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Du tractage de semi-remorque au conseil en stratégie : la folle histoire d'une reconversion

Avant de prétendre à l’élite dans le conseil, Nuno Dinis Couto, 31 ans, enchaînait les exploits au cours de compétitions physiques démesurées qui l’amenaient par exemple à presser un kilo d’acier entre les mains.

Delphine Sabattier
03 Déc. 2019 à 09:28
Du tractage de semi-remorque au conseil en stratégie : la folle histoire d'une reconversion

Originaire du Portugal, passé par la recherche en énergies renouvelables, il raconte comment il a réussi à obtenir le poste qu’il visait depuis le début, à Dubaï.

Pour une fois, Nuno Dinis Couto a le temps ! Notre entretien se déroule en plein transit entre son premier employeur dans le conseil, Simon-Kucher & Partners (SKP), et un « MBB » comme il en rêvait… le Boston Consulting Group. Il est en terre natale, au Portugal, chez ses parents. La discussion se déroule en anglais (qu’il maîtrise aussi bien que le portugais et l’espagnol), et en visioconférence. En quelques secondes, la distance qui nous sépare disparaît.

L’ex-compétiteur mondial de force athlétique, qu’on voit tordre le métal sur YouTube ou tracter un camion semi-remorque à mains nues, se confie avec amitié sur son incroyable histoire : une ascension professionnelle spectaculaire poussée par une puissante détermination et une organisation méthodique.

Un carnet pour décomposer ses objectifs annuels en tâches mensuelles et hebdomadaires

Ainsi, chaque jour, sur un carnet, Nuno Dinis Couto note ses ambitions à un an, qu’il décompose en objectifs mensuels, puis hebdomadaires et quotidiens, en précisant minutieusement les actions à mettre en place et les personnes à convaincre. C’est en appliquant cette méthode qu’il a réussi à embrasser le métier de consultant, alors que rien ne l’y prédestinait.

Adolescent, il ne pensait pas encore au conseil. « Je me voyais emboîter le pas de ma mère et devenir ingénieur. Ce que j’ai fait, d’ailleurs ! » se souvient Nuno. Dans sa famille, où on est ingénieur depuis trois générations, il apprend à développer très tôt un esprit scientifique. Aujourd’hui, avec le recul, il estime que c’est ce même « processus de pensée » qui l’a conduit vers le conseil. « Mon grand-père me parlait des dernières technologies et me donnait des problèmes à résoudre. Cela m’obligeait à quitter ma zone de confort et à confronter ma vision du monde à la réalité. » Un PhD en poche, Nuno démarre une carrière de chercheur en énergies renouvelables. Entre ses 22 et 29 ans, il publie des dizaines d’articles scientifiques, donne des conférences, et se bâtit une réputation internationale dans un domaine où l’Europe investit un milliard d’euros, la « gazéification » (schématiquement, la transformation d’un solide – des matières carbonées, par exemple – en gaz).

« Néanmoins, au fil du temps, on apprend de moins en moins, et les perspectives d’évolution professionnelle devenaient peu attrayantes. J’avais un job rassurant, mais j’étais en quête de défis. J’ai commencé en 2016 à chercher de nouvelles opportunités », se rappelle Nuno. Il tombe, un peu par hasard, sur le conseil en stratégie. Des amis évoluent dans ce secteur et ça le captive. Sachant que le ticket d’entrée sera dur à décrocher, il met tout en œuvre pour réussir.

Il consacre quatorze mois à sa préparation. « Une route longue et difficile », reconnaît-il. Il est alors conscient de partir avec un désavantage : il vient du monde universitaire, et son université ne profite pas d’une forte notoriété, pas plus que le petit pays où il vit au regard du monde… Pourtant, il exclut d’emblée l’option (a priori plus simple) de travailler dans un cabinet au Portugal.

Décidé à partir à l’étranger, il cherche où il pourrait travailler en anglais ou en espagnol. L’esprit méthodique est en marche. « J’ai rassemblé un maximum d’informations sur la manière d’obtenir un entretien et de se préparer. J’ai téléphoné à des gens que je ne connaissais pas, rencontré des consultants partout dans le monde. Je me suis construit un réseau. C’est à ce moment-là que j’ai parlé à quelqu’un à Dubaï. Il m’a conseillé de me bâtir une expérience en Europe. Alors, c’est ce que j’ai fait. Trois ans plus tard, me voilà prêt pour Dubaï ! » explique-t-il satisfait.

En effet, il décroche son premier job dans le conseil au Luxembourg, chez SKP. Pour y entrer, il passe un examen et quatre entretiens dans la même journée. Commence alors son apprentissage. Le cabinet est réputé pour ses missions sur les problématiques de tarification. Pendant trois ans, il se forme à la stratégie de politique de prix : « Le prix, c’est ce qui permet d’avoir le plus d’impact avec le moins de changement dans l’entreprise. C’est très intéressant de travailler sur ce sujet. Et puis j’ai découvert le secteur de la santé. Il y a peu d’industries avec autant d’intervenants et d’intermédiaires (les régulateurs, assureurs, pharmacies, patients, hôpitaux, distributeurs…), c’est d’autant plus complexe que chaque pays possède son propre système médical ! »

Douze formations en un an : ses débuts sur les chapeaux de roue chez SKP

Il suit un tas de formations, une marque de fabrique de SKP. « La première année, je me suis rendu douze fois en Allemagne pour du training », se souvient-il. Pour autant, la culture n’est pas germano-centrée chez SKP, précise-t-il. Les États-Unis sont en pleine croissance, le bureau de Boston, par exemple, est très important, tout comme celui de Londres…

Il adore sa nouvelle vie qui bat à un rythme rapide, « très dynamique », où il peut développer de nombreuses compétences. « Chaque mois pratiquement c’est un nouveau projet, différentes industries. On traite en direct avec des intervenants d’un niveau incroyable dans les entreprises, c’est passionnant. Et puis, on est très indépendant dans le conseil. On apprend à développer la capacité à régler des problèmes. On devient très agile, connecté à des gens partout dans le monde. J’ai rencontré 100 personnes pendant que j’étais chez SKP. Et ce sont des personnes avec qui je partage un même état d’esprit, des affinités ! » s’amuse Nuno.

Sa plus belle expérience, c’était une mission, l’an dernier, pour une entreprise médicale. « J’ai dû acquérir les connaissances nécessaires pour savoir ce qui se passera dans les dix prochaines années. » Les difficultés ? Ses débuts. Les premières semaines, il se sentait un peu perdu : « J’avais un projet sur ma table. Et je ne savais qui je pouvais contacter, quelle aide je pouvais demander, quand je devais appeler… avoue Nuno. Ensuite, naturellement, on trouve sa place. On appréhende ses responsabilités. Il est important de parler avec les gens qui travaillent dans des postes similaires, pour savoir ce qu’on attend concrètement de vous. Connaître les outils pertinents à utiliser… »

Le meilleur conseil qu’il ait reçu d’un pair : ne pas attendre qu’on vous dise ce qu’il faut faire, et surtout ne confier la responsabilité du travail à personne d’autre. « N’appelez pas tout de suite votre supérieur quand il y a un problème. Ne dites jamais “je ne sais pas quoi faire”. Réfléchissez avant. Téléphonez à un ami, développez une approche. Une fois que vous irez voir votre manager, vous pourrez dire “Voilà, la situation, et ce qu’on peut faire à mon avis… qu’en pensez-vous ?”, recommande gentiment Nuno.

Le jeune consultant a forcément une vision moins « romantique » du métier qu’à ses débuts : « Dans la réalité, tout n’est pas parfait. Une fois en place, on s’aperçoit que tout n’est pas organisé comme vous le pensiez. Et souvent, le travail est plus opérationnel que stratégique », confie-t-il.

Avoir une vie sociale, manger sainement et faire du sport : les trois défis du jeune consultant en stratégie 

Il reconnaît aussi qu’il s’agit d’un métier très prenant. « C’est très exigeant. Si tu as une copine, par exemple, c’est compliqué, car tu dois t’absenter des semaines entières. Et c’est une gageure de manger sainement quand tu travailles tout le temps, que tu es en voyage, beaucoup au restaurant… Et puis, il faut être hyper organisé pour faire du sport ! » Pour Nuno, ce point-là est crucial.

À 15 ans, le jeune homme découvre qu’il est doué pour la lutte sportive. Il fréquente les salles de musculation et se met à exceller en powerlifting (ou force athlétique, en français) et grip strength (force de la main, ou de préhension, en français). « Une combinaison de génétique et d’esprit introverti m’a permis de me démarquer dans les sports liés à la force », sourit-il. Dans les deux disciplines, il rivalise avec les meilleurs athlètes du monde. Il réalise une prouesse au concours mondial World Strongest Hands, alors que la rencontre a lieu six mois après une blessure grave qui l’oblige à s’entraîner avec sa main la plus faible. « Atteindre la septième place mondiale en utilisant ma main gauche, sachant que je ne serai probablement plus en mesure de pratiquer ce sport, m’a beaucoup appris sur le dépassement de soi et le franchissement des obstacles », pense-t-il.

Plus largement, le sport de force lui apporte une grande sérénité : « L’exercice régulier améliore le sommeil, l’humeur générale, l’estime de soi et la productivité. De plus, je trouve fascinant de tester les capacités de son corps. Socrate a déclaré : “Aucun citoyen n’a le droit d’être un amateur en matière d’entraînement physique… quelle honte pour un homme de vieillir sans jamais voir la beauté et la force dont son corps est capable.” Je ressens cela profondément. »

Il n’a jamais imaginé que son parcours sportif puisse l’aider professionnellement, cependant, depuis son arrivée dans le conseil, il constate que les entreprises apprécient les profils différents. Il pense même que ses exploits hors normes lui ont permis de se distinguer lors des processus de recrutement.

Cela dit, jouer d’un sport à un niveau d’élite n’est pas sans conséquence : « Vous devez donner la priorité à la formation, au régime alimentaire et à la récupération. Ça passe avant tout. On doit se coucher et se réveiller à des heures fixes. Manger une certaine quantité de nourriture divisée en un certain nombre de repas. Cela implique des séances de chiropractie pour la rééducation, sans même parler de l’entraînement en lui-même… »

« Travaille plus dur sur toi que sur ton job »

En 2013, Nuno arrête la compétition, mais en garde le goût et cette ambition de viser toujours plus haut, « du point de vue des compétences, mais aussi du mental. Pour moi, ce n’est pas ce que vous pouvez obtenir d’un emploi qui compte, mais ce que vous êtes en train de devenir. Une de mes citations préférées de Jim Rohn dit : “Travaille plus dur sur toi que sur ton job.” Cela implique de se concentrer sur les êtres chers, la forme physique et la spiritualité. J’essaie de tout combiner grâce à la planification, la hiérarchisation des priorités et une grande discipline. »

Nuno Dinis Couto est ainsi organisé dans sa tête : il suit toujours un plan, des objectifs. Aussi, quand il est entré chez SKP, il était clair pour lui que ce n’était pas une fin, mais un tremplin. « J’ai travaillé pour de très grandes entreprises, mais j’ai décidé de ne pas poursuivre. Et je ne le regrette pas », conclut le jeune consultant.

À 31 ans, célibataire sans contrainte familiale, il veut continuer son ascension vers des missions « plus stratégiques ». Dans moins d’un mois, il rejoindra l’équipe du BCG à Dubaï. Une fierté. « C’est une occasion incroyable de redéfinir ma carrière, mais cela n’est pas sans enjeu, nous dit-il avec lucidité. Chez SKP, je m’étais spécialisé dans les medtech (technologies dans le domaine médical, NDLR), désormais je dois être capable de travailler dans n’importe quel secteur. De plus, je quitte l’Europe pour le Moyen-Orient, ce qui, d’un point de vue culturel, est également un défi. Je suis extrêmement enthousiasmé de vivre cette opportunité unique ! » L’envol est prévu pour janvier 2020.

Boston Consulting Group
Delphine Sabattier
03 Déc. 2019 à 09:28
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Nuno Dinis Couto, Simon Kucher, Boston Consulting Group, BCG, début consultant, carrière, portrait, sportif, consultant
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