En amont de la 28e COP, la schizophrénie de McKinsey à nouveau épinglée
Être le meilleur chantre de la décarbonation des entreprises pétrolières les plus polluantes du monde, tout en réalisant auprès d’elles une part non négligeable de ses honoraires annuels : les contradictions éthiques du cabinet de conseil, pour lesquelles l’entreprise a été maintes fois taclée en interne et à l’externe par le passé, sont à nouveau mises au jour en amont de la 28e édition de la conférence onusienne sur le climat (COP).
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McKinsey, mauvais génie de la 28e COP qui aura lieu du 30 novembre au 12 décembre 2023 aux Émirats arabes unis ? C’est ce que suggère une enquête de l’AFP publiée mardi 7 novembre.
Selon trois sources anonymes qui ont pris part aux réunions préparatoires de haut niveau, McKinsey tire avantage d’être l’un des cabinets de conseil à intervenir pro bono auprès des organisateurs émiratis de la prochaine COP pour favoriser en sous-main les intérêts de ses clients privés dans le secteur pétrolier.
Une COP dont la présidence occupée par le Sultan Ahmed al-Jaber, le patron de la compagnie pétrolière émiratie ADNOC, est déjà sujet à beaucoup de critiques.
Pétrole : McKinsey avance des chiffres deux fois plus importants que l’AIE
Selon une version préparatoire d’« un narratif de transition énergétique » établi par McKinsey et consultée par l’AFP, le cabinet de conseil appelle à ne réduire que de moitié le recours au pétrole en 2050. Soit 40 à 50 millions de barils par jour à cette date, le double de ce que préconise l’Agence internationale pour l’énergie dans son plan vert, le net zero.
Toujours dans ce document, McKinsey préconise 2,7 trillions de dollars d’investissement par an dans les industries du gaz et du pétrole d’ici 2050.
McKinsey a « vocalement et effrontément appelé, aux plus hauts niveaux de la présidence de la COP28, à des niveaux d’ambition plus faibles en matière d’élimination progressive du pétrole », dit une source de l’agence de presse.
« Il était très clair dès le début que McKinsey est en conflit d’intérêts » indiquent encore les sources de l’AFP. Ou encore : « Ils ont donné des conseils au plus haut niveau qui n’étaient pas dans le meilleur intérêt de la présidence de la COP en tant que leader de négociations climatiques multilatérales, mais dans le meilleur intérêt du président de la COP en tant que président de l’une des plus importantes compagnies pétrolières de la région. »
McKinsey n’est pas le seul cabinet de conseil à être associé à l’organisation de la prochaine COP 28, EY comptant par exemple parmi les partenaires officiels de l’événement.
Mais les sources de l’AFP jugent que les cabinets de conseil concurrents de McKinsey qui travaillent également à titre gratuit aux côtés de la présidence de la COP28 le font dans une démarche plus franche de recherche de solutions au dérèglement climatique.
En réaction à ces fuites, le cabinet a indiqué à l’AFP que « le développement durable est une priorité essentielle » et s’est dit « fier de soutenir la COP28 en lui fournissant des analyses stratégiques, et de l’expertise sectorielle et technique ».
Rebelote
Ce n’est pas la première fois que le rendez-vous global majeur de négociation climatique déclenche mini-séisme médiatique du genre concernant les ambivalences de McKinsey et de ses confrères.
Déjà, en amont de la COP 26 en Écosse, les contradictions des cabinets étaient pointées.
Et une virulente lettre interne à McKinsey avait été mise sur la place publique. On y apprenait qu’un courrier adressé à certains partners du cabinet le 23 mars 2021 par une douzaine de consultants, dont certains ont démissionné depuis, avait rassemblé 1 100 signatures au sein des effectifs de l’entreprise de conseil.
Les signataires y poussaient le cabinet à ne plus se contenter de se fixer ses propres objectifs de réduction de gaz à effet de serre, mais à également rendre publiques les émissions des clients que le cabinet conseille.
Les clients de McKinsey, l’éléphant dans la pièce
Et dans ce domaine, l’historique documenté des clients conseillés par McKinsey invalide tous les discours tenus par la firme et témoigne d’une forme d’ambivalence qui confine à la schizophrénie.
Dans leur livre-enquête, qui a fait le tour de la planète depuis sa parution (voir notre interview de ses co-auteurs), et qui a récemment été traduit en français, deux journalistes du New York Times décrivaient par le menu ces ambivalences.
Comme à Aspen en 2019, la dernière édition précovid du forum annuel qui réunit tous les ans la crème des décideurs mondiaux. McKinsey y est présent tous les ans.
Cette année-là, sur le devant de la scène se trouve Dickon Pinner, un ancien ingénieur de Shell, qui a fait le gros de son parcours au sein du cabinet sur le sujet des semiconducteurs, et est devenu senior partner et co-fondateur de la practice dédiée au développement durable du cabinet (il est depuis parti pour BlackRock).
Ce dernier anime une table ronde très en vue sur « les points de bascule du climat » et « les stratégies business pour limiter les risques socio-économiques », PowerPoint percutants à l’appui montrant l’explosion des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et appelant à une action globale urgente sur le sujet.
Cette année-là (entre août 2019 et août 2020), les deux journalistes ne décomptaient pas moins de 56 rapports ou courriels de McKinsey. La firme n’hésitait pas à décrire le dérèglement climatique comme « un impact potentiellement aussi important qu’une arme de destruction massive ». Une instance très forte sur le sujet qui s’explique aussi par les attentes aiguës des milliers de jeunes, parmi les meilleurs des meilleurs, que McKinsey recrute chaque année et pour qui le dérèglement climatique est crucial.
Mais le bât blesse cruellement à l’aune de la réalité de l’activité encore très majoritaire, là encore documentée par les deux journalistes.
Selon les chiffres qu’ils ont obtenus, depuis 2010, McKinsey a travaillé pour 43 des 100 plus grosses entreprises polluantes au monde, et plutôt sur des sujets d’optimisation de leur production que sur leur stratégie de décarbonation.
La première de ces 100 entreprises est le géant saoudien pétrolier Saudi Aramco, qui est client de McKinsey depuis les années 1970. La 3e de ces 100 entreprises est Chevron, qui a généré 50 millions d’honoraires pour McKinsey en 2019 (sur un chiffre d’affaires global de l’ordre de 15 milliards de dollars). D’autres tops clients de McKinsey ne sont autres que ExxonMobil, Gazprom ou encore Qatar Petroleum. Parallèlement, les clients de McKinsey dans les énergies vertes (Mercury en Nouvelle-Zélande, Albemarle dans le lithium, Vestas) restent la portion congrue et ne sont pas du tout en mesure de lui générer un volume similaire d’honoraires.
Le problème de la place des cabinets de conseil dans les négociations internationales sur le climat
Une ambivalence de McKinsey et d’autres cabinets de conseil qui pose problème pour Pascoe Sabido, chercheur au sein du groupe de réflexion Corporate Europe Observatory. « Si nous voulons assurer un déclin maîtrisé de la production de combustibles fossiles, nous ne pouvons pas le faire si ceux qui aident [les entreprises] à gagner de l’argent grâce à la production de combustibles fossiles continuent d’avoir un siège autour de la table », a-t-il déclaré à l’AFP à l’occasion de la COP 28. Pour lui, c’est clair : il existe un « angle mort » réglementaire concernant le rôle des cabinets de conseil dans la gestion de la crise climatique.
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