À la recherche du consultant qui a vu le consultant qui a vu l’IA rentable
La révolution de l’IA générative aura bientôt 3 ans. Concrètement, les cabinets de conseil en stratégie commencent-ils à constater des impacts tangibles sur les investissements, l’activité et les résultats de leurs clients ? Passe-t-on à l’échelle ou amorce-t-on un plateau, voire un recul ? Les signaux sont contradictoires, y compris parmi les partners que nous avons interrogés.
Officiellement, l’IA est passée à la vitesse supérieure. Les MBB affichent tous des taux élevés d’implication dans le secteur. McKinsey parlait cet été de 40 % de chiffre d’affaires généré par le conseil autour de l’IA et des technologies apparentées. Le BCG prévoyait déjà en 2024 une activité IA et IA générative représentant 20 % de son chiffre total, et anticipait 40 % pour 2026. Bain, annonçant en juillet son partenariat avec le pionnier du machine learning Dr. Andrew Ng, évoquait le chiffre de 30 %, et même 50 % « dans les années à venir » – mais sur un champ apparemment plus large, incluant « tech » et « IA ». De fait, ce flou artistique entre ce qui relève de la technologie en général et de l’IA en particulier pourrait justifier que l’on relativise un peu les chiffres donnés par les cabinets.
Le grand décollage a-t-il donc commencé ? Nous avons posé la question à Sébastien Vincent (Simon-Kucher), Hugues Havrin (Oliver Wyman), Clément Santander et Arnaud Bodji (Arthur D. Little), Vincent Delaeter (Advancy).
Des promesses tenues dans la R&D, crédibles dans l’industrie
Les clients inondent-ils les cabinets de conseil en stratégie de demandes d’accompagnement sur des investissements massifs dans l’IA ? Les retours varient.
Clément Santander, partner chez Arthur D. Little, est très affirmatif : « Sur les 18 derniers mois, nous observons un triplement des appels d’offres où l’IA est explicitement mentionnée. Environ 30 % de nos missions ciblent explicitement l’IA et près de 50 % intègrent au moins un outil d’IA, dans l’industrie, l’aéronautique, l’agroalimentaire, le retail ou encore les services. »
La sauce, cependant, ne prend pas toujours immédiatement ; le cabinet de conseil en stratégie a justement pour mission de scénariser l’innovation de façon efficace. « La plupart du temps, il y a d’abord quelques use cases qui créent de l’envie et du momentum, comme la maintenance prédictive dans les opérations, les simulations in silico dans la R&D. » Ce sont les « North Stars », les objectifs lointains mais désirables qui motivent l’action dans la durée. « Au départ, les budgets sont souvent destinés à combler les “building blocks” manquants pour pouvoir déployer efficacement ces solutions ». Il s’agit de tout ce qui concerne l’infrastructure et le modèle de données. Cette phase d’investissements peut s’avérer longue et coûteuse ; il est donc important d’identifier dans l’intervalle « des use cases que l’on peut déployer rapidement afin d’entretenir la confiance et l’envie de transformation ». Ces applications rapides et rentables sont importantes pour éviter que la dynamique ne s’essouffle, pour « phaser » le déploiement de l’innovation.
Concrètement, explique Clément Santander, l’IA a déjà entraîné « des changements radicaux dans la R&D, avec des réductions du temps d’essai d’au moins 30 %. Par exemple, dans les protéines de synthèse recombinantes, l’utilisation de jumeaux numériques permet de raccourcir le temps de 80 % tout en réduisant le coût – les tests physiques coûtent cher ». Dans le domaine des opérations, « les promesses — maintenance prédictive, contrôle de la qualité — restent fortes mais plus capitalistiques au départ ; il est souvent plus difficile d’obtenir de bons retours sur investissement sans bases données/OT solides et conduite du changement. Certains se sont brûlé les ailes en visant d’emblée l’objectif le plus ambitieux sans financer les briques intermédiaires nécessaires ».
à lire aussi
L’IA sait faire beaucoup de choses en théorie, mais les fait-elle déjà en pratique ? Les entreprises et les technologies sont-elles mûres pour le passage à l’échelle ? Et pour quel type d’usages et de transformations ? Des experts d’Avencore, Eight Advisory, Eleven, PMP Strategy et Strategy& partagent leurs points de vue sur l’état du marché et les cas d’usage pertinents.
Le mot de l’année : prioriser
Derrière cette nécessaire scénarisation du déploiement de l’IA, un enjeu de conseil décisif s’impose : la priorisation des actions à mettre en œuvre, parmi le foisonnement des possibilités ouvertes par l’intelligence artificielle. Pour Hugues Havrin, partner et global head of Tech & Services chez Oliver Wyman, les bénéfices réels de l’IA sont proches, mais devant nous. « Le marché a traversé une phase fortement expérimentale ces 2 dernières années. Le constat à date est un peu déceptif pour les entreprises : beaucoup a été fait, mais rien encore de vraiment perceptible dans le revenu ou les coûts. » En résumé, « nous sommes à la jonction entre phase expérimentale et passage à l’échelle. Les entreprises vont rationaliser leur portefeuille de projets IA, pour identifier les zones susceptibles de faire émerger des projets qui aient un impact visible et mesurable ».
C’est précisément cette rationalisation que décrit, pour le secteur de l’aéronautique, Arnaud Bodji, partner chez Arthur D. Little. « Beaucoup d’entreprises ont déjà réfléchi à leur plan IA, souvent direction par direction » ; elles viennent alors voir les cabinets de conseil en stratégie pour les « aider à prioriser les projets : elles ont compris que tous les cas d’usage ne pourront pas être traités en même temps ». Pour autant, l’IA n’apparaît pas comme la principale préoccupation du secteur. « Des sujets, comme la souveraineté, la sécurisation de la supply chain, reviennent bien davantage dans les sollicitations des clients. »
Comme le soulignait récemment sur ce site Arnaud Gangloff, dirigeant de Kéa, cette sélection des cas d’usage peut très bien aller de pair avec « une approche holistique et stratégique de la transformation, en cherchant à comprendre ce que l’IA change pour les entreprises, pour les métiers, et pour les femmes et les hommes qui les exercent ». Une façon d’aborder le sujet qui porte à 30 % la part du chiffre d’affaires reposant sur le technologique (mais pas uniquement l’IA), sous la forme de « sujets d’advisory auprès des CEO, de transformation digitale, ou de transformation data/IA ».
Un impact plus ambigu dans les services
Sébastien Vincent, spécialiste chez Simon-Kucher du loisir, du tourisme et des transports, ressent peu ces changements dans sa pratique. « Chez nos clients, je n’ai pas constaté de révolution pour le moment. » De fait, au-delà des essais dans la R&D et de la maintenance prédictive, les gains liés à l’IA semblent à la fois plus diffus et plus incertains. Dans le secteur de l’hôtellerie et du tourisme, par exemple, « beaucoup d’annonces sont faites en matière d’utilisation de l’IA, mais pour l’instant l’adoption est limitée ». Les différents acteurs présentent cependant des niveaux d’exposition différents. Du côté des hôteliers et des sites d’accueil, « l’IA peut déjà entraîner des gains dans la gestion des coûts, dans le revenue management, dans les ventes, estime Vincent Delaeter, partner chez Advancy. Mais pour les voyagistes, l’IA peut être vue au contraire comme une menace ».
Une menace qui peut s’analyser comme une opportunité pour les créateurs de ces « assistants IA pour concevoir un voyage clé en main », dont Sébastien Vincent considère qu’ils « devraient arriver assez vite à maturité. C’est un use case relativement simple et naturel. Les choix sont limités, l’information est en ligne : l’IA devrait y parvenir ». Mais il reconnaît qu’« à ce stade, [il n’a] pas encore vu d’applis concrètes vraiment bien faites ». Le modèle économique d’une telle fonctionnalité reste par ailleurs à trouver. Et, comme le souligne Vincent Delaeter, « l’IA va pouvoir faire correspondre un vol et un hôtel, mais aura du mal à proposer un produit plus complet. Le métier du voyagiste, c’est d’aller voir l’hôtelier ou le club vacances pour négocier les prix, en échange d’un apport de clients et d’engagements sur les volumes. L’IA ne sait pas faire ça ».
Alors, IA, IA pas ?
Comme le rappelle Sébastien Vincent, « l’IA a connu historiquement des périodes d’effervescence, suivies de phases de creux. Sommes-nous aujourd’hui dans l’une de ces bulles ? Il faudra en reparler dans 5 ans ». Pour Hugues Havrin, il n’y a pas de doute : « L’IA n’est pas une vaguelette ; c’est une vraie vague, d’une échelle comparable, voire supérieure à ce que nous avons connu avec le digital. On ne peut pas se permettre de ne pas être à la pointe sur le sujet. » Si les investissements tardent un peu à se matérialiser, c’est en partie parce que la peur de la « dépendance technologique à un petit nombre de partenaires » les incite à la prudence ; ou parce que certains ont mal « phasé » leur développement en voulant « aller directement chercher la North Star », pour Clément Santander.
Parmi les questions qui restent en suspens, il reste cependant « la contradiction, soulignée par Sébastien Vincent, qu’il peut y avoir quand de grands groupes tiennent un discours de sensibilisation à l’écologie tout en se tournant massivement vers l’IA, qui mobilise une puissance de calcul considérable rien que pour prendre des décisions très simples. D’un point de vue énergétique, la montée en charge de l’IA est-elle vraiment modélisée ? »
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaire (0)
Soyez le premier à réagir à cette information
France
20/10/25Arnaud Lesschaeve apporte 30 ans d’expérience dans l’industrie et le conseil en stratégie, en France et à l’international, à la branche « électronique » du groupe Lacroix.
14/10/25Le cabinet Advention vient de promouvoir deux consultants « maison », Steven Ries et Marco Ricetti.
07/10/25Après 7 ans au sein du cabinet, Philippe Removille vient d’annoncer son départ. L’expert de l’assurance et des services financiers n’a pas encore révélé sa prochaine destination.
07/10/25Le métier d’operating partner apparaît de plus en plus souvent sur le radar des consultants en stratégie. Sur les missions de private equity, les deux « espèces » se croisent, échangent, travaillent ensemble. Inévitablement, la question se pose : quelle parenté entre les deux rôles ? Et dans quelle mesure « operating partner » est-il une destination ou une étape pertinente dans un parcours de consultant ? Nous avons posé ces questions côté fonds (Aldebaran, Mutares, Verdoso, Equinox) et côté conseil (Eight Advisory, EY-Parthenon).
06/10/25Alors que McKinsey France vient de se doter d’un nouveau patron, son partnership continue d’enregistrer des départs. Xavier Bosquet quitte ainsi le cabinet, tandis que Peter Crispeels rejoint le bureau de Bruxelles.
03/10/25Depuis 2024, l’instabilité politique est une constante. Quel est son impact sur les demandes de conseil de direction générale ?
02/10/25EY-Parthenon rentre au bercail ! En effet, d’ici un peu plus d’un an, toutes les équipes d’EY se retrouveront dans les mêmes locaux dans le 8e arrondissement.
29/09/25Dans son arrêt du 11 septembre dernier, la Cour d’appel de Paris a confirmé le licenciement en s’appuyant notamment sur une étude du géant du conseil US.
26/09/25Le cabinet a annoncé mercredi la nomination de Daniele Chiarella comme nouveau pilote dans l’Hexagone, après Clarisse Magnin. Il prendra ses fonctions le 1er octobre.