Pourquoi l’EDHEC devient de plus en plus stratégie-compatible

Depuis deux ans, l’EDHEC, la nordiste, connaît une attractivité grandissante auprès des cabinets de conseil en stratégie en quête permanente de nouveaux candidats, et ce, dans une conjoncture de recrutements sous tension.

Barbara Merle
24 Oct. 2022 à 06:00
Pourquoi l’EDHEC devient de plus en plus stratégie-compatible
Source : EDHEC.

Si, depuis une trentaine d’années, l’EDHEC Business School figure régulièrement dans le top 5 des grandes écoles de commerce françaises, la Lilloise centenaire a récemment franchi un nouveau cap, se plaçant ainsi en quatrième position du classement Sigem (Système d’intégration aux grandes écoles de management) – établi sur les choix des étudiants –, surpassant depuis 2021 l’EM Lyon. Elle creuse même l’écart cette année avec sa rivale lyonnaise historique dans ce duel entre écoles : 91 % des candidats ayant réussi les concours des deux écoles préfèrent l’EDHEC, contre 79 % l’an dernier.

En décembre dernier, l’EDHEC a aussi rejoint le top 10 des meilleures écoles de commerce en Europe, selon le classement annuel du Financial Times, en grignotant quatre places en un an, et s’y place quatrième école en France (derrière HEC, n°1 européenne, l’INSEAD et l’ESSEC, mais devant l’ESCP).

L’EDHEC, un potentiel peu exploité

Et pourtant, les diplômés de l’EDHEC étaient, jusqu’à il y a peu, sous-représentés dans le conseil en stratégie : par promo, entre cinq et dix élèves sur les quelque 1500 diplômés (sortie d’école ou + un an). Et seuls 2 % des partners des cabinets du secteur (du périmètre de Consultor) sont issus de l’EDHEC, d’après sur les écoles d’origine des associés. Selon les data de cette école, les diplômés s’orientent avant tout dans le secteur des institutions financières (28 %), vers le conseil, mais au sens large du terme (21 %), et dans une moindre mesure, dans l’audit (9 %).

Avant la pandémie, les cabinets de conseil en strat’, avant tout les gros cabinets, étaient peu proactifs en termes de recrutement au sein de l’école nordiste. À l’instar d’EY-Parthenon, comme le reconnaît l’un de ses associés, Frédéric Fessart (HEC 2001) : « Il est vrai que l’EDHEC, comme l’EM Lyon, sont encore des dauphines pour nos recrutements. Nous n’y sommes pas encore très présents. » Ou d’Oliver Wyman, et de son partner Hugues Havrin, un alumni de l’EM Lyon. « Historiquement, nous y recrutions plus de façon opportuniste, sans couverture systématique, et sans school team dédiée. De fait, il y a chez nous moins de cinq consultants issus de l’EDHEC (sur les 225 en France, ndlr), dont un partner (Laurent Guerry, promo 1994, ndlr). » Même constat chez Simon-Kucher & Partners : « Cette école, qui correspond à nos critères de sélection, reste sous-représentée par rapport à l’ESCP, l’ESSEC, HEC, voire de l’EM Lyon, y compris au sein de nos associés qui sont pour la plupart issus de ces quatre écoles. Mais nous voyons l’EDHEC comme un vivier de potentiels à même de réussir chez SKP », confie David Vidal, le managing partner de SKP France.

Une formation dédiée au top… à un détail près

Pour pallier ce gap historique, un MsC Strategy, Consulting and Digital Transformation, a été créé dès 2010, un diplôme reconnu certes, mais « qui n’arrivait pas à concurrencer les écoles du top 3 », se souvient Christine Coisne, ex-directrice du MsC. « C’est une question qui nous préoccupait, parce que, durant toutes ces années, les cabinets étaient focalisés sur les écoles parisiennes. Nous avons pris conscience qu’il fallait accompagner nos élèves dans l’accès à ces cabinets. Nous avons notamment effectué un gros débrief avec les diplômés de l’EDHEC entrés dans les MBB pour comprendre ce qu’il leur avait manqué », complète Christine Coisne.

Ainsi, en 2018, ils étaient 250 étudiants à suivre ce MsC Strategy (sur les 1300 diplômés au total de l’école, dont 900 en business)… et 180 (seulement) en 2022, afin de « sélectionner davantage », comme le souligne Christine Coisne.

Des efforts sur le fond dans la formation initiale, mais pas suffisants pour concurrencer directement le Graal du conseil en stratégie, les trois écoles cibles parisiennes des cabinets (HEC, ESSEC, ESCP). Car l’EDHEC a un handicap, intangible, sa localisation, avec son principal campus basé à Roubaix, trop chronophage aux yeux des gros cabinets pour y venir régulièrement faire leur marché. Si ce n’est de faire preuve d’innovation pour sortir du lot.

Dans la peau d’un consultant en strat’

Pour les étudiants les plus motivés par la stratégie, l’EDHEC a donc inscrit à son tableau, en 2018, une formation complémentaire adressée uniquement à ce secteur, le Strategy Boost Program, rattachée au MsC, devenant ainsi l’unique école européenne à proposer ce type de programme sur-mesure. À la clef, des cours et des ateliers sur la compréhension du fonctionnement spécifique des cabinets, des case craking animés par la dizaine de cabinets référencés par l’école (dont McKinsey, partenaire de l’EDHEC depuis 2016), les techniques de préparation des différents entretiens cabinet par cabinet, des networkings avec des alumnis, des packages de fit par cabinet, « les éléments clefs d’une candidature originale et convaincante », comme le précise Christine CoisneAutre outil mis à disposition des étudiants, un assessment center, un module online pour réaliser un bilan d’aptitudes individuelles et « donner aux étudiants des recettes personnelles d’amélioration », et ce, dans l’objectif d’atteindre les 90 % requis de bonnes réponses.

L’effet vertueux du covid

Au départ, ce programme 100 % stratégie a eu « un succès relatif, avec un facteur exogène important, que les cabinets n’avaient pas envie d’élargir leur champ de recrutement. La première année, trois diplômés seulement ont été placés dans ce secteur. Depuis 2020, nous surfons sur une nouvelle vague », reconnaît Christine Coisne l’ex-directrice du MsC stratégie. Parce que le covid a modifié la donne et donné un coup de boost à ce tout récent programme stratégie, comme le recontextualise Florence da Costa, en charge du Career center de l’EDHEC. « Depuis l’avènement du Strategy Boost Program (2021-2022), nous connaissons une multiplication de ces effectifs par cinq en sortie d’école. En 2021, une trentaine de diplômés de notre école ont été placés dans le secteur du conseil en stratégie. Très clairement, nous avons bénéficié de l’élargissement de recrutement du conseil en stratégie. À cela s’ajoutent les très bons profils de notre école, toujours mieux préparés. » Le cercle vertueux est en cours, comme s’en réjouit Christine Coisne, aujourd’hui consultante externe auprès de la grande école. « Ce qui était plus rare devient une bande passante qui construit aussi une aspiration croissante de la part de nos élèves. »

Un nouveau focus de la part des cabinets

L’EDHEC a ainsi bénéficié depuis deux ans d’un triple effet accélérateur d’attractivité, sa place de choix dans les derniers classements, une formation aux petits oignons pour les cabinets recruteurs, et parallèlement, une bataille quasi sans précédent sur les recrutements. Alors, l’ensemble des cabinets, y compris les plus gros cabinets, modifient leurs stratégies RH en élargissant leur vivier. « L’évolution du classement de l’EDHEC sur les 5 dernières années et la performance de consultants issus de cette école nous ont récemment amenés à en faire une de nos écoles cibles. Nous aimerions recruter plus d’étudiants de l’EDHEC, à l’image de ce que nous faisons avec l’EM Lyon depuis plusieurs années. Leurs compétences ne sont pas très différentes de nos autres écoles cibles, mais, en revanche, ces étudiants montrent souvent une détermination plus grande que la moyenne. Avec ces écoles, nous avons une ligne de conduite de sursélection pour avoir le top des candidats, et créer de la confiance chez nos partners », note Hugues Havrin, lui-même diplômé de l’école de commerce lyonnaise (en 2004). Même son de cloche chez EY-Parthenon, via l’un de ses associés Frédéric Fessart : « Dans un contexte 2021-22 où tous les cabinets s’arrachaient les candidats, et où certains étudiants se détournaient du conseil (pour monter ou rejoindre des start-up notamment), nous avons choisi de cibler davantage d’écoles. Ce qui reste compliqué, c’est d’investir l’énergie suffisante sur toutes nos écoles cibles, d’autant plus sur celles situées en région. »

Un surprenant effet boomerang

Créer une telle filière structurée, 100 % dédiée au conseil en stratégie à l’EDHEC, est-ce une si bonne idée ? Oui, en tout cas d’après les jeunes diplômés de l’EDHEC, heureux d’intégrer leur Graal du conseil en stratégie. Younès Bouselham, promo 2022, entré au Boston Consulting Group en juin dernier, se dit avoir été plutôt bien préparé à son entrée dans le secteur. « Ce que l’on apporte, c’est une dynamique différente, de la motivation et la volonté de découvrir le métier de la part des étudiants de l’EDHEC encore peu nombreux qui choisissent le strategy boost. Ce qu’il manque, ce serait une option premium encore plus sélective pour les plus motivés », confirme le jeune BCGer qui pense faire partie des nouveaux fers de lance de l’école au sein des cabinets. Une vitrine à effet boule de neige pour les diplômés de l’EDHEC qui « seront de plus en plus screenés ». C’est aussi l’avis d’Anne-Élise Brouillard, issue de cette même promo 2022, qui a intégré Bain & Company en septembre dernier. « Le strategy boost program a été un élément décisif dans le coaching spécifique des étudiants. J’ai eu la chance d’arriver à l’année charnière, à la fois du côté de l’école, qui était jusqu’alors challenger, que du côté de Bain qui axe toujours plus vers la diversité des écoles », souligne Anne-Élise Brouillard. Un cercle vertueux école/cabinets en cours, qui va permettre la multiplication des diplômés de l’EDHEC grâce à cette nouvelle filière Strategy Boost. Certes… Mais Hugues Havrin, le partner d’Oliver Wyman en charge du recrutement, concède quelques réserves. « Cette spécialisation stratégie nous facilite la tâche. Mais sur l’aspect présélection, elle est à double tranchant, car c’est une strate supplémentaire de formatage. Cela peut nous priver de très bons talents qui ne sont pas nécessairement dans ce cadre, et nous nous méfions des discours préconçus. Ce que nous recherchons avant tout, ce ne sont pas des formations d’excellence, mais des parcours d’excellence. »

L’EDHEC a mis les moyens pour rivaliser avec les grandes écoles parisiennes en formant quelque 180 élèves « certifiés » stratégie par an, et parmi eux, entre 60 et 100 bénéficiant d’un training exclusif… Reste à savoir si le curseur du conseil en stratégie va réellement et durablement s’arrêter sur la grande école de commerce. Et si le cercle vertueux va faire son œuvre. Rendez-vous dans dix ans.

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Bain & Company Boston Consulting Group EY Parthenon Oliver Wyman Simon-Kucher David Vidal Frédéric Fessart Hugues Havrin
Barbara Merle
24 Oct. 2022 à 06:00
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commentaires (2)

Depart
25 Oct 2022 à 11:31
"L’EDHEC a un handicap, intangible, sa localisation, avec son principal campus basé à Roubaix, trop chronophage aux yeux des gros cabinets pour y venir régulièrement faire leur marché"

L'emlyon n'a pourtant pas un campus beaucoup plus accessible depuis Paris, étant située à Ecully (Lyon). Les cabinets de conseils y vont quand même pour se présenter, voire carrément faire passer des tours d'entretiens sur place, comme Oliver Wyman qui permettait par le passé (peut-être encore aujourd'hui ?) de passer les tests techniques et le premier tour sur le campus de l'em.

Lille est à 1h de train de Paris, vs. 2h30 pour Lyon...

Si l'emlyon a réussi à percer dans ce secteur, c'est, outre le travail de l'école pour structurer une filière reconnue par les cabs, également grâce à la grande entraide et solidarité entre ses étudiants qui s'échangent leurs ressources pour réussir leurs entretiens.

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ID24
25 Oct 2022 à 07:06
Article à peine sponsorisé par l’Edhec. Les deux écoles se sont lancées en même temps dans la course au conseil en stratégie et force est de constater que l’emlyon a bien mieux réussi que sa consœur lilloise. Dernière précision : l’em Lyon est 9eme mondiale au dernier classement FT surpassant justement l’edhec

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Adeline
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