Le consulting à la recherche des représentants du personnel perdus
Tickets restaurants, intéressement, télétravail… Dans les cabinets de conseil en stratégie, comme dans n’importe quelle entreprise, les représentants du personnel sont obligatoires et interviennent sur divers sujets. Pourtant, ils y sont souvent totalement méconnus, évoluant dans des cultures d’entreprises peu portées à la revendication.
« Entre 2001 et 2015 dans un grand cabinet, je suis bien incapable de dire qui étaient les représentants du personnel. Pour moi, ils se rapprochent plus des syndicats étudiants ou des bureaux des élèves », lance tout de go un ancien associé d’un des gros cabinets de conseil en stratégie de la place sous couvert d’anonymat, mandat actuel oblige.
"La valeur ajoutée des représentants de personnel est quasi nulle lors de départs"
Une charge contre le mandat légal de représentant du personnel que corrobore et explicite Marc Gigon, ex-associé chez Roland Berger (en 2017), aujourd'hui chez Microsoft (relire ici) : « Les cabinets ne sont pas vraiment adaptés au fonctionnement du dialogue social tel qu’il est dicté par le droit. Et même si la protection des salariés consultants est un point clé du succès d'un cabinet, dans les faits ils ont peu de temps à consacrer au fonctionnement légal de l’entreprise. »
Pourtant, élire ou désigner un ou des représentants du personnel fait partie des obligations légales de toute entreprise comptant plus de 11 salariés.
Leurs missions sont connues : représenter les salariés auprès de l'employeur, veiller à leur santé et à leur sécurité, faire évoluer les conditions de travail, obtenir des avantages sociaux, négocier sorties, activités et produits culturels…
Pourtant, pour l’ancien partner de Roland Berger, Marc Gigon, dans les cabinets de conseil en stratégie « ces tâches sont la plupart du temps assurées par des salariés des fonctions supports qui restent de fait plus longtemps dans l’entreprise avec des positions plus fragiles et plus de choses (augmentation annuelle, conditions de travail) à défendre ».
Les conflits, quant à eux, surtout à des niveaux plus seniors, se gèrent directement entre avocats (quelques retentissantes batailles judiciaires ici). Mais à des niveaux plus juniors, le secteur du conseil applique une convention collective, celle du Syntec, très favorable aux salariés, selon l’avocat Malik Douaoui. Ensuite, la culture y est peu portée à la revendication : les cabinets de conseil en stratégie restent une filière très sélective, fort bien rémunérée où les profils sont peu portés à la lutte des classes.
En tout cas, on ne voit guère les représentants du personnel lors des conflits employeur/salarié au sein des cabinets ; les représentants de personnel n'endossant que très rarement le costume du délégué syndicaliste. D’ailleurs, dans le secteur, la représentation syndicale est encore plus basse que dans la moyenne des entreprises françaises. Le cas échéant, la CFDT, un syndicat connu pour prôner le dialogue, tient le premier rôle. « En quinze ans, je n’ai vu que deux processus disciplinaires. La valeur ajoutée des représentants de personnel est quasi nulle lors de départs », confirme l’ex-partner qui a requis l’anonymat.
Qualité de vie au travail, intéressement, RSE, télétravail : les sujets typiques des représentants du personnel dans le conseil en stratégie
Quelles sont alors les missions des représentants du personnel dans ce secteur singulier ? Celle d’un porte-voix et d’une courroie de transmission, en tout cas au sein des petits cabinets, comme chez Ares & Co (40 collaborateurs dont 36 consultants), et de taille intermédiaire, à l’instar d’Eight Advisory France (460 salariés pour 425 consultants en France).
« Notre CSE [la nouvelle instance unique représentative – ndlr] permet de faire remonter le pouls positif et négatif à la direction et de trouver des solutions aux points d’amélioration, par exemple sur les sujets de télétravail ou de RSE [Responsabilité sociale et environnementale, relire ici – ndlr]. Nous sommes toujours dans le dialogue et la direction répond positivement à l’immense majorité des propositions. Il n’y a pas de sujets conflictuels comme cela peut se retrouver dans d’autres métiers », atteste Édouard Dutheil, élu secrétaire général du comité d’entreprise d'Eight Advisory entre 2015 et 2018, un CE qui comprenait alors neuf titulaires et neuf suppléants pour environ 200 salariés.
Idem chez Ares & Co, cabinet dédié aux services financiers, où la représentation sociale a été mise en place peu après la création du cabinet en 2009 dans « une volonté d’ouverture au dialogue social à tous les niveaux de la pyramide des grades », dixit Mehdi Messaoudi, représentant du personnel entre 2014 et 2019, et COO d’Ares & Co.
« Nous nous sommes rendus compte que dans le temps de la construction du cabinet, cette entité nous a servi à réfléchir ensemble à des sujets très concrets comme le choix d’une couverture santé ou encore la valeur faciale des titres-restaurant. Ce sont des sujets assez structurants pour le cabinet comme pour les salariés que nous avons abordés en toute transparence. En cette période de Covid et de télétravail, il y a une véritable volonté de la gouvernance de solliciter ces représentants pour favoriser encore plus le dialogue social », ajoute Mehdi Messaoudi, qui a passé le relais à une nouvelle équipe, dont Gaspard Jallat, manager chez Ares & Co, représentant du personnel depuis deux ans.
« Le dernier sujet a été la renégociation de l’accord d’intéressement qui arrive à son terme ; un exercice complexe mais abordé sans animosité dans une logique gagnant-gagnant », poursuit le manager.
Et quid des très grands cabinets ? Les choses semblent s'y passer de la même manière, comme le confirme l’ex-associé de Roland Berger Marc Gigon : « In fine, il n’y a pas vraiment de sujet car les cabinets sont en permanence dans une obligation de dialogue pour garder leurs consultants. Les dirigeants n’ont pas besoin d’être "aiguillonnés" par les représentants du personnel pour cela. Aujourd'hui, curieusement, la défense des conditions de travail des consultants passe beaucoup plus par les réseaux sociaux comme @balancetoncabinet [relire notre article ici – ndlr], où les consultants n’hésitent pas à dénoncer leurs conditions de travail. » Un mal-être jeté en pâture donc, et qui peut dénoter un manquement d’écoute en interne…
Un tremplin de carrière
En lien permanent avec la hiérarchie, les représentants de personnel se font aussi une place à part au sein du cabinet.
« Le plus satisfaisant est que l’on se sent contribuer à l’avancée du cabinet et à sa croissance au-delà du business. On est plus impliqué et il y a un côté stimulant à échanger sur ce type de sujets hors des problématiques clients », note Mehdi Messaoudi, l’ancien délégué, COO d’Ares & Co. « Cet investissement supplémentaire au sein de l’entreprise n’apporte que du positif. C’est à la fois intéressant et gratifiant, mais ça n’a pas d’impact sur les évaluations et passages de grade », assure Gaspard Jallat d’Ares & Co.
Une place à part qui peut même bénéficier aux représentants. « Côté professionnel, les relations établies avec la direction n’ont clairement pas entravé ma progression », atteste Edouard Dutheil, nommé associé de Eight Advisory neuf ans après son entrée en janvier dernier, à l’âge de 36 ans. Ils sont 9% de partners à être élus à cet âge-là (relire ici).
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