L’operating partner descend-il du consultant en stratégie ?
Le métier d’operating partner apparaît de plus en plus souvent sur le radar des consultants en stratégie. Sur les missions de private equity, les deux « espèces » se croisent, échangent, travaillent ensemble. Inévitablement, la question se pose : quelle parenté entre les deux rôles ? Et dans quelle mesure « operating partner » est-il une destination ou une étape pertinente dans un parcours de consultant ? Nous avons posé ces questions côté fonds (Aldebaran, Mutares, Verdoso, Equinox) et côté conseil (Eight Advisory, EY-Parthenon).

Issue des fonds d’investissement du monde anglo-saxon, où elle s’est généralisée dès les années 2000, l’appellation « operating partner » ne s’est répandue en France que récemment. L’expression n’a pas même de traduction satisfaisante. Les Québécois utilisent volontiers « associé exploitant », un terme qui en France renvoie plutôt au champ sémantique de l’agriculture. « Operating partners » s’impose donc, en anglais dans le texte, trahissant ses origines.
Vincent Desnos, ancien de McKinsey devenu operating partner en 2024 au sein du fonds d’investissement Aldebaran Capital Partners, a vécu de l’intérieur cet essor de la fonction d’operating partner sur le continent. « C’est un métier assez récent en France, et je n’en avais pas une idée très précise à l’époque où j’étais chez McKinsey. C’est en en parlant avec d’anciens collègues devenus eux-mêmes operating partners et en recevant plusieurs sollicitations de fonds d’investissement que j’en ai pris conscience. » De son point de vue, la période 2023-2024 marquerait un pic dans la recherche de profils pour ce type de poste, l’intensité ayant un peu baissé aujourd’hui. « Mais je rencontre encore d’anciens collègues qui se montrent intéressés par le métier. »
Le développement du private equity et l’adoption progressive des mœurs anglo-saxonnes en la matière expliqueraient donc l’essor du rôle d’operating partner en France. Luc de Saint-Sauveur, partner chez Eight Advisory, ajoute une autre explication : l’importance accrue des conseils d’administration, qui « intègrent de plus en plus souvent des operating partners. Les entreprises s’équipent d’une boussole » dans un contexte d’incertitude.
Operating partner, un rôle à plusieurs visages
Mais il y a operating partner et operating partner. « Il n’y a pas vraiment de description de poste standardisée », prévient Vincent Desnos. Si l’on retrouve toujours, sous une forme ou une autre, un lien entre la stratégie et le terrain, entre l’analyse et l’action, les contextes varient. Sophie Barbé d’EY-Parthenon s’en tient à une définition très circonscrite : « L’operating partner est un genre de sparring partner du dirigeant, qui a une expérience de la transformation. Cela reste un métier de niche, qui concerne des profils très seniors. » Mais le périmètre recouvert par l’expression dans la pratique est plus vaste. « Dans les gros fonds, explique Vincent Desnos, il peut y avoir des équipes étoffées, avec des operating partners qui vont intervenir davantage en coaching, en influence – souvent auprès d’entreprises assez grandes. Certains fonds emploient des operating partners thématiques, sur l’IT, la finance, les RH… » Quant à Vincent Desnos lui-même, il est le seul operating partner de son fonds. « Je suis obligé d’être un peu “couteau suisse”. Je peux intervenir dès les due diligences, la négociation contractuelle pour sécuriser la partie opérationnelle, puis sur le plan de création de valeur quand l’entreprise devient participation, tout en jouant aussi parfois un rôle de sparring partner des équipes dirigeantes… »
La nature des fonds d’investissement est un autre facteur. Pour Vincent Fahmy, du fonds de retournement Verdoso, « dans les fonds de restructuration, les operating partners sont des gens qui “font”, sur le terrain, et assistent le management, en support pour la gestion de projets. Il faut des compétences très analytiques (du type transactions services) et opérationnelles (gestion de bfr, supply chain, lean…). La dimension stratégique est moins nécessaire contrairement aux besoins des grands fonds d’investissement qui ont des operating partners davantage portés sur la stratégie et des plans de création de valeur assis sur du développement ».
Charles-Henri Rossignol, du fonds de retournement Equinox Industries, va même plus loin : selon lui, « la notion d’operating partner ne fonctionne pas vraiment dans le retournement. Dans le private equity, on aligne généralement l’intérêt du manager sur celui de l’investisseur, pour les gains comme pour les pertes. Dans le retournement, ce n’est pas possible : le manager est intéressé au gain, mais pas aux pertes. Les intérêts ne sont pas alignés. C’est ce qui oblige le fonds à internaliser la fonction de management : l’operating partner est aussi l’investisseur ».
Le conseil en stratégie, vivier d’operating partners
Du fait même de cette diversité de définitions, les parcours qui mènent du conseil aux postes d’operating partner varient. Ingénieur de formation, Thibault Depoix a enchaîné les postes de consultant spécialisé avant de devenir operating partner chez Mutares. Ce qui l’attirait : « Être confronté à la transversalité de la transformation. Quand j’étais consultant, nous étions mono-fonction, mono-expertise, travaillant tous les 6 mois sur un nouveau projet. Côté fonds, nous suivons l’entreprise du début de l’acquisition jusqu’à la sortie. Et ce, sur l’ensemble des domaines fonctionnels – ventes, IT, gouvernance, achats, coaching du CEO… Nous sommes sur un prisme durable, nous assurons le suivi du pilotage dans le cœur du réacteur. »
« Pour un consultant en stratégie, il peut être intéressant de passer par un rôle d’operating partner, analyse Luc de Saint-Sauveur, si son objectif de carrière est de faire de la transformation. » Pour Vincent Desnos, la décision de partir pour Aldebaran est née d’une conjonction de motivations. « J’ai adoré mes années chez McKinsey. Mais je me suis demandé si je repartais pour un cycle, avec l’horizon de devenir partner, ou si je décidais de découvrir autre chose. » C’est finalement l’appel du large qui l’a emporté. Mais d’autres facteurs entrent en jeu : « J’étais en recherche de plus de flexibilité, ayant des enfants en bas âge. » Dans quelle mesure cette dimension « vie de famille » est-elle déterminante ? « Il y a beaucoup de travail, mais le rythme est différent, plus prévisible. Je peux déposer les enfants à l’école, rentrer à des heures correctes. » S’y retrouve-t-on côté finances ? « Les packages de rémunération me paraissent compétitifs avec ce que proposent les cabinets de conseil en stratégie. Il y a souvent un lien avec la performance du fonds, même si ce n’est pas systématique. Les incentives s’inscrivent plus dans le long terme. »
Du point de vue des fonds, quel est l’attrait des profils de consultants ? Pour Henri-Pierre Garnier, director chez Mutares, « ils apportent de la structure, du cadre, du rythme, de la transparence sur la performance. Nous avons besoin d’experts de toutes les industries, qui en ont l’expérience à des postes de direction ; mais pour agréger la data, structurer et rendre le message clair, je ne connais pas mieux que les profils de consultants en stratégie ».
Des métiers plus complémentaires que concurrents
À quoi peut s’attendre un consultant en stratégie qui franchit le pas de devenir operating partner dans un fonds d’investissement ? « Il y a beaucoup de points communs entre les deux métiers, témoigne Vincent Desnos d’Aldebaran. On retrouve la même stimulation intellectuelle : on affronte des situations très différentes, dans lesquelles il faut démêler la pelote, “cracker” des sujets très variés. » Le métier l’a cependant conduit à acquérir « une caisse à outils qui me manquait en tant que consultant – comment financer un deal, comment le structurer juridiquement… » Une différence capitale est le rapport au temps : « Aujourd’hui, j’accompagne les entreprises sur des cycles de temps où je vais pouvoir les voir grandir, se déployer, puis voir les résultats. »
Le temps de la semaine est aussi structuré autrement : « Il n’y a pas vraiment de journée type. Le lundi, je peux être en visite de site, le mardi en recrutement et en train de discuter de la stratégie digitale d’une entreprise, le surlendemain à bâtir un réseau avec des consultants externes… » Dans la configuration où évolue Vincent Desnos, en effet, l’operating partner travaille couramment avec les consultants en stratégie. C’est même « l’une des composantes importantes du rôle : c’est un métier de réseau, qui suppose de savoir de constituer un vivier de consultants, notamment en stratégie mais pas seulement, en qui on a confiance, et dont l’expertise complète la nôtre ».
Les uns ne se substituent donc pas aux autres. « Le développement des operating partners dans les fonds d’investissement n’a pas réduit notre volume d’activité, constate Luc de Saint-Sauveur (Eight Advisory). En général, ils s’occupent de plusieurs entreprises, jusqu’à une dizaine ; ils ne peuvent pas tout faire. Lorsqu’ils détectent un besoin, ils font appel à nous, pour accroître la force de frappe analytique. Nous travaillons souvent à trois, la société, l’operating partner et nous, et c’est très efficace. »
Les deux métiers sont donc apparentés, complémentaires et peuvent certainement prendre place, à certaines conditions dans les mêmes parcours de carrière. La fuite des cerveaux vers les fonds d’investissement ne semble cependant pas à l’ordre du jour.
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