Aux États-Unis, plus difficile de servir public et privé en même temps
Le parlement américain a voté une loi qui muscle les conditions selon lesquelles des prestataires privés peuvent simultanément servir le secteur public et le secteur privé. En toile de fond, les révélations sur les missions effectuées par McKinsey en faveur des fabricants d’antidouleurs, qui ont tué plusieurs centaines de milliers de personnes en 20 ans, et parallèlement pour l’agence de régulation des médicaments qui a pour mission de juguler ce type de crise sanitaire.
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Le 15 décembre 2022, la Chambre des Représentants, la chambre basse du parlement américain, a voté une loi qui entend limiter les risques de conflits d’intérêts dans les achats publics (voir le texte de loi). Le texte a été promulgué dans la foulée par le président Joe Biden.
Objectif du texte : identifier et limiter les risques de conflits d’intérêts entre des contrats réalisés par des prestataires privés au service d’organismes publics et les autres contrats de ces prestataires dans le secteur privé.
« Le gouvernement fédéral contractualise avec des sociétés privées pour assurer la bonne marche de responsabilités gouvernementales importantes […]. Cependant, de nombreux prestataires réalisent également des missions dans le secteur privé, ce qui peut soulever des questions quant à la fiabilité des projets fédéraux si une gestion appropriée n’est pas mise en œuvre », écrivent plusieurs parlementaires après le vote de cette loi.
En ligne de mire directe, les informations révélées par la presse, puis par une commission parlementaire selon lesquelles McKinsey a travaillé simultanément pour les laboratoires pharmaceutiques producteurs d’antidouleurs (opioïdes), dont la surconsommation a entraîné 500 000 décès en 20 ans, et pour la FDA, l’agence fédérale chargée de juguler ce type de crise sanitaire.
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Paiement colossal équivalent à 5 % de son chiffre d’affaires annuel, nouvelles règles de protection contre les conflits d’intérêts dans le secteur public, obligation d’archiver tous les documents de chacune de ses missions : l’accord conclu par McKinsey avec une cinquantaine de procureurs généraux le 4 février est retentissant. Il pourrait avoir des impacts sur ses recrutements.
« Le gouvernement fédéral n’aurait pas dû faire travailler les mêmes salariés de McKinsey qui travaillaient simultanément pour les fabricants d’opioïdes », a déclaré la sénatrice du New Hampshire Maggie Hassan, une des parlementaires qui a promu et voté la loi.
« McKinsey a été payé 140 millions de dollars depuis 2008 par la FDA pour l’aider à superviser son travail de suivi des compagnies pharmaceutiques – y compris pour l’aider à déterminer la sécurité et l’efficacité des prescriptions des médicaments antidouleurs. Dans le même temps, McKinsey n’avait pas fait savoir à la FDA qu’il était également missionné par plusieurs labos pour les aider à distribuer le plus efficacement leurs médicaments antidouleurs », notent encore les parlementaires à l’issue de ce vote.
La loi prévoit la mise en œuvre de process dédié au sein des agences fédérales devant leur permettre de prévenir ce type de conflits d’intérêts, et de les identifier rapidement dans les processus d’attribution de marchés. Les prestataires privés seront ainsi tenus à des obligations déclaratives concernant toutes les missions en cours dans le privé qui pourraient les mettre en porte-à-faux avec un nouveau marché dans le secteur public.
En France, deux ans de polémique sur le recours au cabinet de conseil auprès de l’État ont abouti au vote d’une proposition de loi au Sénat dont une partie va dans le même sens que la nouvelle législation. En France, cette proposition de loi attend encore son vote à l’Assemblée nationale.
Si cette loi se matérialisait par une réduction des encours publics de McKinsey aux États-Unis, ce ne serait pas la première fois que le cabinet se ferait tacler sur des marchés-cadres fédéraux d’ampleur (voir notre article sur les services généraux du gouvernement fédéral qui avait exclu McKinsey de la reconduction d’un contrat).
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