Consulting ou lobbying ? Le gendarme de la transparence met la pression.
C’est une information de Politico : Didier Migaud, le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, s’est rapproché des principaux cabinets de conseil en stratégie pour leur demander d’expliciter leurs missions, voire de s’inscrire au registre des représentants d’intérêts.
- Chief of staff : un métier très consultant-compatible
- INSEAD 2023 : 7 top recruteurs sur 10 sont des cabinets de conseil
- L’État va-t-il vraiment tourner le dos aux cabinets de conseil privés ?
- Sur la lutte contre le sans-abrisme, la mairie d’Austin renonce à McKinsey
- La loi « anti-consultocratie » rabotée à l’Assemblée nationale
- Top 5 du conseil en stratégie : une croissance à géométrie variable
- L’Australie se dote d’un ministre du consulting
- Oliver Wyman et Roland Berger, « élus » du copieux marché du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer
Dans des mails consultés par Politico, la HATVP s’intéresse aux missions des consultants depuis le printemps 2022 et a demandé à des cabinets tels que McKinsey ou Roland Berger de faire suivre les détails de leurs rencontres avec les décideurs publics, et de s’inscrire au registre pour certains qui affirment toujours d’en être exclus.
« À la faveur des polémiques autour des cabinets de conseil, [la HATVP] a lancé une série de contrôles sur les plus gros acteurs du secteur, notamment Roland Berger et McKinsey, et donc mené des échanges avec eux », a confirmé l’autorité interrogée par Politico.
Ces contrôles interviennent alors que la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, adoptée au Sénat à la suite de la commission d’enquête sur le même sujet et toujours en attente d’un examen à l’Assemblée nationale, consacre le rôle de la HATVP dans l’encadrement des missions de cabinets de conseil dans le secteur public.
Ce n’est pas la première fois que la frontière très poreuse entre consulting et lobbying est ainsi mise en exergue.
Mai 2014 : en symbiose avec le MEDEF, McKinsey avance des propositions pour créer un million d’emplois en France. Quelques semaines plus tard, c’est le BCG qui s’affiche en ardent promoteur de l’exploration des gaz de schiste, avec l’Institut Montaigne. À la rentrée de la même année, c’est au tour de Roland Berger de vanter les mérites de la transformation numérique de l’économie française, pour le compte cette fois de Google.
Les entreprises cherchent ainsi à renforcer leur position dans les discussions avec le régulateur ou le décideur public. Or, cette technique n’est jamais aussi puissante que lorsqu’une partie tierce, perçue comme indépendante, en réalise la démonstration à votre place. Dans ce cadre, les cabinets de conseil en stratégie jouissent d’une forte crédibilité en matière d’analyse quantitative. Dès lors, leurs chiffrages et leurs scénarios peuvent apparaître plus convaincants, plus « objectifs » aux décisionnaires, que ceux d’agences spécialisées en affaires publiques.
Côté cabinets de conseil en stratégie, le bénéfice est double : des honoraires supplémentaires et un bénéfice relationnel avec de potentiels nouveaux clients.
Le cabinet de conseil en stratégie Ylios (depuis racheté par Kea), fait assez atypique sur le marché, avait même formalisé un département influence en lien avec ses missions de conseil plus classiques. Objectif alors, par exemple : proposer des stratégies d’influence cohérentes avec les orientations stratégiques retenues par leurs clients.
En théorie, le décret du 9 mai 2017 d’application de la loi Sapin II relatif au registre des représentants d’intérêt recensés par la HATVP est clair. Ce décret fixe un critère quantitatif unique pour l’inscription ou non au registre. Doit être inscrite toute personne morale qui « entre en communication » (selon le texte du décret) plus de dix fois par an avec un membre du gouvernement, un membre d’un cabinet ministériel, un parlementaire ou collaborateur parlementaire, un collaborateur du président de la République, certains membres d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante, le président d’un conseil régional ou un conseiller régional, et ce « en vue d’influer sur une ou plusieurs décisions publiques, notamment une ou plusieurs mesures législatives ou réglementaires ».
Les cabinets de conseil en stratégie rentrent-ils dans ce cadre ? Du moins, certains y sont ou y ont déjà été indirectement. On trouve par exemple dans ce registre l’ancien ministre Dominique Bussereau et sa société de conseil Charbus Conseil. Or, Dominique Bussereau avait rejoint Roland Berger en 2018 en tant que senior advisor. D’ailleurs, parmi les clients pour lesquels il indique exercer des activités de représentant d’intérêt figure un certain… Roland Berger.
Idem d’Oliver Wyman, récemment retenu comme mandataire du principal marché de conseil en stratégie de l’État entre 2023 et 2027 : le cabinet figure parmi les anciens clients de l’entreprise spécialiste d’affaires publiques, Boury Tallon & Associés.
à lire aussi
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique contrôle la reconversion de nos hauts fonctionnaires. Depuis le 1er février 2020, elle a ainsi examiné la situation de 264 agents publics dont sept seulement – un haut fonctionnaire est récemment passé du Trésor au BCG – ont rejoint des cabinets de conseil en stratégie.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (1)
citer
signaler
secteur public
- 18/04/24
Selon le rapport du Bureau du vérificateur général du Canada, la majorité des contrats fédéraux attribués à McKinsey par le gouvernement canadien depuis 2021 l’ont été sans appel d’offres.
- 05/04/24
La Régie autonome des transports parisiens vient de lancer le 2 avril un appel d’offres concernant des prestations de conseil en stratégie et en RSE, un accord-cadre de 2 lots à marchés subséquents, allotis, multi-attributaires pour chacun des lots, sans montant minimum et au maximum une enveloppe de 7,825 millions d’euros, dont 7 M€ pour le seul lot stratégie. Une mission notifiée pour une durée pour le moins précise de 654 jours.
- 04/04/24
Accusé de trop utiliser les cabinets de conseils privés, l’État fait le choix de s’émanciper de ces derniers. Leur remplacement par l’agence de conseil interne de l’État, mais aussi les inspecteurs généraux et les cellules internes aux ministères, s’accélère. Une nouvelle ère s’amorce ?
- 02/04/24
Agnès Audier devient présidente (non exécutive) du Conseil d’administration du Groupe SCET — Services Conseil Expertises et Territoires, filiale de la Caisse des Dépôts.
- 20/03/24
Une nouvelle mission relative aux services publics de l’emploi en Europe pour Roland Berger : le ministre flamand de l’Emploi, Jo Brouns, a demandé au bureau belge de se pencher sur le fonctionnement du VDAB, l’Office régional flamand de l’emploi.
- 04/03/24
Quelques mois après avoir demandé au cabinet de conseil de l’aider à faire le ménage dans la politique chaotique de délivrance des permis de construire, le maire démocrate Kirk Watson, réélu en janvier 2023 (il l’avait déjà été entre 1997 et 2001) avait de nouveau sollicité McKinsey. Cette mission, qui dès l’annonce de son coût et du cabinet retenus avait fait grand bruit, est finalement abandonnée faute de consensus entre les différentes administrations concernées.
- 29/02/24
Aux États-Unis, McKinsey est une nouvelle fois sur la sellette. Les républicains demandent d’exclure la firme des contrats fédéraux, en raison de son rôle – supposé – dans un groupe de réflexion ayant œuvré auprès des autorités chinoises. McKinsey dément catégoriquement. Une affaire qui se déroule à 9 mois de l’élection présidentielle américaine.
- 12/02/24
Périmètre réduit, rapport annuel changé d’objet, limitation des pouvoirs d’intervention de la Haute autorité à la transparence de la vie publique… Plusieurs amendements apportés à la proposition de loi provoquée par « l’affaire McKinsey » et issue de la commission d’enquête du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques ont suscité l’ire des parlementaires de l’opposition. Elle n’en continue pas moins à beaucoup inquiéter dans le secteur du conseil.
- 23/01/24
Accompagner au changement et aider à la mise en œuvre d’une nouvelle organisation : tels seront les contours de la future mission (d’une valeur maximum de 210 000 euros HT) pour le cabinet de conseil en stratégie qui sera choisi par le Muséum National d’Histoire naturelle. Le MNHN, avec son Jardin des Plantes, est un musée français emblématique fondé en 1793, sous la double tutelle des ministères de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de l’Environnement.