Enquête – Air France, l’autre bastion du BCG

Renault, Sanofi… le Boston Consulting Group est le cabinet de conseil en stratégie référent de plusieurs grandes entreprises françaises. Chez Air France, la décision récente de Ben Smith, le directeur général d’Air France-KLM, de travailler à la nouvelle stratégie du groupe avec le BCG témoigne d’une prépondérance vieille de 20 ans.

Benjamin Polle
29 Jui. 2022 à 12:00
Enquête – Air France, l’autre bastion du BCG
Air France airplanes at Charles de Gaulle airport in Paris, France, March 2019 - Adobe Stock

Premier trimestre 2022 au siège d’Air France-KLM, aux Invalides à Paris. Après bientôt quatre ans à la tête du groupe (il a pris ses fonctions en septembre 2018), Ben Smith a de quoi faire.

Il explique au Financial Times vouloir repayer au plus tôt les aides d’État dont la compagnie a bénéficié pour pallier la crise covid, avec l’objectif de se libérer d’une interdiction de rachats. Dans le viseur, la vente d’ITA en Italie dont Air France-KLM pourrait prendre une part.

Autres objectifs : ouvrir de nouvelles routes low cost et intégrer davantage les différentes activités du groupe pour éviter les surcoûts… Et ce alors qu’au 4e trimestre 2021, les pertes ont été moins importantes que prévu et le revenu opérationnel plus élevé qu’à la même période en 2019.

Allô BCG ?

C’est dans ce contexte que la direction générale informe en interne qu’elle a confié au BCG le soin de l’accompagner dans la conception de son prochain plan stratégique (relire ici). « Ces missions d’accompagnement sont décidées par la direction générale du groupe, moins de dix personnes autour de Ben Smith », souffle un membre du conseil d’administration qui a requis l’anonymat.

En appelant le BCG à travailler sur le plan « New Horizon », Ben Smith, qui avait déjà recours au cabinet dans ses fonctions antérieures chez Air Canada, s’inscrit dans une certaine tradition chez Air France puis Air France-KLM.

Car le BCG n’en est pas à sa première mission pour le pavillon aérien français, loin de là. Le plan de restructuration de KLM en 2020 ? BCG. Le précédent plan stratégique « Trust Together » en 2016 ? Le BCG, encore.

Comme l’apprenait La Lettre A en 2016, au moins quatre générations de patrons d’Air France puis d’Air France-KLM (le rapprochement a eu lieu en 2004) ont eu régulièrement recours aux services du BCG : Jean-Cyril Spinetta (PDG du groupe Air France de 1997 à 2008, président de 2009 à 2011, à nouveau PDG de 2011 à 2013) ; Pierre-Henri Gourgeon (DG Air France-KLM de 2009 à 2011) ; Alexandre de Juniac (PDG Air France-KLM de 2013 à 2016, passé par Bain en stage – voir notre article) ; Jean-Marc Janaillac (PDG de 2016 à 2018). Ben Smith poursuit donc cette lignée.

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BCG, chouchou de Jean-Cyril Spinetta

L’acte de naissance d’une relation suivie Air France-BCG remonte au moins à l’ère Spinetta. « BCG, pour le conseil en stratégie, et Lazard, pour la banque d’affaires : ils étaient les deux préférés de Jean-Cyril Spinetta », confirme un ancien membre du comex d’Air France-KLM.

Le partner d’un cabinet de conseil en stratégie concurrent, qui est aussi intervenu sur le compte Air France des décennies durant, juge que « le BCG est devenu le consultant de référence au moment du rapprochement entre Air France et KLM, sur lequel le cabinet a travaillé, ainsi qu’à l’intégration des deux entreprises ensuite ».

KLM dont le BCG est également très proche. Comme en témoigne un récent programme pilote d’amélioration de la performance pluriannuel dont KLM et le BCG ont tous deux fait abondamment la promotion (relire notre article).

Après Spinetta, la relation Air France-KLM s’est poursuivie, comme en témoigne à Consultor Pierre-Henri Gourgeon, l’ancien DG d’Air France-KLM de 2009 à 2011. « J’ai travaillé avec le BCG à la suite de mes prédécesseurs parce qu’une compagnie aérienne est une très grosse entreprise qui a besoin d’être continuellement aiguillée sur sa stratégie. De manière générale, les consultants en stratégie avaient l’intérêt de ne pas poursuivre des agendas personnels et d’être des bons observateurs des dynamiques auxquelles s’astreignaient les compagnies aériennes », dit-il.

Les partners en charge du compte Air France se succèdent eux aussi, tels que Tommaso Barracco, un partner qui a quitté le cabinet en 2012 après quasi trente ans de maison, ou encore Jacques Chapuis, qui a lui aussi quitté le cabinet.

« Un réflexe de facilité »

Sur des sujets assez classiques de compétitivité, concurrence des low costs, réduction des coûts, le BCG fait souvent la différence vis-à-vis de la concurrence. « Peut-être parce que nous avions plus d’impact, que nous étions plus à l’écoute », défend un autre ex-partner du BCG.

Moins une question de compétences que d’habitude, pour notre source passée par le comex d’Air France-KLM. « L’exclusivité BCG procède de l’habitude prise par les dirigeants. S’ils ont une idée, ils vont appeler le cabinet pour en discuter. Ce dernier va dire “nous, nous pourrions faire ceci ou cela sur ce sujet”. Et souvent, le groupe donne suite. Parce qu’il est beaucoup plus dur et chronophage de dire à son consultant de référence que vous allez le mettre en concurrence avec trois ou quatre cabinets », indique cet ancien haut dirigeant.

Même son de cloche chez un partner d’un autre cabinet de conseil en stratégie également souvent mandaté par le groupe : « Un consultant de référence dans un groupe n’a rien de choquant. C’est un réflexe de facilité. Certains clients sont à ce point loyaux et en confiance avec leurs consultants que les consultants peuvent être amenés à gérer les budgets conseils comme s’il s’agissait de leur propre argent. »

Un réflexe de facilité qui a pu à certains moments interroger, voire agacer, au sommet du groupe comme à la base. « Le BCG, on n’a jamais rien eu contre eux, on ne comprenait simplement pas pourquoi nous devions être aussi exclusifs », témoigne notre source passée par le comex. 

Ne serait-ce que pour avoir d’autres points de vue sur le secteur, Roland Berger, Oliver Wyman, McKinsey ou d’autres sont également mandatés. « Ils ouvraient sur certains sujets pour voir comment les cabinets challengers pouvaient les aborder », témoigne le partner d’un cabinet concurrent.

De même, McKinsey est par exemple intervenu en 2019 pour une évaluation de la performance économique d’Air France-KLM alors que les pertes se creusaient et qu’un plan de départ volontaire avait été acté (ici).

Mais même si 30 consultants du bureau parisien de McKinsey ont été missionnés pour conduire à bien ce travail, le mandat n’aurait pas été pleinement satisfaisant. Du moins, Sébastien Declercq, l’ancien managing partner de Kearney et aujourd’hui chez Oliver Wyman, avait été ensuite sollicité (voir notre article).

Enfin, Roland Berger – où Jean-Marc Janaillac (PDG de 2016 à 2018) est devenu senior advisor – a également été ponctuellement mandaté. Un ancien de la direction rapporte qu’en son temps la relation avec ce cabinet n’avait pas été poursuivie pour des différences irréconciliables de culture d’entreprise. Interrogé sur ce point, Roland Berger a fait savoir à Consultor que le cabinet entretient des relations régulières avec le groupe Air France – KLM et ses filiales et qu’il n’a souvenir d’aucun différend au cours des missions passées.

Ainsi, si le BCG est à ce point privilégié, c’est aussi que ses concurrents ne sont pas parvenus à s’y faire une place sur le long terme. « Avec le BCG, cela fonctionnait très bien », appuie Pierre-Henri Gourgeon.

Le BCG agaçait parfois en haut, mais aussi en bas. Interrogés par Consultor, des responsables syndicaux, représentants des salariés du groupe, regrettent des études dont ils sont tout juste informés, dont ils ne voient jamais une ligne, et qu’ils jugent chères payées.

Un million d’euros par mois

Car si les honoraires de conseil restent marginaux parmi l’ensemble des coûts dans un groupe de la taille d’Air France-KLM (14 milliards d’euros d’activité en 2021), à l’époque d’Alexandre de Juniac, ils étaient de l’ordre d’un million d’euros par mois, pour des équipes de trois partners au maximum, et quelques consultants.

Ce qui, du point de vue du BCG, reste un compte moyen, comparé à d’autres clients (chez Sanofi, le contrat annuel du BCG est monté jusqu’à 60 millions d’euros annuels – relire notre article).

Bien acheter

Des missions chères mais utiles, juge l’ancien membre du comex qui a accepté de témoigner. « Ce sont des missions coûteuses, mais très utiles et qui rapportent beaucoup plus qu’elles ne coûtent si vous savez en faire bon usage. Car malgré tout, le BCG, et parfois ses concurrents, sont les seuls à avoir une idée claire de comment cela marche ailleurs, sans qu’on ne sache jamais trop comment ils l’acquièrent. Quand on doit changer ou garder une organisation X ou Y en interne, ce n’est pas pareil de prendre le BCG ou McKinsey pour un mois que de faire un groupe de travail interne », explique cette source.

Bien acheter : tout l’enjeu est là. Au sein du conseil d’administration actuel, où le BCG est aussi le nom qu’on a vu passer le plus souvent, on est plutôt tranquillisé à cet égard. Notre source au conseil juge que Ben Smith, du fait de son expérience dans le secteur de l’aérien civil, ne risque pas de se faire balader par les consultants. « La direction générale est très compétente et saura challenger les consultants », dit cette source.

Les enjeux sont de taille alors que l’été du secteur aérien s’annonce chaud et que des perturbations sont à prévoir. Dans ce contexte, Air France-KLM prend son temps pour peaufiner sa stratégie dont la date d’achèvement n’est pas encore connue. Elle sera définie « le plus vite possible », indique seulement notre source au conseil d’administration.  

Sollicité, le BCG n'a pas donné suite à notre demande d'interview. 

Boston Consulting Group McKinsey Oliver Wyman Roland Berger
Benjamin Polle
29 Jui. 2022 à 12:00
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commentaires (1)

JS
29 Jui 2022 à 14:55
Air France est sorti du CAC 40... en 2009

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Benjamin Solano
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aérien, travel, tourisme, air france, ben smith, mission, klm, tourisme, bcg
10704
Boston Consulting Group McKinsey Oliver Wyman Roland Berger
2022-07-14 15:17:02
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Non
transports - tourisme: Enquête – Air France, l’autre bastion du B