Les boutiques : une certaine idée du conseil

Faire le choix d’une boutique de conseil est quasi considéré comme un acte militant pour les consultants-boutiquiers. Être et rester une boutique parait l’être tout autant pour leurs dirigeants. Plongée dans cet univers consulting intimiste avec les patrons d’Ares & Co et d’Estin & Co, et des consultants de Courcelles, d’Estin et d’Advancy (une boutique qui a bien grandi).

Barbara Merle
13 Mar. 2024 à 12:00
Les boutiques : une certaine idée du conseil
© Adobe Stock

Il est des consultants qui privilégient les gros cabinets de conseil en stratégie internationaux, la marque MBB, les équipes foisonnantes, les missions plurielles, avec la possibilité de se frayer un chemin — plutôt anonyme — au milieu de choix multiples. Pour d’autres, c’est une décision délibérée que d’intégrer un cabinet à taille humaine, « une sorte d’orfèvrerie du conseil à l’image d’une maison dans l’artisanat d’art », comme l’illustre même un boutiquier.

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À chacun sa déf’

Mais qu’est-ce qu’une boutique de conseil d’après les principaux concernés ? Pas si simple à définir… Pour dire, Olivier Dupin, le partner-fondateur d’Ares & Co, cabinet dédié aux services financiers, s’est même livré à l’exercice grâce au Larousse. « L’une des deux définitions me semble très intéressante. “C’est un local où l’on exerce un commerce ou un artisanat.” C’est bien cela. L’industrialisation de certaines tâches est nécessaire, mais nous sommes fondamentalement dans une logique de production sur mesure. L’artisan ne joue pas sur la volumétrie de ce qu’il produit. Nous avons un positionnement de haute valeur ajoutée fondé sur l’expertise, la somme des cerveaux, et sur l’expérience, le nombre de missions. Nous sommes aujourd’hui une trentaine et nous ne nous battons pas pour être cent. »

Quels sont les critères d’une boutique de conseil en stratégie ? Le champ d’abord, réaliser la grande majorité de son activité de conseil en stratégie pour des directions générales ou des comex. La taille ensuite, pas plus de 50 consultants pour les plus restrictifs, comme le partner d’Ares (aujourd’hui une trentaine de consultants pour quatre associés), jusqu’à 80 pour d’autres consultants interrogés aux critères plus souples, à l’instar d’Alexandre Lévy de chez Estin, et même jusqu’à 200 pour le DG de ce cabinet éponyme, qui compte actuellement quatre associés pour « quelques dizaines de consultants ». Autre critère différenciant, la spécialisation des boutiques : services financiers pour Ares et Courcelles, stratégie de croissance pour Estin, un secteur/un client pour Mars…

Autre critère jugé essentiel, l’indépendance. Ces boutiques, d’origine française, n’ont pas été rachetées par d’autres cabinets, comme c’est le cas notamment de Cepton, axé pharma/santé, acquis en 2022 par un cabinet de conseil Vintura, lui-même détenu par un poids lourd du secteur pharmaceutique, l’allemand PharmaLex.

Un petit monde de 5 à 8 cabinets, pas plus, pour un boutiquier très à cheval sur les critères. Plusieurs autres, encore dans la catégorie des boutiques récemment, ont passé ou cherchent à passer un cap capitalistique et humain avec forte croissance, acquisition ou rachat à la clef.

Une question de choix

Pour les consultants interrogés en tout cas, la boutique de conseil est bel et bien le fruit d’une volonté, et pas un choix par défaut. C’est le cas de Julien Ferrier, depuis 5 ans chez Courcelles, qui a est entré dans cette boutique après plusieurs années dans un cabinet international pour prendre part « à un projet à taille humaine et réaliser des missions de conseil à fort impact ». Un autre consultant de boutique (qui aurait pu rentrer dans un MBB) préférant l’anonymat dit aussi : « Aller dans un grand cabinet aurait signifié une bonne formation dans la gestion de projets, de blocs stratégiques et d’outils, mais une formation standardisée. » Une décision réfléchie aussi pour Alexandre Lévy, diplômé de l’ESCP en 2021, depuis 2 ans chez Estin & Co, qui après des stages chez EY et la Société Générale, a opté pour cette boutique revendiquée du fait de sa spécialité et pour « des rapports plus personnalisés avec les membres de l’équipe, plus d’exposition et une responsabilisation plus rapide ».

Idem pour les consultants d’Advancy, le principal Hamza Benhaddou (Ponts ParisTech, 2015), et la senior manager Irène Lequoy diplômée de HEC en 2017, un cabinet qui était encore une boutique à leur entrée. « Je suis arrivé chez Advancy en sortie d’école en 2015, un cabinet que j’ai choisi pour sa taille humaine. J’ai eu une bonne connexion avec les personnes rencontrées lors des entretiens. Ce qui m’a plu, c’est aussi la diversité des secteurs et des types de missions, et son approche très analytique. Et je savais que dans ce cabinet, je ne travaillerais pas sur des missions de secteurs qui ne m’intéressaient pas, comme la banque, l’assurance ou les télécoms », comme l’illustre l’ingénieur de formation Hamza Benhaddou.

Avantage « boutique »

Décider de faire équipe dans un cabinet de petite taille, une marque moins identifiée, moins clinquante… Cela a ses avantages, essentiels, aux yeux des adeptes de ces modèles de cabinets. Car les boutiques, ce sont d’abord des équipes resserrées à tous les niveaux de la pyramide qui ont des avantages pour les juniors, un modèle qui créerait ainsi un véritable esprit de corps. « Cette taille permet une exposition interne et client plus importante et plus rapide, », atteste la senior manager d’Advancy, Irène Lequoy, qui apprécie après une immersion de 6 années avoir pu dès le départ travailler quotidiennement avec les associés Laurence-Anne Parent et Éric de Bettignies. Un parcours plus personnalisé pour Alexandre Lévy de chez Estin. « La focalisation du cabinet permet à ses consultants de descendre plus rapidement qu’ailleurs la courbe d’apprentissage dans un domaine spécifique et passionnant : la stratégie. » Point de vue corroboré par son patron qui ajoute : « Notre spécialisation fait que les consultants ont la chance de pouvoir apprendre et se distinguer auprès des équipes seniors et des clients rapidement. »

Le positionnement sectoriel d’Ares, expert des services financiers et une équipe réduite — 4 associés qui chapeautent une trentaine de consultants —, serait également attractif aux yeux d’Olivier Dupin. « Les jeunes viennent d’abord pour le secteur, le plus vaste, et le plus poreux par rapport au secteur de ses propres clients, mais aussi l’esprit boutique, notre ADN, et le positionnement direction générale. »

Le choix d’une boutique, c’est aussi pour Julien Ferrier de Courcelles « une garantie de travailler sur des projets plus intéressants, car du sur-mesure et pas une offre formatée nécessaire aux gros cabinets au vu du flux de missions. Nous avons construit des process de formation internes spécifiques, mais le cœur de la formation se fait sur le tas ce qui donne beaucoup de valeur. »

Une taille de cabinet avec des équipes réduites permettrait aussi aux boutiques de ne pas être soumises aux nécessaires pushs commerciaux des grands cabinets, mais de « répondre aux sollicitations de nos clients, de pouvoir choisir nos missions, comme l’atteste Julien Ferrier de Courcelles, et de faire plus facilement office de directeur de cabinet de nos clients, un autre type de mission, un travail passionnant au plus près des DG ». Un modèle de boutique singulier au-delà du positionnement monosectoriel. « Nous avons 6 associés pour moins de 10 consultants. Ce ratio d’un associé pour 1 à 1,5 consultant, unique dans la profession, fait que les consultants travaillent dès le départ au quotidien avec les associés dans un système non pyramidal. Dans ce modèle, l’attention et le développement des consultants sont centraux. Ce sont les associés qui managent et forment les consultants, alors que dans les grands cabinets, un junior sera formé par les strates managériales intermédiaires », témoigne Julien Ferrier qui y voit un autre atout.

Un modèle hiérarchique plus souple

Une équipe réduite, moins de strates dans l’organigramme, les boutiques offrent ainsi la plupart du temps une évolution en grade en mode accéléré pour les consultants. Irène Lequoy et Hamza Benhaddou, tous deux entrés en fin d’études chez Advancy, ont été promus managers respectivement en 4 ans et 3 ans ; Hamza Benhaddou est passé principal en 2021, soit 6 années au total pour évoluer du grade de consultant à principal. « C’est plus rapide, car il n’existe pas de durée minimum requise par grade, contrairement aux gros cabinets. Il existe une agilité importante dans les promotions, qui est plus basée sur les performances et le mérite que les process », reconnait Hamza Benhaddou. Idem du côté d’Alexandre Lévy chez Estin. « Au niveau macro, le cabinet propose de devenir partner en 8 ans (c’est en moyenne 11 ans dans les cabinets du périmètre de Consultor, ndlr) et au niveau micro, on devient senior consultant en 2 ans – voire moins de manière exceptionnelle pour les meilleurs. »

Une taille réduite, y compris de partnership, implique également des associés qui restent au four et au moulin, comme en témoigne Julien Ferrier. « Le modèle Courcelles fonctionne comme un cercle vertueux, où les associés se concentrent principalement sur le delivery, ce qui permet un conseil de grande qualité, entretient la satisfaction et les demandes de nos clients, et implique donc moins de développement commercial… »

Une marque personnalisée

Alors que, dans un gros cabinet, on rejoint le bateau, peu importe qui est/était le managing partner-fondateur, une boutique reste également le plus souvent fortement identifiée avec son fondateur. Parfois éponyme, comme c’est le cas avec Jean Estin (qu’il a fondé en 1997), Dominique Mars (décédé tout récemment), ou à ses débuts, Roland Berger (créé en 1967 à Munich). « Il est certain que nous sommes dans un métier où le poids des individus à tous les niveaux qui font tourner le cabinet au jour le jour est très fort. Et les consultants ont la chance de travailler avec l’un des fondateurs du conseil en stratégie en France », souligne Philippe Estin, fils du fondateur, VP du cabinet depuis 2019. Il ne faut en revanche surtout pas parler d’identification forte du cabinet à celle du fondateur pour Olivier Dupin qui a créé Ares il y a 15 ans. « Depuis le premier jour, nous n’avons jamais posé le modèle du cabinet comme étant rattaché au fondateur. Le culte de la personnalité ou le star-système, ce n’est pas mon truc. C’est un jeu collectif dépersonnalisé. » Une affirmation quelque peu tempérée par le chief operating officer Mehdi Messaoudi, un historique du cabinet, arrivé en 2010 chez Ares & Co : « Il est certain que l’envie des consultants de continuer à travailler ici vient également du côté inspirationnel réel d’Olivier comme des autres partners (Gilles Fabre, Giovanni di Francesco, Thomas André, ndlr). »

Et les inconvénients d’un tel modèle ? Des marques moins (re)connues, moins « bling bling », qui brillent moins sur un CV. Mais difficile d’en trouver pour les boutiquiers convaincus. À bien y réfléchir, le patron d’Ares, Olivier Dupin, reconnait que « le manque de taille critique a deux conséquences, la limitation de l’impact dans la recherche industrielle et le manque de puissance de marque ». Quant à Alexandre Levy, consultant chez Estin, y voit une seule limite. « Le cabinet conviendrait moins à ceux qui auraient envie de mobilité internationale. »

Côté inconvénient, le consultant des boutiques fait-il aussi le choix de rogner sur la rémunération ? Non, pas au niveau des premiers grades en tout cas. Chez Advancy, Hamza Benhaddou affirme même que le cabinet est « extrêmement compétitif à ce sujet », rémunérant ainsi mieux les grades juniors à l’entrée que dans les grands cabinets, avec en prime « une plus rapide évolution salariale ». Une rémunération qui ne fait d’ailleurs pas forcément partie des critères de sélection, comme le confirme un consultant de boutique de façon anonyme. « J’étais prêt à accepter des salaires moindres pour aller vers des projets plus intéressants. »

La carte boutique assumée ?

Pour les gouvernances, rester une boutique ou grandir est une décision de poids. Se développer est souvent l’option privilégiée — le conseil reste du business —, aussi pour sortir d’une image de boutique conseil qui n’est pas forcément bien vue. C’est le cas notamment de l’une d’entre elles, dont un partner interrogé par Consultor se dit être devant un dilemme : être référencé comme boutique risque de nuire à son ambition de se développer ; le terme même étant jugé trop péjoratif. Une « case » dont il serait difficile de sortir… et la passerelle fragile, difficile à franchir, comme le partage Philippe Estin, vice-président du cabinet depuis 5 ans. « Nous concevons notre métier en courbe en U, à gauche les boutiques spécialisées, à droite les grands acteurs. Les deux modèles ont des côtés très attractifs. Entre les deux, c’est moins évident. » Dans ce cabinet, le concept de boutique est revendiqué, brandi comme un bel étendard. « Nous sommes dans une niche spécialisée à forte valeur ajoutée dans laquelle le temps requis pour former un consultant est d’au moins une dizaine d’années. »

Même tonalité du côté du fondateur-partner d’Ares. « Nous aurions deux façons de grossir. Soit de s’ouvrir dans notre secteur aux missions opérationnelles, ce qui nécessiterait de faire cohabiter deux modèles économiques très différents, et c’est très risqué. Ou alors de nous ouvrir à d’autres secteurs. Rester sur notre positionnement en gardant l’esprit de la boutique nous semble plus approprié », soutient Olivier Dupin. Le fondateur d’Ares & Co affirme d’ailleurs voir « pointer depuis 8 ans un effet vertueux » de sa boutique hyperspécialisée, « une reconnaissance du marché en termes d’excellence réputationnelle ».

Qu’en est-il lorsque la boutique grandit ? Le cabinet devenu de taille intermédiaire perd-il son âme de boutique ? Ce sont les consultants qui en parlent le mieux. Ceux qui ont connu l’avant et l’après. Le cabinet Advancy est passé en 5 ans d’une boutique à un cabinet intermédiaire, multipliant sa taille par quatre, 65 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022, 120 consultants à Paris, « nous ne sommes plus une boutique », reconnait ainsi la senior manager Irène Lequoy. Comment cette évolution est-elle abordée par les consultants ? « J’ai un réel attrait pour ce dynamisme », ajoute Hamza Benhaddou. Même son de cloche pour sa collègue Irène Lequoy. « Une boutique n’a qu’une porte. » Ce que cette croissance a changé ? « Un rayonnement plus large, un pouvoir d’attraction plus élevé du côté des écoles, des relais de croissance dans d’autres géographies, la possibilité de se projeter à une vraie échelle globale, détaille Hamza Benhaddou. Pour autant, l’ADN de la boite a été conservé, nous n’avons pas perdu cet esprit entrepreneurial. »

Une boutique, une vie rêvée de consultant ? Oui, pour ceux qui choisissent cette option en tout cas. Pour la gouvernance, passer une étape capitalistique n’est pas forcément un Graal. Il y a les pour et les contre… Chacun voit midi à sa porte.

Advancy Ares & Co Estin & Co Mars & Co Éric de Bettignies Laurence-Anne Parent Philippe Estin
Barbara Merle
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Adeline
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Éric de Bettignies Laurence-Anne Parent Philippe Estin
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