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Restructuring-retournement : le voyant est au rouge, les consultants à l’œuvre

L’année dernière, les cabinets de conseil en stratégie se préparaient à une accélération de leurs missions dans le domaine du restructuring/retournement. C’est chose faite… L’année 2023 – et peut-être plus encore 2024 – a contraint de nombreuses entreprises à de forts arbitrages de transformation. Et les consultants sont à la manœuvre auprès des acteurs, dirigeants, actionnaires, comme fonds de private equity.

Barbara Merle
21 Mai. 2024 à 13:00
Restructuring-retournement : le voyant est au rouge, les consultants à l’œuvre
© Stepan Popov/Adobe Stock

Il est un marché qui donne le pouls d’une économie nationale. Le restructuring/retournement d’entreprise bat son plein lorsque la conjoncture économique et géopolitique est tourmentée. « Globalement, les facteurs de stress restent les mêmes que l’année dernière ; inflation rampante, taux d’intérêt élevés, financements au ralenti, conflits géopolitiques, etc., mais nous sommes maintenant installés dans un nouvel environnement multi-crises qui semble bien durer, et que l’on peut qualifier de VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity, ndlr), un terme militaire pour parler d’un environnement incertain, imprévisible, complexe, ambigu, auquel les entreprises doivent s’adapter de manière durable », illustre Laurent Deduytsche, partner de la practice restructuration opérationnelle et retournement de Strategy&.

Nota bene : Retournement versus restructuring

Si les deux approches ont pour vocation l’amélioration de la situation d’une entreprise en difficulté, le retournement est axé sur le redressement et la croissance à long terme, et le restructuring sur la résolution des problèmes financiers et structurels à court terme.

Tensions sur l’économie nationale

Et ce n’est pas tout, le contexte franco-français ajoute une strate de complexité… « En plus de l’inflation qu’on a enregistrée en France ces 3 dernières années sur le coût des matières premières, de l’énergie et plus récemment des salaires, qui a érodé les marges des entreprises, on observe aujourd’hui un ralentissement de la demande. Par-dessus tout, les taux d’intérêt se relâchent, mais trop peu et trop lentement (les taux sur l’immobilier sur 20 ans : 2,3 % en décembre 2022, 4,3 % un an plus tard, 3,9 % en avril 2024, ndlr). Tous les indicateurs sont donc à l’orange voire au rouge ! », analyse Olivier Sibenaler, ex-associé d’EY-Parthenon, arrivé en 2022 comme associé chez AlixPartners (85 consultants à Paris, dont 12 partners). En revanche, la hausse des défaillances d’entreprises sur un an (+ 35 %, liée au remboursement du PGE depuis mars 2022, prêt garanti par l’État qui a donné un coup fatal aux entreprises les plus fragiles) ne serait pas liée à cette crise multifactorielle et reviendrait à un niveau « normal » d’avant covid…

L’année 2023 semble ainsi avoir été charnière, d’après le cabinet Eight Advisory, dans une étude dédiée parue en janvier dernier. « La stagnation de la situation économique marquée, notamment par une diminution de la consommation des ménages et un climat des affaires hésitant, laisse craindre un retour des restructurations », y est-il notifié. Et en haut de la liste en termes de restructurations, d’après les auteurs de l’étude, le volet social avec un retour en force des Plans de sauvegarde de l’emploi (les PSE) : 317 PSE avant la crise covid, 1060 en 2020, et 441 en 2023. « Dans le retournement, il y a peu de sujets sociaux ces 2 dernières années, mais ils vont revenir sur le devant de la scène. Le nombre d’emplois concernés dans les procédures collectives est quasi 2 fois plus élevé qu’en 2022 », détaille l’expert social de la practice Strategy & Operations du cabinet, Wandrille Wallon. Sont concernées « l’Allemagne et la Grande-Bretagne, qui ont historiquement 6 à 18 mois d’avance sur la France, protégée par des amortisseurs. La tendance initiée dans ces deux pays commence à se faire ressentir en France, notamment dans les grands groupes » pointe le partner Luc de Saint Sauveur.

Des task forces renforcées dans les cabinets

Alors, si début 2023, les cabinets de conseil en stratégie se préparaient à un rebond des missions restructuring/retournement, leurs équipes voient depuis cette activité s’accélérer fortement. Et notamment, « un net rebond des projets liés à la sous-performance », constate Laurent Deduytsche de Strategy&. Le cabinet Alix Partners a vu croître son activité de plus de 50 % sur certains sujets l’année dernière et en ce début d’année. Ce cabinet, qui a connu un ralentissement de son activité restructuring durant le covid, 6 consultants dédiés sur un total d’alors 70, a dû renforcer ses troupes : ils sont 12 aujourd’hui, et la practice compte atteindre entre 15 et 20 consultants en 2025 ou 2026. Advancy, quant à lui, prévoit déjà le doublement de son activité dédiée sur un an. L’explication selon Vincent Delaeter, associé promu en 2023 au sein du pôle Retournement et performance, est que « le poids de l’endettement et les vents contraires du marché agissent comme un accélérateur des nécessaires changements de stratégie des entreprises ».

Ces missions de restructuring/retournement sont particulièrement longues, « au moins 3 mois pour la vision et le plan stratégique qui viennent, plus quelques mois ensuite pour la mise en œuvre opérationnelle», selon Vincent Delaeter d’Advancy. Des missions complexes qui exigent pour les cabinets des équipes conséquentes, « plus de 10 consultants en stratégie » pour ce cabinet, une équipe de choc de la stratégie au légal, en passant par le financier chez Strategy& qui s’appuie sur la team Value preservation services de PwC, dotée de pas moins de 16 partners.

Des secteurs de plus en plus fragilisés

Alors, évidemment, dans ce contexte très tendu depuis plusieurs années maintenant, certains secteurs continuent à être extrêmement concernés par les dossiers retournement/restructuring. C’est avant tout le cas du retail, bien sûr, avec l’emblématique groupe Casino, contraint tout récemment à céder 288 magasins à ses concurrents ; un dossier qui a occupé 4 cabinets de conseil en stratégie, Advancy, Bain, Accuracy et Roland Berger. On trouve également l’industrie, et plus particulièrement le segment de la chimie, mais aussi la pharma et la santé « senior ». Mais aussi des nouveaux, la tech (depuis 2 ans), « avec la particularité qu’une restructuration sociale ne fait pas partie de la culture de ce secteur et qui nécessite une approche spécifique de gestion des talents », comme l’analyse Luc de Saint Sauveur d’Eight Advisory, ou l’immobilier qui revisite ses organisations et ses périmètres d’intervention. « Nous nous confrontons également à une nouvelle logique de filières entières concernées, comme on peut le voir dans les annonces ces dernières semaines chez les promoteurs et constructeurs. Et peu importe la taille et la notoriété des entreprises, il faut passer à l’action pour se protéger d’un niveau d’activité à la baisse », appuie le partner d’Eight Advisory.

Tout le monde n’est pas à la même enseigne

Ceux qui s’en sortent le mieux, en tout cas pour l’instant, et pour des raisons diverses : les biens de consommation (qui ont su faire passer l’inflation dans leurs coûts), les life sciences (toujours en croissance), le tourisme/les voyages, un secteur qui a connu « un gros succès restructuring durant la crise sanitaire, et des marques qui se portent assez bien, mais des défis importants restent à relever, comme ceux du tourisme local ou des normes HQE pour les actifs immobiliers », indique Vincent Delaeter d’Advancy, cabinet qui a accompagné notamment depuis plusieurs années le groupe Pierre et Vacances.

Les transports et l’hôtellerie seraient eux aussi peu impactés, « là où l’on pensait qu’il y aurait beaucoup de cas, le raz-de-marée n’est pas arrivé, ce qui est dû à des paramètres de marché en évolution, en particulier des phénomènes d’usure de la concurrence chinoise », souligne un autre partner dédié sous couvert d’anonymat. Ce sont aussi les entreprises qui ont su anticiper en adaptant « leurs business models, leurs prix, leurs coûts, et celles, les plus grosses, qui ont plus facilement accès aux financements, notamment des marchés de capitaux », comme le souligne Laurent Deduytsche de Strategy&.

Des missions sur tous les fronts

Quid des typologies de missions dans ce domaine retournement/restructuring ? Elles sont multiples, comme le décrit Olivier Sibenaler d’Alix Partners : construction de plans stratégiques, opérationnels, financiers et sociaux de restructuration pour les actionnaires, le management ou les créanciers, conseil en restructuration de haut de bilan, problématiques de « fix, sell, close », reprises en plan de cession d’actifs de sociétés en redressement judiciaire.

« Pour le fix, c’est souvent trop tard, car elles perdent de l’argent depuis trop longtemps et les restructurations conduites jusqu’alors ont été trop timorées. Le sell est compliqué, car il existe peu de solutions de sortie purement françaises ; les fonds dédiés comme Prudentia, Arcole ou Hivest sont rares. Reste donc le plus souvent la solution close, amiable ou judiciaire, qui peut prendre du temps et être parfois coûteuse.» Ce cabinet voit arriver sur ces sujets deux types de sociétés, « celles au bilan sain, mais qui rencontrent des besoins de restructuration opérationnelle consécutifs à la crise du covid et à la guerre en Ukraine, et celles qui ont une performance opérationnelle satisfaisante, mais dont le bilan est alourdi d’une dette qui met en péril la pérennité de l’entreprise du fait des conditions de refinancement actuelles. Certaines entreprises cumulent les deux problèmes… atteste Olivier Sibenaler. Ce que nous rencontrons de plus en plus souvent, des ETI entre 30 et 200 millions de chiffre d’affaires, filiales de grands groupes, qui ont bénéficié pendant des années du soutien financier de la société mère, mais qui sont aujourd’hui au centre des revues de portefeuille ».

Diversité des types de missions aussi pour Strategy&, comme le détaille le partner Laurent Deduytsche. « Il leur faut améliorer leur capacité d’anticiper, décider et entrer en action avec une vélocité plus importante. Nous aidons nos clients à développer une culture du cash et de la profitabilité, à faire des scénarios, à streamliner leurs coûts et à adapter leur gouvernance pour éviter la bascule. Et être en position d’agir plus en amont et de manière décisive avec une BU dont la profitabilité décline rapidement ou qui perd de l’argent à un moment donné. » Autre sujet d’actualité pour ce cabinet : la volonté de relocalisation de la production des entreprises françaises « pour faire face aux disruptions de leurs approvisionnements. Cependant, elle peut entraîner des coûts plus élevés, une perte de compétitivité et des difficultés pour trouver la main-d’œuvre qualifiée localement ; et les barrières doivent être anticipées ».

Quelle va être la tendance pour l’ensemble de cette année 2024 ? Il est encore bien trop tôt pour le dire, dans ce contexte global pour le moins mouvant et incertain. Une chose est sûre pour Olivier Sibenaler d’Alix Partners : il faut changer le regard sur ce type de réorganisation. « En tant que consultants, nous essayons de montrer à nos clients dirigeants une nouvelle façon d’appréhender le restructuring, en anticipant les événements, en étant plus flexibles, plus mobiles, tout en allant fort dans les décisions quand elles sont nécessaires. »

Advancy Eight Advisory - strategy & operations Strategy& Laurent Deduytsche Luc de Saint Sauveur Vincent Delaeter
Barbara Merle
21 Mai. 2024 à 13:00
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Adeline
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