Thomas Cook, XL Airways et Aigle Azur : les faillites d’un tourisme qui change
Le voyagiste britannique Thomas Cook et les compagnies aériennes françaises Aigle Azur et XL Airways ont fait faillite en septembre dernier.
Des défaillances quasi simultanées qui amènent à s’interroger sur les évolutions actuelles des secteurs du transport aérien low cost et des voyagistes qui proposent des formules clés en main. Interview d’Olivier Fainsilber, associé d’Oliver Wyman et de Benjamin Linage, directeur chez Mawenzi Partners.
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Consultor.fr : Quelles sont les raisons de ces trois faillites en si peu de temps dans l'aviation civile et les voyages « tout inclus » ?
Benjamin Linage (B. L.) : Ces deux marchés du secteur du tourisme ont en commun d’être des marchés porteurs, avec des taux de croissance annuelle de 3 à 4 % en Europe et de 6 à 8 % dans des zones telles que le Moyen-Orient et l’Asie-Pacifique. Mais ce sont également des marchés très concurrentiels et qui font face à de fortes transformations en matière d’intermédiation et de digitalisation.
Ce sont aussi deux marchés qui sont dépendants d’aléas et d’incertitudes géopolitiques et climatiques (les printemps arabes, les épidémies telles que le SRAS ou Ebola, tsunamis, ouragans, ndlr).
Le marché mondial des voyagistes est en croissance. Pourquoi Thomas Cook, une des marques les plus connues du secteur, a dû fermer boutique ?
B. L. : Le modèle de certains voyagistes qui proposent du all inclusive est remis en cause par la digitalisation et la capacité du client à construire lui-même son voyage avec l’émergence d’acteurs tels que Airbnb, Booking et Expedia. Dans ce contexte, la rentabilité de Thomas Cook, qui s’est énormément endetté à partir de 2007 et le rachat de MyTravel, n’a pas permis de soutenir le poids de la dette. En effet,Thomas Cook comptabilisait deux milliards d’euros de dettes pour dix milliards d’euros de chiffres d’affaires, alors que son concurrent allemand TUI est deux fois moins endetté pour un chiffre d’affaires deux fois plus important.
XL Airways et Air Azur témoignent-elle des difficultés des compagnies low cost dans l'aérien ?
B. L. : Le low cost est un marché ultra-concurrentiel sur lequel il y a déjà eu beaucoup de faillites. Les difficultés des compagnies low cost proviennent du fait que le marché européen est quasi saturé en termes d’offres. De plus, certains facteurs fragilisent plus particulièrement les petits acteurs français : le poids des charges sociales et des taxes, plus lourd que chez leurs concurrents, les coûts en dollars et les revenus en euros, ce qui nécessite une bonne capacité de couvrir les risques de changes, et la taille des flottes, sachant qu’il faut au minimum une douzaine d’avions pour amortir les coûts. (Aigle Azur en comptait onze, XL Airways quatre, NDLR.)
Olivier Fainsilber (O. F.) : C’est un marché sur lequel le darwinisme économique fait très bien son travail, et ces défaillances s’inscrivent dans une longue liste de faillites en France (AOM, Air Liberté, Air Lib, Air Littoral, Air Méditerranée, Euralair, NDLR) comme ailleurs, et ce depuis des décennies. Dans le monde aérien, y compris sur le marché des loisirs, le nerf de la guerre c’est de faire des choix de routes très judicieux et d’être très scientifique pour maximiser la marge que l’on peut faire sur un avion.
Contrairement aux compagnies généralistes qui sont dans un monde de complexité intelligente – organiser des correspondances, disposer d’une gamme d’avions adaptés à différentes routes, proposer quatre classes, garder un certain nombre de sièges libres pour satisfaire les clients de dernière minute… –, les compagnies low cost sont dans un monde de simplicité. Elles ont des modèles très industrialisés avec des offres ultra-simples, mais doivent être particulièrement agiles sur les routes qu’elles desservent et pouvoir se repositionner rapidement quand un marché se resserre – comme sur la desserte de l’Afrique du Nord lors des printemps arabes.
Alors qu'Aigle Azur et XL Airways avaient des modèles a priori plutôt performants, leurs difficultés viennent de leurs tailles relativement petites et de leur manque d’agilité pour piloter leur portefeuille de destinations parce qu’il est restreint. De plus, elles visaient surtout le marché français, Paris et les métropoles de régions, soit un portefeuille de routes peu extensif et un nombre d’avions limité.
Changement rapide de routes, diversité de régions desservies... Certaines compagnies ont-elles trouvé la bonne recette ?
B. L. : Une compagnie low cost long-courrier sera moins dépendante des aléas si elle est adossée à un grand groupe et intégrée à sa stratégie. C’est ce que l’on a observé notamment en Asie-Pacifique avec AirAsia X, la filiale de AirAsia, ou JetStar, filiale de Qantas.
O. F. : Certains acteurs, tels que la compagnie espagnole Volotea (qui réalise la moitié de son activité en France avec une quinzaine d’appareils sur une flotte totale de trente-six avions basés à Nantes, Bordeaux, Toulouse, Marseille et Strasbourg, ndlr), ont choisi des marchés de niche, en assurent des liaisons entre des capitales régionales et des petites et moyennes villes en Europe. Ce sont des lignes qui n’intéressent pas les généralistes parce qu’ils ne peuvent pas y opérer de façon régulière – il n’y a pas assez de clients – et parce qu’il n’y a pas de clientèle affaires pour valoriser leur service.
Du côté de ce que l’on peut appeler les grandes compagnies low cost, si Ryanair et Wizz Air conservent des modèles low cost plus puristes, Vueling et Easyjet commencent sur certaines lignes – Paris-Genève, Paris-Milan, Paris-Toulouse…– à offrir un service avec plus de fréquences, s’intéressent de plus en plus à la clientèle affaires et proposent des billets qui ont une certaine flexibilité.
Ces quatre grandes compagnies low cost ont par ailleurs des ambitions de croissance assez importantes et continuent d’ajouter des destinations à leur portefeuille. Elles servent des marchés qui sont aujourd’hui très matures et très bien desservis, et sont donc obligées d’ouvrir des destinations plus lointaines, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Or, s’il est possible sur une destination courte de remplir l’avion avec des places très bon marché et de rentabiliser cela en faisant plusieurs rotations dans la journée, ce n’est pas le cas pour des destinations plus lointaines : lorsqu’on allonge les rotations, le modèle devient plus complexe et moins performant. La croissance, qui suppose d’aller vers des destinations plus lointaines, est donc difficile pour ces grandes compagnies low cost.
Et dans le voyage, y a-t-il une martingale ?
B. L. : Le Club Med par exemple s’est repositionné sur le haut de gamme et la cible famille et s’est largement ouvert à la clientèle asiatique. Le groupe dispose d’un panel de destinations variées qui permet de pallier les aléas géopolitiques et climatiques et a pris le virage de la digitalisation et du mobile – 50 % des ventes se font désormais depuis les téléphones mobiles.
Propos recueillis par Miren Lartigue pour Consultor.fr
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