Éducation nationale, réforme des retraites : McKinsey sur le gril
Mardi 18 janvier, lors de leur audition par la commission d’enquête du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, deux partners de McKinsey à Paris ont dû répondre des tenants et aboutissants de deux missions dans le secteur public.
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Illustration mardi 18 janvier lors de l’audition de Karim Tadjeddine, directeur associé de McKinsey au bureau de Paris, où il est coresponsable de l'activité secteur public, et de Thomas London, également directeur associé de McKinsey au bureau de Paris, responsable des activités santé et secteur public au niveau français.
La rapporteure de la commission d’enquête, Éliane Assassi, sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis, a en effet confronté les partners du cabinet à certaines missions conduites et pas encore rendues publiques – et dont la commission a eu connaissance dans ces travaux grâce au délégué interministériel à la transformation publique (DITP), grand orchestrateur du recours ministériel aux cabinets de conseil sous le quinquennat d’Emmanuel Macron (relire notre article).
À l’instar d’une mission conduite au ministère de l’Éducation nationale : « Vous avez obtenu un contrat de 498 600 euros pour évaluer les évolutions du métier d’enseignant. Pouvez-vous nous dire à quoi a abouti cette mission ? », a interrogé la sénatrice.
« Vous avez obtenu un contrat d’un montant de 496 800 euros pour "évaluer les évolutions du métier d’enseignant". Vous pouvez nous dire à quoi a abouti cette mission ? » interroge la rapporteure de la commission d’enquête sur les cabinets de conseil @ElianeAssassi pic.twitter.com/9JnHkH8LbM — Public Sénat (@publicsenat) January 18, 2022
Une mission dont la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, entendue par cette même commission le lendemain, le mercredi 19 janvier, a précisé le périmètre. Il s’agissait initialement d’une sollicitation du ministère de l’Éducation nationale en vue de la tenue d’un colloque sur l’avenir du métier d’enseignant, qui devait se tenir en avril 2020. Le cabinet devait dans un premier temps préparer les supports utilisés lors de ce colloque et également effectuer un comparatif international sur les évolutions du métier constatées dans d’autres pays. Devant les reports successifs du colloque, celui-ci a finalement eu lieu en distanciel le 1er décembre 2020 dans le cadre du Grenelle de l’éducation. La mission a contribué à la publication d’un rapport de synthèse (dont on retrouve trace ici).
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Jeudi 2 décembre, la commission d’enquête du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil dans les politiques publiques démarrait ses travaux. Elle se donne pour objectif de faire la lumière sur un sujet devenu grand public après que plusieurs cabinets de conseil sont intervenus auprès du gouvernement dans le cadre de la gestion de la pandémie.
« Nous avons été sollicités par le ministère de l’Éducation nationale dans le cadre du marché DITP. Notre rôle a été d’accompagner la DITP et le ministère pour organiser un séminaire en lien avec un certain nombre d’organisations internationales pour réfléchir à quelles étaient les grandes tendances d’évolution du secteur de l’enseignement, les évolutions attendues du marché de l’enseignant. Nous travaillons depuis une vingtaine d’années maintenant à l’analyse de l’évolution des systèmes d’éducation », a répondu Karim Tadjeddine.
Avant de se faire reprendre par la sénatrice, jugeant la réponse du partner « imprécise ». « La somme est d’ampleur, à quoi cela a-t-il abouti ? », a-t-elle de nouveau interrogé.
Précision de Karim Tadjeddine qui indique ne pas avoir piloté cette mission en particulier : « Cela a conduit à l’ensemble des travaux qui ont été réalisés avec la DITP et le ministère de l’Éducation. Benchmarking de l’ensemble des pays européens pour anticiper les évolutions du métier d’enseignant, l’évolution des systèmes éducatifs, réfléchir à un certain nombre de thèmes de réflexion en vue d’un séminaire en février 2021. »
Des réponses qui ont suscité de vives critiques sur les réseaux sociaux notamment.
Un sujet d’éducation qui n’est pas du tout neuf pour McKinsey qui en a fait un cheval de bataille. Comme ce travail conduit (relire notre article) par McKinsey sur plusieurs années, de 2008 à 2016 environ, au Pakistan sur le système éducatif de la province du Punjab (100 000 écoles, 5 millions de professeurs).
La mission à la Cnav en question
Autre interrogation de la commission : la mission, facturée 920 000 euros, obtenue par McKinsey en 2019 auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse en préparation d’une éventuelle réforme des retraites (il était alors envisagé par le gouvernement qu’un système universel remplace les 42 régimes existants, ce qui avait suscité d’importantes grèves). « Quel a été le rôle de McKinsey ? », a interrogé la sénatrice sur ce sujet.
« La perspective de la réforme des retraites était là. Il s’est agi de réfléchir aux axes d’évolution de la Cnav pour faire en sorte qu’ils assument mieux leurs missions, dans la perspective de la réforme éventuelle et de manière générale pour améliorer leur fonctionnement », a expliqué Thomas London.
Le rôle de McKinsey à la Cnav a pu intéresser la commission d’enquête sénatoriale pour l’interventionnisme politique prêté au cabinet – ce dont il se défend. Car la présence ancienne de McKinsey auprès des dirigeants publics et privés français a pu être critiquée et considérée comme la cause d’un certain nombre de réformes d’inspiration très libérale. Le plafonnement des indemnités aux prud’hommes ? Une publication d’Éric Labaye de 2012 (alors directeur général de McKinsey en France, il est désormais président de Polytechnique) sur le marché de l’emploi en France aurait prédit ce plafonnement. Le million d’emplois promis par le Medef et son président d’alors Pierre Gattaz, en échange du crédit d’impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) accordé aux entreprises ? Un coup de com’ étayé par McKinsey (relire notre article). Le cabinet a également participé à la rédaction du projet de loi Macron 2 (relire notre article).
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secteur public
- 24/05/22
En deux ans, en 2018 et 2019, le cabinet s’est vu confier par le ministère du Travail six missions en lien avec la réforme de la formation professionnelle et la transformation de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), pour un total d’honoraires de 4,6 millions d’euros.
- 19/05/22
Le cabinet a été mandaté pour le ministère de l’Intérieur de 2019 à 2021 pour évaluer les politiques d’intégration de l’État.
- 18/05/22
Les deux cabinets ont réalisé cinq missions en 2019 et 2020 pour le ministère de la Culture. Leurs honoraires ont atteint 831 000 euros sur cette période.
- 12/05/22
Le Sénat, dans son rapport sur l’influence des cabinets de conseil privé sur les politiques publiques, a recensé l’ensemble des missions effectuées à titre gracieux par des cabinets de conseil auprès de divers ministères. Consultor recense celles qui ont été effectuées par des cabinets de conseil en stratégie.
- 28/04/22
Par deux fois, en 2011 et 2018, un binôme de consultants a été choisi pour faire un état de la mise en œuvre de l’accord politique de 1998. Récit de l’intérieur de cette mission à fort enjeu diplomatique.
- 21/04/22
Deux ans durant, de fin 2018 à fin 2020, McKinsey a été mandaté à trois reprises par le ministère de la Cohésion des territoires pour faire atterrir la réforme de l’aide personnalisée au logement (APL). Elle était voulue par l’exécutif après qu’il avait annoncé tout au début du quinquennat Macron vouloir la faire baisser de 5 euros par mois.
- 19/04/22
Si les cabinets sont majoritairement bien notés par les administrations acheteuses pour leurs missions dans le service public, les modalités mêmes de cette évaluation sont remises en cause par l’exécutif qui appelle à les muscler. Les consultants, eux, plaident pour une juste prise en compte du caractère volatil de prestations intellectuelles nécessairement évolutives.
- 08/04/22
C’est un des petits biscuits du rapport du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil : la manière avec laquelle les cabinets peuvent faire de la présence d’anciens hauts fonctionnaires un argument de vente de missions dans le secteur public.
- 17/03/22
Estimant que les dépenses de conseil de l’État et ses opérateurs ont doublé ces cinq dernières années, le Sénat a préconisé 19 mesures d’amélioration en faveur de l’efficacité de ces achats et de leur transparence, dans un rapport rendu public le 17 mars 2022. Roland Berger, McKinsey et BCG comptent parmi les 20 cabinets les plus actifs. Une proposition de loi transpartisane sera déposée dans les prochains mois pour que le Parlement puisse se prononcer sur ces recommandations.