Missions PMI : le rêve du partner, l’enfer du consultant ?
Les missions d’intégration post-fusion connaissent un bel essor au gré de l’envolée des deals. Pour les consultants, ces longues missions ultra sensibles, techniques et normées ne font pas l’unanimité. Comment les cabinets mobilisent-ils leurs troupes sur ces sujets ?

Dans un contexte économique international fragilisé, les restructurations d’entreprises et les deals corporate et PE se multiplient, en France comme à l’international. Les cabinets de conseil en stratégie accompagnent ainsi notamment les directions générales pour les missions Post Merger Integration (PMI) : la phase harmonisation, fusion et structuration de la nouvelle entité. Selon Gilles Roucolle, la co-tête de pont européenne d’Oliver Wyman (intervenu notamment en 2024 auprès d’UBS dans la fusion de Credit Suisse et d’UBS Switzerland), ces missions à haute valeur ajoutée sont complexes, car elles « se planifient et se préparent le plus souvent dans un contexte réglementaire très strict concernant en particulier les échanges d’informations commerciales très sensibles », où le consultant est « un tiers de confiance indispensable pour faire en sorte que, le lendemain du closing, les entreprises ne font plus qu’une sans avoir dérogé aux obligations légales ».
Un bon business pour le partnership
Côté partners, ces missions PMI sont un must. De moyen, voire de long terme, elles nécessitent des équipes conséquentes avec des expertises pointues… et représentent donc de belles factures à la clef. Des sujets qui connaissent aussi une belle évolution. Pour Accuracy Strategy, par exemple, qui réalise entre 30 % et 40 % de son activité sur les transactions, la part de ces missions est en croissance. Pour le partner Nicolas Darbo, il s’agit « d’un gisement naturel en cohérence avec le reste de nos activités ». Et elles durent entre 3 mois pour la majeure partie et 18 mois, « impliquent des équipes de 5 à 15 consultants selon la complexité de l’intégration, nombre de géographies, de Business Units ».
Les missions PMI ont un autre avantage pour le cabinet et ses partners aux yeux de Gilles Roucolle d’Oliver Wyman, 33 ans de conseil et une quinzaine de grosses missions PMI à son actif. Elles sont aussi un immense signe de confiance du client qui mandate le cabinet en général pour tout ou partie de la chaine de valeur de la transaction, du pré-deal à l’intégration, « des moments transformatifs majeurs pour l’entreprise, des moments critiques pour la carrière des collaborateurs ».
Pas sexy pour les consultants
En revanche, pour la majorité des consultants, et avant tout les plus juniors d’entre eux, elles ne font pas partie des plus attractives, au vu de « la longueur de la durée d’intervention », comme le partage un consultant anonymement. « Lorsqu’on est au début de carrière, que l’on souhaite avoir de multiples expériences comme consultant pendant 2 ou 3 ans avant d’aller voir ailleurs, on n’a pas envie d’avoir 6 à 8 mois de travail sur une seule mission. »
Elles sont aussi considérées comme fastidieuses, Et puis, sur ces sujets, les plus juniors restent « cantonnés » aux sujets purement analytiques, bien loin des grands enjeux globaux de la PMI.
Du point de vue des consultants, les missions PMI sont « les plus intenses des missions en termes de charge de travail », selon un consultant. « Elles nécessitent de travailler sur une quinzaine de thématiques avec pour chacune des fichiers préparatoires au Day 1, ce qui implique des dizaines de réunions. Un jeune consultant peut se sentir noyé sous l’info et être challengé, déstabilisé, toute la journée par tous les responsables de BU, expérimentés, qui ont plus de plus de 45 ans », ajoute-t-il.
Pourtant, chez Accuracy Strategy, elles attireraient même, « certains de ces consultants sont intéressés par ces projets complexes au long cours souvent à dimension internationale », selon Ghislain Richter.
Du stress à tous les étages
Ce sont également, et peut-être surtout, les missions les plus stressantes pour les équipes, côté entreprises bien sûr, mais aussi côté consultants, « beaucoup de pression, car on a un deadline, qui est le Day 1 », témoigne un autre consultant. Car il y a en jeu, des millions, voire des centaines de millions d’euros en jeu, et des dizaines, des milliers, de collaborateurs de ces entreprises qui fusionnent.
Il va sans dire que tout le monde est sur les dents durant des mois de pré et post-intégration… Et des fusions-acquisitions qui ne sont pas forcément successful, loin s’en faut… Selon différentes études, 70 % des fusions acquisitions échoueraient. Et une étude de Bain & Company auprès des dirigeants indique que près de 60 % des transactions ne répondaient pas aux attentes internes.
Des sujets « à frustration »
Les partners – qui ont été jeunes consultants – ne peuvent que reconnaitre les difficultés.
Nicolas Cohen-Solal d’Eight Advisory admet bien volontiers que ce type de missions peut être considéré comme fastidieux pour les consultants « lorsque des cabinets ne font que de la gestion de projets sur du temps long ou de PMO (Project Management Office, ndlr) et ne sont pas impliqués sur des sujets de fond. Cela est extrêmement couteux pour les donneurs d’ordre et les consultants ne livrent pas leur plein potentiel, voire s’ennuient et ne se forment pas suffisamment ». Des projets longs qui n’auraient pas beaucoup d’intérêts formateurs pour les consultants et desquels Eight Advisory « s’affranchit », sélectionnant « les types de projets sur lesquels nos consultants interviennent ».
Selon Gilles Roucolle d’Oliver Wyman, elles peuvent aussi être sujettes « à frustration », car « pas forcément anticipées et ponctuées par des à-coups. Même si nous essayons de faire des rotations tous les 3 mois, comme sur tous les projets, afin de leur garantir une diversité d’expérience sur une durée annuelle, il peut être difficile de les remplacer, car les clients aiment voir les mêmes têtes. »
Pas d’échappatoire
Et pourtant, difficile, voire impossible pour les consultants de refuser une mission PMI. « Chez nous, on ne peut pas refuser d’essayer », livre un partner en off. Chez Eight Advisory, Nicolas Cohen-Solal assure qu’« aucun consultant n’est réfractaire à ce type de mission », des consultants qui savent par ailleurs que « nous faisons tourner les équipes régulièrement afin de maintenir un bon tempo et mettre du drive chez le client ». Et chez Oliver Wyman, ce ne sont pas non plus les consultants qui décident. Mais c’est assez logique. Le cabinet a une practice dédiée fusion/acquisition. « Nous les affectons en fonction de leur disponibilité et de leur adéquation au projet. Lorsqu’Oliver Wyman a travaillé sur la fusion UBS/Credit Suisse, la plus grosse fusion de banques systémiques, il nous a fallu rassembler des douzaines de consultants pertinents en quelques semaines. Une mobilisation complexe à réaliser rapidement où le timing réglementaire et des marchés préside », témoigne le DG Europe d’Oliver Wyman, Gilles Roucolle.
À chaque cabinet sa stratégie
Alors, les cabinets interrogés font en sorte de rendre ces missions les plus intéressantes pour leurs consultants, Nicolas Cohen-Solal d’Eight Advisory croit « beaucoup à la diversité des typologies de missions et notre organisation est faite en conséquence, sans service line dédiée deal/PMI, pour apporter du design au-delà de l’exécution. Ce cabinet est aussi davantage positionné sur des plans à 100 jours, plutôt que sur les projets à 2 ou 3 ans. Nous ne sommes pas là pour positionner le consultant en gestion opérationnelle, pour nous rendre indispensables afin de rester sur du long terme ». Et le choix des consultants chez Eight Advisory se fait d’abord sur leurs compétences sectorielles et fonctionnelles. « Lorsqu’il y a par exemple une PMI avec de gros enjeux supply chain, nous faisons appel à un consultant spécialisé supply chain, plutôt qu’un consultant rodé aux missions PMI. Ou encore, lorsque nous avons eu la PMI Matmut/HSBC, nous avons fait appel à des consultants avec une compétence forte assurantielle », détaille le partner Nicolas Cohen-Solal.
Jean-François Partiot d’Accuracy Strategy assure. « Quand on a la capacité à bien gérer ces missions et qu’elles sont à succès », elles sont aussi particulièrement « gratifiantes pour les consultants ». Seul bémol à cet élan pro-PMI, « notre point d’attention est sur les consultants les plus juniors pour leur donner à eux aussi une vision globale du projet afin qu’ils n’en perdent pas le sens, même lorsqu’ils se retrouvent sur des modules très spécifiques », précise Jean-François Partiot.
Les cabinets font par ailleurs de la pédagogie envers leurs consultants. Pour le partner d’Eight Advisory, Nicolas Cohen-Solal, « ce sont des situations qui touchent toutes les fonctions de l’entreprise dans un spectre à 360° et préparant très bien le consultant à être dirigeant dans le futur ». Et ce que le co-dirigeant européen d’Oliver Wyman partage systématiquement avec les consultants missionnés, « c’est que ce sont des moments extraordinaires d’une entreprise et un moment intense et mémorable pour votre carrière et celle de nos clients ». Et qui donnent aux consultants « l’occasion de se frotter à un vrai chantier alternativement technique, stratégique, financier, marketing, informatique, où l’on touche à tous les sujets du business », amende Gilles Roucolle.
Existerait-il une motivation particulière pour les consultants missionnés sur un projet PMI, un bonus financier par exemple ? « Pas besoin, affirme le co-patron européen d’Oliver Wyman. Ce sont des projets qui le plus souvent propulsent une carrière, et de plus dont on parle souvent dans la presse, donc qui sont considérés comme plutôt motivants. »
Alors, entre la rentabilité de ces juteuses missions et leur croissance, les consultants n’ont pas vraiment le choix que de s’y coller ou « de se battre en interne pour intervenir exclusivement sur des problématiques strat’ », comme l’a partagé à Consultor un consultant. Ou alors de se diriger vers des cabinets qui n’en font pas du tout…
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France
- 25/07/25
Baisse des effectifs en France, vague de départs d’associés, fin de l’activité secteur public, image dégradée : Clarisse Magnin aurait pu espérer un meilleur bilan - et un contexte global moins ardu.
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Qui dit « McK », dit culture du secret. Signe d’un malaise palpable, d’anciens partners ont accepté d’évoquer les raisons de leurs départs du bureau parisien.
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Un cabinet coté en bourse, un ADN frenchy devenu européen, le goût des défis : bienvenue chez Wavestone. Le cabinet est piloté depuis 35 ans par son cofondateur Pascal Imbert, stratège, pragmatique et jovial, volontiers facétieux.
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