès qu’à une partie de ce secteur de la distribution. Le seul segment de la promo est autorisé pour tout le monde sauf nous. Historiquement, cette interdiction se comprenait, car alors que la TV représentait la moitié des recettes publicitaires, les législateurs voulaient protéger la presse écrite et la radio. Aujourd’hui, cette interdiction n’a aucun effet bénéfique pour la presse et la radio. En plus de cela, le grand gagnant aujourd’hui, c’est le digital, en pleine accélération, qui profite pleinement du gâteau publicité. La distribution y est surreprésentée », déplore Antoine Ganne, délégué général du SNPTV, interrogé par Consultor.
Le BCG, cabinet très « publicité compatible »
Cette première étude confiée au Boston Consulting Group par le Syndicat national de la publicité télévisée (créé en 1989) n’est pourtant pas la première sur le sujet effectuée par le cabinet. Le SNPTV, qui gère huit régies membres (dont TF1 Pub, M6 Publicité, France Télévisions Publicité, Canal Brand Solutions), a justement choisi le BCG en raison de sa bonne connaissance du secteur, comme l’explicite Antoine Ganne. « Sur ce type de sujet, il nous faut bien sûr un cabinet qui dispose d’une practice média. Nous avons opté pour le BCG, car il avait déjà été missionné par le gouvernement en 2019 avant la modification en 2020 de la réglementation. Le BCG avait réalisé deux études, une pour étudier les marchés TV et presse, et déjà les risques d’ouverture à la pub TV de la promo du secteur de la distribution. Nous voulions un véritable référentiel et un comparatif par rapport à une situation qui a changé depuis, le covid, la nouvelle conscience environnementale des citoyens, l’explosion du prix du papier. Le BCG était le mieux placé pour réactualiser ces études. »
L’étude du BCG s’engouffre dans le « régime » environnemental
Cette mission du BCG intervient dans un nouveau contexte à la fois réglementaire et d’engagement RSE du secteur de la distribution. L’accès des distributeurs à la pub TV est un bras de fer engagé maintenant depuis près de 20 ans entre les différents acteurs supports de la pub, presse écrite, radio, télévision, digital, et ce, dans un cadre réglementaire régi par un décret de 1992. Les distributeurs étaient totalement interdits de pubs TV jusqu’en 2007. Depuis, ils y ont accès, mais subsiste encore l’interdiction de diffuser à la télévision des publicités pour leurs opérations commerciales de promotion. En 2020, une nouvelle évolution de la législation en la matière (régie par un décret de 1992) a ouvert de nouvelles vannes : l’autorisation de la publicité segmentée (messages publicitaires adaptés selon les zones de diffusion et les téléspectateurs) et l’assouplissement de la pub TV pour le cinéma. Selon une étude de France Pub d’alors, « la remise en cause des secteurs interdits de publicité à la TV et l’autorisation de la publicité segmentée feraient perdre jusqu’à 576 millions d’euros par an à la presse, à la radio et à l’affichage à partir de 2022 ».
Dernière évolution en date, la mort programmée des prospectus avec l’annonce d’une significative réduction, voire d’un arrêt total de ce segment pub (à l’instar de Leclerc ou de Carrefour) ; la distribution des prospectus et catalogues sur papier est arrêtée depuis septembre 2023. Le nouveau dispositif « Oui pub », actuellement testé jusqu’en 2025, qui devrait remplacer « Stop Pub » instauré en 2004, a montré ses limites (apposé sur environ un tiers des boîtes aux lettres, les imprimés publicitaires représentent encore près de 900 000 tonnes par an selon l’ADEME). Distributeurs et diffuseurs (via notamment le SNPTV) en profitent pour revenir à la charge pour que le voile d’interdit de ce – juteux – pan pub soit levé.
Des conclusions « pro SNPTV » qui font débat
Ce que dit aujourd’hui l’étude du BCG, dans la continuité de celle de 2019 pour le gouvernement qui prédisait une baisse régulière des imprimés papier, c’est l’accélération de ce processus. Un marché des imprimés papier qui s’élevait à deux milliards d’euros en 2022, dont 90 % dédiés à la promo des distributeurs. « Il est temps de revoir les choses dans ce nouveau contexte lié à la quasi-fin de la distribution de prospectus par les distributeurs, et que cette manne-là puisse être réallouée en partie à la pub TV. Entre 2022 et 2027, ce marché va être divisé par deux. Sur ce milliard, une bonne partie va être consacrée par les distributeurs à l’accélération de leurs applis digitales. Le BCG considère que 500 millions d’euros seront réinvestis en opérations promo sur d’autres supports. La presse ne peut pas répondre à ces attentes d’investissement, et ses audiences sont insuffisantes pour que ce soit intéressant pour les annonceurs. À la radio, le média le plus adapté, plus de la moitié des spots sont déjà réservés à la promo des distributeurs. Il arrive à saturation, il peut difficilement faire beaucoup plus. Le seul vrai gagnant serait le digital. »
L’étude du BCG est une véritable aubaine pour le SNPTV puisqu’elle met en exergue le fait qu’en profitant de la fin des prospectus papier, et si les interdictions de la publicité étaient revues, la télévision pourrait capter autour de 150 millions d’euros. Selon l’étude, la télévision recevrait « une juste part » de la croissance du secteur « sans préjudice ni pour la radio ni pour la presse », qui augmenterait également d’ici à 2027. « Le gouvernement, et c’est une première, nous dit que l’on a raison, mais que c’est trop tôt, que cette décision jetterait de l’huile sur le feu, alors que les États généraux de l’information viennent de s’ouvrir, que nous en reparlerons en 2025. Nous avons accepté ce report dans un premier temps en décidant de ne pas publier l’étude. On fait profil bas, et nous continuons à discuter avec les acteurs de la presse et de la radio, afin de trouver une solution gagnante pour tout le monde. Mais il va falloir du courage politique. »
Une mission classique pour le BCG, mais hors norme pour le syndicat
Cette étude a été menée sur 6 semaines entre mai et juin 2023 par une équipe du BCG de trois personnes : Nicolas Kachaner, managing director et senior partner, Marion Graizon, partner membre de la practice Telco, Media et Technologie (TMT), et un consultant.
« Ils sont très bons en raisonnement. Ils nous ont avant tout alimentés en chiffres, en slides, en analyses. Nous avions constitué un groupe de travail avec différents intervenants de notre syndicat, du service marketing, de la régie… » Ne pouvait-elle pas se réaliser en interne, avec les multiples compétences des adhérents professionnels du secteur ? « Imaginez ce qui nous aurait été reproché si nous avions réalisé cette étude nous-mêmes. Une étude, qui plus est, qui confirme notre discours autour de l’opportunité de l’ouverture des promotions des distributeurs à la télé. Il nous est déjà reproché un manque d’objectivité, car nous sommes les commanditaires et payeurs de l’étude. »
Quant à la facture payée par le SNPTV au BCG, c’est bien sûr silence radio. « C’est très cher, trop cher. Nous ne pourrions évidemment pas le faire chaque année, nous n’avons pas les moyens. Notre budget annuel est de 800 000 euros. En général, nous travaillons avec des cabinets de plus petite taille, donc forcément moins chers, à l’instar du cabinet Demain. » La dernière étude d’ampleur pour laquelle le SNPTV avait missionné un gros cabinet, c’était effectivement en 2015, avec EY, une étude sur la publicité segmentée (qui permet de personnaliser les messages publicitaires pour un même espace spot donné en fonction de différents segments d’audience et de localisation), qui a été autorisé par décret en 2020 à la télévision.
La balle est donc dans le camp politique. Les travaux des membres du comité de pilotage des États généraux de l’information ont débuté début octobre sur des thématiques pour le moins sensibles : la publicité, mais aussi les aides à la presse, l’indépendance éditoriale et le pluralisme, les aides à la presse, l’audiovisuel public et privé, les réseaux sociaux, l’IA… Les conclusions sont attendues au printemps 2024. Reste à voir si le gouvernement suivra les recommandations du BCG quant à cette juteuse niche qu’est l’ouverture de la pub TV aux promos des distributeurs.
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