Une partner condamnée pour détournement de clientèle

La Cour d’appel de Versailles a donné raison au cabinet Archery qui reproche à une ex-partner d’être intervenue auprès des mêmes clients, EDF en particulier, une fois partie chez Accenture. Pour des avocats et partners interrogés par Consultor, ce procès est surprenant tant « emmener ses clients avec soi » est un usage établi.

Benjamin Polle
31 Aoû. 2023 à 05:31
Une partner condamnée pour détournement de clientèle
Ce sont les liens de la partner avec un directeur industriel d’EDF que la justice juge condamnable, sur un un sujet d’organisation autour du projet de Flamanville 3.

Une directrice exécutive d'Accenture vient d'être condamnée par la Cour d'appel de Versailles – confirmant le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 24 novembre 2021 – pour avoir violé le pacte d'actionnaires de son ancien cabinet Archery Strategy Consulting. Ce dernier lui reproche d’avoir détourné une partie de sa clientèle une fois arrivée chez Accenture.

Cette partner, qui arrivait de Roland Berger, avait rejoint Archery le 4 janvier 2013 en tant que senior project manager, avant de devenir associé le 18 décembre 2014.

Elle y était tout particulièrement active sur les sujets d’énergie et notamment sur le parc nucléaire français. Cinq ans plus tard, elle démissionne et quitte la société le 6 septembre 2019.

Une première mise en demeure quatre mois après le départ

Le temps se gâte, quatre mois après son départ, comme l’a révélé La Lettre A. Le 16 janvier 2020, le cabinet présidé par Stéphane Albernhe, le fondateur du cabinet et ancien directeur général de Roland Berger en France, qui a indiqué à Consultor ne pas commenter les affaires judiciaires en cours, lui adresse une première mise en demeure.

« Vous comprendrez notre étonnement et notre consternation lorsque nous avons appris que très rapidement après avoir rejoint le cabinet Accenture :

— d’une part vous aviez prospecté Thales, qui est un compte clé [d’Archery] et directement auprès du donneur d’ordre d’un très gros projet sur lequel [Archery] travaille depuis 1 an et qui est toujours en cours ;

— d’autre part, vous interveniez directement, depuis décembre 2019, chez EDF, autre compte clé, et plus particulièrement sur le projet EPR 3. Or, ce compte, d’une manière générale, et ce projet en particulier, ont été initiés par le président de la société, lequel vous a ensuite demandé de piloter les équipes », écrit alors le cabinet (voir l’arrêt CA Versailles, 13e ch., 28 mars 2023, n° 21/07103. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CA/Versailles/2023/CAP069DDA696995AF70AD57).

Si la clause de non-concurrence qui figurait dans le contrat de cette associée avait été levée à son départ du cabinet, Archery reproche à son ancienne partner d’avoir enfreint les dispositions du pacte d’associés.

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C’est un méga appel d’offres pour un marché de prestations de conseil lancé cet été par EDF. Quelques 452 millions d’euros vont ainsi être destinés à l’appui de la direction du groupe français et de ses filiales, avant tout ses principales, ENEDIS et EDISON.

Un projet d’organisation à Flamanville dans le viseur

Ce sur quoi la justice lui donne raison à ce jour. Précisément, ce sont les liens de la partner avec un directeur industriel d’EDF que la justice juge condamnable. Témoignage du directeur industriel en question à l’appui, ces contacts sont intervenus dès novembre 2019, deux mois après son arrivée chez Accenture. Ils concernaient un sujet d’organisation autour du projet de Flamanville 3 sur lequel la partner avait commencé à travailler chez Archery,

« Peu important que ce client, en l’espèce EDF, soit également client de la société Accenture », ajoute la Cour, qui précise que l’antériorité de relations contractuelles n’est pas une exception prévue par le pacte d’actionnaire d’Archery.

Pour la Cour d’appel, « ces faits suffisent à caractériser un manquement certain de Madame X à son obligation de loyauté ».

3 millions d’euros de réparation demandés

En réparation, Archery réclame à son ancienne partner… près de 3 millions d’euros. En cela, le cabinet estime se conformer au principe prévu par le pacte d’associés. Il prévoit que tout associé qui enfreindrait les dispositions relatives au respect de la clientèle de la société devrait verser à cette dernière une indemnité de deux fois le montant des honoraires facturés au client en cause au cours des douze derniers mois précédant le départ, ou à deux fois la moyenne des honoraires facturés au cours des trois dernières années.

La somme demandée, jugée exorbitante par la justice, notamment à l’aune des revenus actuels de la partner (536 000 euros chez Accenture en 2021), a été ramenée à 350 000 euros par la Cour d’appel de Versailles.

Toute cette situation est assez inédite. Car si l’insertion de clauses de non-concurrence est ultra classique dans les contrats des consultants, elle n’est quasi jamais activée sur les profils allant de consultant à manager. Elle peut l’être au cas par cas pour les profils plus seniors, pour les seuls départs conflictuels. Mais, le plus souvent, les différends se règlent à l’amiable et derrière des portes closes.

« La décision d'attaquer procède le plus souvent d’une volonté de ne pas rendre la vie facile aux partners dans leur nouveau cabinet », rappelait à Consultor l’avocat Thibaut de Saint Sernin.

Dans le cas où un consultant détient des parts, une clause de non-concurrence peut être prévue en plus dans le pacte d’associés ou négocié dans le protocole de sortie.

Une plus-value de sortie vaut-elle loyauté ?

C’est exactement la configuration du contentieux entre Archery et son ancienne partner.

La clause insérée dans le contrat de travail de l’ancienne partner portait sur l’interdiction de rejoindre ou de créer une entreprise exerçant une activité similaire. Tandis que la clause de la Charte associative, le nom du pacte d’associés chez Archery, porte sur une obligation de loyauté et de respect de la clientèle, notamment l’interdiction d’intervenir pour un ancien client.

Cette partner, qui est désormais managing director chez Accenture Strategy & Consulting sur les sujets de utilities et de défense, a fait valoir en justice que les deux clauses se sont éteintes avec la cessation de son contrat. Libérée par son employeur de la clause figurant à son contrat de travail, elle était également libérée, en l’absence de toute contrepartie financière, de la clause figurant dans la charte, a-t-elle défendu en justice.

Quand le cabinet Archery soutient que le versement d'une plus-value financière au titre du pacte d'actionnaires tenait lieu de contrepartie financière. Autrement dit, ce versement valait obligation de loyauté.

Estimant cette loyauté bafouée, les associés d’Archery ont requalifié a posteriori le départ de leur ancienne partner de « non conflictuel » à « conflictuel » et lui ont réclamé le remboursement de la moitié de la plus-value réalisée au moment du rachat de ses parts par le cabinet. Archery lui avait racheté l’intégralité de sa participation (5 132 actions) pour un prix de 535 883 euros, générant une plus-value de 425 883 euros. La justice n’a pas donné raison à Archery sur ce second point.

« Les temps changent »

À la lecture de ce jugement, l’avocat Philippe Ravisy, associé gérant du cabinet Astae Avocats qui intervient fréquemment auprès de consultants, estime que « les temps changent ». « J’ai sorti des tas de partners de Roland Berger ou de McKinsey qui continuaient à bosser avec leurs clients, y compris EDF. Personne ne trouvait à y redire », dit-il à Consultor.

Un certain laisser-faire qui semble pourtant encore la norme. Parole de partner qui répond anonymement à Consultor : « Tacitement, la règle est que tu n’emmènes pas un projet, parce que ce n’est pas très élégant. Après, tu ne peux pas interdire à un client d’appeler un partner avec qui il aime bien travailler. »

Et de rappeler ce cas d’une équipe de consultants spécialistes des sujets d’éducation qui a réalisé un projet dans un cabinet B qu’elle avait initié dans un cabinet A. « On avait appelé le client pour lui indiquer que les consultants se mettaient en violation de leur clause de non-concurrence et que nous pouvions les attaquer. Le client nous a dit qu’il voulait bosser avec eux. Que voulez-vous répondre ? On a laissé courir et le client nous a aidés à nous positionner sur une mission ultérieure. On a préféré garder de bonnes relations avec le client qu’aller au conflit avec les anciens du cabinet. »

Benjamin Polle
31 Aoû. 2023 à 05:31
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commentaires (3)

Alumni
20 Fév 2024 à 10:24
Il y a des cabinets fair play d’autres sont des brigands. Il faut savoir perdre. Cela se sait tres vite et ces cabinets detruisent leur reputation

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Un ancien
01 Sep 2023 à 09:16
@CC dans ce cas incitons les cabs à ne pas insérer des clauses de non concurrence.

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ConsultantCriminel
31 Aoû 2023 à 16:28
Personne n'a à gagner de la judiciarisation des relations. Sinon les cabinets le subiront bien plus : s'il n'y a pas de mouvements de partners, comment recruter des seniors ?

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Benjamin Polle
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2023-10-17 08:13:19
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Manuel de survie: Une partner condamnée pour détournement de client