Secteur public : coup de froid sur le conseil en stratégie
Six mois après que le Sénat a appelé à ce que le gouvernement publie un état des lieux régulier annexé au budget de l’État sur ses dépenses de conseil, voilà la chambre haute du Parlement exaucée dans une annexe au projet de loi de finances pour 2023 publiée le 10 octobre dernier.
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L’État fait feu de tout bois pour que l’épisode McKinsey du quinquennat Macron 1 ne se reproduise pas sous le quinquennat Macron 2 : recrutements de consultants en stratégie internes à la DITP (le cabinet de conseil interne à l’État), encadrement plus strict des missions dans leur montant et leur contenu…
Et, à présent, la transparence. Dans son rapport sur l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques en mars 2022, le Sénat recommandait à l’État de publier la liste de ses prestations de conseil dans un document budgétaire, annexé au projet de loi de finances et en données ouvertes, pour permettre leur analyse.
La chambre haute du Parlement a été exaucée dans un document publié le 10 octobre dernier – sans que l’on soit encore à une liste détaillée cabinet par cabinet, mission par mission, résultat par résultat, etc. D’ailleurs, dans un communiqué publié le 12 octobre, le Sénat dit avoir observé avec attention la parution de cette annexe, dont elle juge qu’elle pourrait être à l’avenir plus transparente encore pour les citoyens qui voudraient s’en saisir.
Dans une annexe au projet de loi de finances 2023 publiée par le Budget de l’État, le gouvernement présente sa stratégie de recours à ces prestations intellectuelles en 2021 et au cours du premier semestre 2022.
Le marché-cadre DITP 2018-2022 n’en finit pas de crever le plafond
Premier enseignement, le précédent marché-cadre (lire l’article Au Sénat, l’explosion des dépenses de conseil en question) n’en finit pas de déborder.
Thierry Lambert, le patron de la DITP, lorsqu’il avait été entendu au Sénat le 2 décembre 2021, rapportait que ce marché, dont la valeur totale initiale était de 100 millions d’euros, avait alors d’ores et déjà cumulé 208 millions d’euros d’achats de missions de conseil.
Dix mois plus tard, ce chiffre atteint 270 millions d’euros d’honoraires pour un total de 585 prestations (111 d’un montant supérieur à 150 000 euros, les 474 autres d’un montant inférieur, selon les infos du Monde).
La jurisprudence veut que les plafonds des accords-cadres puissent être dépassés à condition de ne pas modifier significativement le sens du marché (source Landot Avocats).
De quoi relativiser l’engagement de limiter le nouveau marché à 150 millions d’euros – plafond dont l’exécutif a déjà pris la précaution d’annoncer qu’il pourrait être repoussé à 200 millions d’euros en cas de besoin – un plafond bis qui devrait être, lui, contraignant.
Le conseil en stratégie, premier levier des -15 % visés par l’État
Deuxième enseignement de cette annexe, à la mi-2022, l’objectif fixé par le précédent Premier ministre, Jean Castex d’une baisse de 15 % des dépenses de conseil en stratégie est tenu. Au-delà du seul marché DITP, qui ne représente qu’une partie du total des dépenses de conseil de l’État, 2321 commandes nouvelles de prestations intellectuelles auprès de conseils extérieurs avaient été engagées sur le budget de l’État au cours du premier semestre 2022 pour un montant total de 118 millions d’euros.
C’est la moitié des 230 millions d’euros prévus pour tout 2022. Un objectif 2022 qui est lui-même de 15 % inférieur aux 271 millions d’euros (à ne pas confondre avec les 270 millions d’euros du marché DITP sur quatre ans) engagés par l’État en dépenses de conseil en 2021 – exercice au cours duquel, rappelons-le, les dépenses de conseil de l’État ont été dopées par le rôle décrié des consultants dans la politique anti-Covid.
Toutes ces dépenses correspondent aux paiements réalisés sur le périmètre du budget général de l’État et comprennent toutes les prestations de conseil extérieures comptabilisées dans le système d’information financière de l’État (Chorus).
Sont inclus donc tous les types de conseil auxquels a recours l’État : comptable et financier, recrutement, expertise juridique, recherche et développement, communication… Dont les trois ministères de la Transition écologique, de l’Intérieur et de l’Économie sont les plus gros acheteurs.
Sont également incluses les prestations de conseil en stratégie et organisation – qui constituent d’ailleurs le plus gros des dépenses passées en revue dans cette annexe.
Ces prestations de conseil aux services de l’État représentaient 139 millions en 2021 (sur un total de 271 millions d’euros tous types de conseil confondus).
Ce sont a fortiori ces dépenses de conseil en stratégie et organisation qui baissent le plus. « Pour cette nature d’achat, les engagements sont en forte diminution en volume au premier semestre 2022 par rapport à 2021 : au 30 juin 2022, le volume d’engagement représente un tiers du volume engagé en 2021 », écrivent ainsi dans l’annexe les services du budget.
Seuls, en effet, 46 millions d’euros ont été achetés dans ce domaine par les services de l’État. Un effet du bad buzz McKinsey ? Une baisse mécanique due à l’après-Covid ? Le document ne va pas dans ce niveau d’analyse là.
Baisse conjoncturelle ou mouvement structurel de recul du conseil en stratégie dans les services de l’État ? Il faudra attendre encore pour le savoir. Les services du Budget indiquent que les données définitives portant sur tout 2022 seront présentées en annexe au projet de loi de finances 2024.
D’ici là, l’État aura mis sur les rails son nouvel accord-cadre. La notification des attributaires est attendue en décembre 2022 et son démarrage en janvier 2023.
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C’est un fait. La consultation de la DITP sur le conséquent marché de prestations de conseil auprès du secteur public met un cadre plus strict à l’activité des consultants. Elle a été lancée avec 6 mois de retard de concert aux engagements du ministre Stanislas Guérini. La DITP, via son secrétaire général Jean-Michel de Guerdavid, a accepté d’en préciser les grandes lignes à Consultor.
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