Quand consulting rime avec lobbying

 

On l’apprenait à la fin du mois de mars, la Fédération de la formation professionnelle (FFP) a mandaté Roland Berger et Ylios dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle portée par Murielle Pénicaud, la ministre du Travail. Le projet de loi présenté début mars est attendu en Conseil des ministres à la fin du mois d’avril puis au Parlement en juin.

 

09 mai. 2018 à 08:37
Quand consulting rime avec lobbying

 

Il entend faire en sorte que les 7 milliards d’euros de cotisation dédiés à la formation professionnelle qui aujourd’hui passent branche par branche par les OPCA soient plus accessibles individuellement. Par exemple via une application où tout un chacun pourrait dépenser un crédit annuel en euros auprès d’X ou Y organismes.

Pour peser sur ce projet de loi, la FFP, qui compte 600 personnes dans ses rangs, a fait appel à Roland Berger et rendait public, en octobre, un rapport commandé au cabinet – qui n’a pas souhaité commenter.

Laurent Benarousse et Alain Chagnaud, deux associés de Roland Berger, y détaillent les coûts de la formation professionnelle en France, le faible taux de personnes qui en bénéficient en comparaison d’autres pays européens, le long délai souvent qui sépare une personne qui vient de perdre son emploi et la date à laquelle elle peut commencer sa formation.

De façon moins intuitive, la FFP a aussi mandaté Ylios, comme le confirme à Consultor Emmanuelle Peres, la directrice générale de la FFP. Non pas pour la rédaction d’un rapport cette fois-ci, mais pour une mission d’influence : en clair du lobby.

La Haute Autorité de la transparence de la vie publique (HATVP) – créée en France dans la foulée de l’affaire Cahuzac – recense tous les « représentants d’intérêts » actifs au Parlement, dans les ministères ou les administrations.

Ceux qui formalisent une activité d'influence, ceux qui le font de manière informelle

À la lettre A, Accenture ! Et, effectivement, à la lettre Y figure bel et bien Ylios. Voilà tout pour ceux des consultants qui affichent une activité d’influence voisine de leur cœur de métier. Et d’autres, tout particulièrement McKinsey, peuvent le faire très ponctuellement d’une manière plus furtive.

« Une fois, sur la restructuration d’un grand groupe public, ils ont pu proposer de mettre en relation les dirigeants du groupe avec des responsables gouvernementaux. Ce qu’ils n’ont finalement pas fait. Le bruit de fond est que les cabinets de conseil en stratégie voudraient remonter la chaîne de valeur jusqu’à l’influence sans que pour l’heure ils se positionnent sur les appels d’offres ou les recrutements », analyse Philippe de Bailliencourt, associé de Taddeo, cabinet de conseil stratégique en communication.

Sur le papier, la répartition des tâches est claire. Fabriquer les idées : ce que font les consultants. Influencer pour faire avancer des idées : ce que font les lobbys.

Chez McKinsey, à quelques reprises, certains sont allés plus loin que la fabrique des idées. Exemple : lorsque plusieurs membres du cabinet de conseil McKinsey se sont associés de près ou de loin à la campagne du candidat Emmanuel Macron, Karim Tadjeddine, associé au sein de la multinationale, aurait participé à l’élaboration du programme économique.

Idem pour Mathieu Maucort, consultant chez McKinsey – depuis devenu directeur adjoint du cabinet du secrétaire d’État chargé du numérique Mounir Mahjoubi – aurait aidé à la coordination des travaux sur les questions énergétiques. Ou lorsque Cyril Grislain Karray, franco-tunisien et ancien partner de McKinsey au Brésil, s’est retrouvé, au lendemain de la chute de Ben Ali mi-janvier 2011, catapulté dans le premier cercle du Premier ministre de transition tunisien Mohamed Ghannouchi.

« L’idée est d’être présent auprès des parlementaires tout au long de la chaîne d’élaboration des politiques publiques »

« L’idée est d’être présent auprès des parlementaires tout au long de la chaîne d’élaboration des politiques publiques », résume Joshua Adel, associé chez Ylios, en charge de la practice influence.

Cette practice existe depuis moins de deux ans et est unique en son genre dans le conseil en stratégie. Mis à part chez Accenture peut-être qui est recensé sur la liste de la HATVP parce qu’il compte un directeur des affaires publiques maison.

La practice influence d’Ylios a vu le jour à l’automne 2016. Elle est le fruit de la rencontre entre Joshua Adel (associé) et Alexia Goloubtzoff (directrice), deux anciens de Proches Influence & Marque, boutique de conseil en stratégies d’influence, et plusieurs associés d’Ylios (Angelos Souriadakis, Yoram Bosc-Haddad, Karim Hatem). « Nous avons constaté la complémentarité entre conseil en stratégie et capacités à influer sur l’environnement politique – au niveau des idées, de la loi, des règlements, de la culture, des médias. Notre métier de base ne change pas, mais nous y ajoutons un volet technico-économique que les autres consultants en influence n’ont pas », explique Joshua Adel.

Par exemple, en dépouillant les modèles économiques d’un groupe, Ylios pourra identifier les points de la loi susceptibles de les favoriser ou de les menacer, et pousser à divers niveaux des propositions de modification législative alors même qu’aucune réforme n’est envisagée. « C’est l’un des enseignements des deux derniers mandats présidentiels : la fabrique de la législation est de plus en plus externalisée aux think tanks et aux consultants. Ylios veut se démarquer dans ce contexte : nous ne restons pas à un niveau de contestation, nous formulons des contre-propositions. Ce qui change énormément les rapports avec les décideurs publics », avance encore Joshua Adel.

D’autres cabinets pourraient-ils suivre ce modèle et formaliser une activité d’influence ? En théorie, le décret du 9 mai 2017 d’application de la loi Sapin II relatif au registre des représentants d’intérêt recensés par la HATVP est clair. Ce décret fixe un critère quantitatif unique pour l’inscription ou non au registre. Doit être inscrite toute personne morale qui « entre en communication » (selon le texte du décret) plus de dix fois par an avec un membre du gouvernement, un membre d’un cabinet ministériel, un parlementaire ou collaborateur parlementaire, un collaborateur du président de la République, certains membres d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante, le président d’un conseil régional ou un conseiller régional, et ce « en vue d’influer sur une ou plusieurs décisions publiques, notamment une ou plusieurs mesures législatives ou réglementaires ».

Une zone grise demeure dans laquelle nombre de consultants voudront rester

Mais entre une practice étiquetée « influence » et des pratiques informelles de partage de carnets d’adresses, la ligne peut être fine et une zone grise demeure dans laquelle nombre de consultants voudront rester. Ne serait-ce que par nature, transparence et lobbying sont antinomiques. En l’occurrence à la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, dans l’entourage de Sylvain Maillard, député LREM de la 1re circonscription de Paris qui sera rapporteur sur le projet de loi de réforme de la formation professionnelle, on ne sait pas qui est Ylios. Pas mieux du côté de Fadila Khattabi ou de Florence Granjus, toutes deux députées LREM amenées à suivre le texte de près, qui n’ont pas eu vent d’Ylios. Discrétion oblige sans doute.

Benjamin Polle pour Consultor.fr

 

Alain Chagnaud Laurent Benarousse
09 mai. 2018 à 08:37
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