Transactions et Stratégie : un mariage de raison
Fin mars 2025, EY-Parthenon annonçait la réunion de ses équipes transactions et stratégie. Vivront-ils heureux, auront-ils beaucoup d’enfants ? Eux y croient, et nous expliquent pourquoi. D’autres sont plus réservés. Mais sur le fond, tout le monde est d’accord : deal et strat ont intérêt à vivre ensemble.

Quand EY a racheté Parthenon en 2014, ils étaient 350. 10 ans plus tard, EY-Parthenon frôlait les 10 000 consultants. D’un coup de plume, en mars dernier, la marque se retrouvait à la tête de 25 000 professionnels dans 150 pays, par internalisation des activités « transactions » d’EY. Objectif : proposer sous une même bannière l’expertise en transactions financières et le conseil en stratégie. Avec, derrière, des équipes qui travaillent en synergie.
Au moins deux partners concurrents ne se sont pas privés de nous faire part de leurs doutes, jugeant la démarche essentiellement cosmétique – sans autre développement. Stéphane Eyraud (ex-Chappuis Halder) trouve quant à lui que c’est plutôt une bonne idée. Nicolas Cohen-Solal (Eight Advisory) esquisse pour nous une critique nuancée tout en proposant l’exemple alternatif de son cabinet.
Pour mieux comprendre la démarche d’EY-Parthenon, nous nous sommes tournés vers le triumvirat qui l’incarne en France : côté strat, Stéphan Bindner, qui dirige la branche « stratégie et transformation » ; côté finances, Gratien de Pontville, pour la branche « Transactions et Corporate Finance » ; au-dessus, Etienne Costes – issu du monde de la stratégie – dirige l’ensemble, soit « Stratégie et Transactions », pour la France.
L’aboutissement d’une démarche
Le récit que nous présentent les trois partners est celui d’une démarche entamée il y a plus de 10 ans, dont le rapprochement récent n’est que la conclusion logique. « Quand nous avons repris Parthenon en 2014, se souvient Etienne Costes, son fondateur Bill Achtmeyer a souhaité que les consultants ne soient pas envoyés avec les équipes consulting, mais rejoignent ceux qui faisaient de la transaction et de la corporate finance. » Ce choix originel, estiment à l’unisson les trois partners d’EY-Parthenon France, a conditionné la suite, et marque pour eux une différence fondamentale d’approche avec les 3 autres Big Four. « Cette vision était clairement établie dès 2013-2014 ; mais ce genre de choses prend du temps. Il faut constituer l’équipe, remplir les niveaux de la pyramide… »
La proximité organisationnelle se traduit rapidement en collaboration opérationnelle, au moins sur certains types de missions qui y sont propices – comme les restructurations ou les due diligences liées à des opérations de cession ou d’acquisition. « Quand nous avons commencé, je présentais mon rapport stratégique, puis Gratien présentait la partie finance. Le client avait tendance à dire : “OK, Etienne, merci, tu peux y aller, on va parler finances maintenant…” Par la suite, nous avons insisté pour rester tous les deux. »
Le rapprochement « officiel » du deal et de la stratégie vient donc couronner le processus. « Jusqu’à 2025, nous avions encore deux marques différentes : Parthenon pour le conseil en stratégie et EY pour la corporate finance. Cela fonctionnait, mais les clients à qui nous vendions une prestation sans coutures entre strat et finance ne comprenaient pas toujours pourquoi il y avait deux entités, deux chartes graphiques, deux marques. Nous avons donc réuni les deux, et nous avons désormais une équipe unique, un code de marque, des identifiants visuels, qui matérialisent une proposition de valeur unifiée. »
Unir deal et strat : sur le papier, tout le monde est pour
L’alliance entre deal et strat est souvent tenue pour allant de soi, mais à quoi est-elle censée servir ? Stéphan Bindner pour la stratégie et Gratien de Pontville pour la finance vantent, chacun pour sa partie, les mérites de la synergie. « Les cabinets de conseil en stratégie sont bons en compréhension de secteur, analyse le premier, mais faibles sur la finance, quand il faut produire une valorisation robuste de l’entreprise. » Simultanément, « du côté de la stratégie et des opérations », reconnaît Gratien de Pontville, « les méthodologies déployées permettent de générer de l’information sur une société, sur un marché, en faisant appel à des réseaux d’experts, des bases de données – qui sont autant de moyens d’investigation que l’on ne mettait pas en œuvre historiquement en finance et que nous appliquons désormais. » La résultante est une « justesse d’analyse » que l’on n’atteindrait pas séparément.
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Là où les pères fondateurs du conseil en stratégie disposaient d’une expertise financière aiguisée, celle des consultants actuels serait nettement plus light. Out of the loop, vraiment ?
« Avoir les deux cultures dans une même équipe est très bénéfique aux deux, abonde Stéphane Eyraud, dirigeant fondateur de Martheart FS et ex-Chappuis Halder. Le conseil en stratégie peut se nourrir de la culture transactionnelle pour avoir une approche, une vision et un delivery beaucoup plus pragmatiques. À l’inverse, pour le transactionnel, le conseil en stratégie apporte une vision macro et de l’anticipation. »
Chez Eight Advisory, Nicolas Cohen-Solal (Strategy & Operations) développe l’intérêt commercial de la démarche : « Lorsqu’on est chez le client, il y a une logique à vouloir lui proposer une offre sans coutures, stratégique pour travailler sur la topline, et financière pour traduire la stratégie dans un business plan. Pour le client, cela a du sens de rechercher un one-stop shop sur un sujet. » Avec, côté cabinet, un bénéfice en termes de « cross-selling entre les activités. »
Sur le terrain, un défi organisationnel
Encore faut-il arriver à faire fonctionner les équipes ensemble. Selon Stéphan Bindner, ça marche. « Nous nous retrouvons dans les mêmes team meetings en interne, dans la même réunion face au client, nous produisons des rapports dans les mêmes formats. Ensuite, chacun joue sa partition, le violoncelliste ne doit pas faire du piano… Mais nous jouons ensemble, dans la même pièce ». Au passage, le rapprochement entre deal et strat est aussi un facteur d’attractivité employeur. « Nous pouvons dire aux candidats en conseil en stratégie qu’ils auront la possibilité d’acquérir des bases en corporate finance, et réciproquement », explique Etienne Costes. « Ils seront ainsi en mesure de s’adresser à un dirigeant à 360°. Il ne faut pas oublier que les clients, eux, ont bien cette double vision stratégie et finance. »
Un bémol significatif cependant : pour le moment, les locaux physiques du deal et de la strat restent séparés : « Nos équipes Transactions & Corporate Finance sont malheureusement encore sur un site (La Défense) différent de celui de nos équipes Strategy & Exécution (rue Saint-Lazare) », précise Etienne Costes. Mais « toutes nos équipes seront bientôt réunies sur un nouveau site dans Paris en 2026 », assure-t-il.
Cette approche est-elle vraiment unique ? « Parmi les Big Four, oui. En partie parce que les autres n’ont pas, comme nous, positionné leurs consultants en stratégie près des équipes de transactions ». Mais aussi parce que sur les 4, seuls 2 ont véritablement réussi à s’installer durablement dans le paysage du conseil en stratégie.
Et sur le reste du marché ? « Certains nouveaux cabinets, venus du monde du transaction services, essaient de faire la même chose », mais à une échelle moindre, estime Etienne Costes.
One-P&L or not One-P&L, telle est la question
On devine derrière cette description des structures comme Alvarez & Marsal, par exemple, ou encore Eight Advisory. Partner au sein de ce dernier cabinet, Nicolas Cohen-Solal veille d’abord à formuler son propos comme général, et non spécifiquement adressé au cas d’EY-Parthenon, avant d’en venir à ce qui, selon lui, représente le principal problème : « Dans les cabinets qui ont un P&L sur la partie stratégie et un sur la partie financière, si je suis un financier, je n’ai aucun intérêt à aller chercher mes collègues de la stratégie, et réciproquement. »
Un risque que Eight entend contourner en ayant un seul compte de résultat : « Nous fonctionnons en “one P&L” pour la société, toutes activités et tous pays confondus. Quand nous montons un projet sur une transaction, nous allons chercher en interne les bonnes compétences en due diligence financière et en stratégie. Ce sont des équipes différentes, mais, comme il n’y a qu’un seul compte de résultat pour la société, il n’y a pas de risque de guerre interne pour capter le chiffre d’affaires. » Une forme d’organisation et de management qui, selon Nicolas Cohen-Solal, attire les candidats, séduits par un environnement où « on ne travaille pas les uns contre les autres : on choisit le meilleur partner pour une problématique client donnée. »
En l’absence de ce fonctionnement en « one P&L », « je comprends l’intérêt commercial de rapprocher deal et stratégie pour générer du cross seeding, mais si l’organisation est silotée, il ne peut pas vraiment y avoir de foisonnement entre les équipes ».
Par ailleurs, un risque adjacent du « one-stop shop » est que « le partner devienne une sorte de key account manager qui fait du business development, établissant une relation purement commerciale avec le client. Un cabinet de conseil en stratégie n’est pas une ESN : les partners ne sont pas uniquement des vendeurs, ils sont en même temps en charge de l’exécution. Or, nous ne vendons pas des jours hommes, mais une prestation en intelligence. »
Le mariage deal et strat a donc tout pour être fécond, mais il reste à trouver l’organisation et le management qui permettent de favoriser la synergie sans générer d’effets secondaires indésirables. Pour Stéphane Eyraud (ex-Chappuis Halder), le jeu en vaut la chandelle : « Cela me paraît une très bonne idée. C’est le genre de choses à faire pour éviter la commodification du conseil. Pour moi, il va falloir que des acteurs comme BCG ou McKinsey y réfléchissent. »
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