Philippe Pruneau : des bancs du conseil à ceux du Stade Français

Il a été l’un des partners historiques du bureau parisien d’OC&C après avoir intégré celui de McKinsey à ses débuts. Philippe Pruneau, retiré du conseil depuis 2021, nous parle de son parcours, de ses réflexions, et de son nouveau rôle d’entraîneur bénévole pour les jeunes rugbymen du Stade Français. Portrait.

Anouk Milliot
08 Mar. 2023 à 18:00
Philippe Pruneau : des bancs du conseil à ceux du Stade Français
Philippe Pruneau (au centre), avec son équipe de jeunes rugbymen du Stade Français © Philippe Pruneau.

Petit-fils d’ouvriers, Philippe Pruneau grandit dans les anciennes régions sidérurgiques du Grand Est. Après des études d’ingénieur à l’École des Mines de Nancy, dont il sort diplômé en 1977, il obtient une bourse pour partir étudier aux États-Unis l’année suivante. À son retour en France, il passe cinq ans chez Peugeot, près des usines mères de Franche-Comté. Mais le jeune ingénieur se remémore alors son voyage outre-Atlantique : « Après avoir goûté à la vie à l’étranger, j’aspirais à autre chose qu’à rester scotché à Sochaux-Montbéliard. J’avais envie de changement, et j’ai découvert qu’on pouvait faire un MBA. »

Il intègre l’INSEAD en 1984 et reçoit une offre d’emploi de McKinsey dès sa sortie d’école, mais le cabinet est encore loin de son heure de gloire. « C’était un métier totalement confidentiel. Le bureau de Paris, qui avait été plus gros dans les années 1970, était retombé à 20 personnes. BCG en annonçait 40 – dans ce métier-là, ça veut dire qu’ils étaient 30, ironise-t-il. Et François Chailloux arrivait de Londres pour ouvrir le bureau de Bain. On était très peu nombreux, seulement quelques dizaines. »

Après cinq ans comme manager, Philippe Pruneau se lasse des missions de stratégie de portefeuille. Il prend la tête d’une petite équipe au sein de l’entreprise Strafor Facom, spécialisée dans le mobilier de bureau, alors économiquement affaiblie par la première Guerre du Golfe. Puis, après avoir été approché par des anciens de McKinsey, il rejoint l’un des premiers fonds de private equity d’Europe et dirige successivement plusieurs PME.

La grande aventure OC&C

C’est son ancien collègue et ami, mais aussi fondateur du bureau parisien d’OC&C, Philippe Kaas, aujourd’hui décédé, qui le ramène durablement au conseil : « Au début, je n’en avais pas vraiment envie : mais je me suis rendu compte que c’était un business intéressant, et surtout que mes expériences passées – notamment celle de chef d’entreprise – pouvaient me servir. »

Le cabinet britannique compte alors trois bureaux : Londres, Paris et Rotterdam. Séduite par le modèle, une équipe allemande rejoint l’aventure : « On a inventé un partenariat très informel, sans structure centrale. Ça a donc ramené beaucoup de gens, se souvient Philippe Pruneau. Tout le monde nous a dit que ça ne marcherait jamais, que ça ne durerait pas plus de trois ans. En fait, ça a tenu très longtemps. Précisément parce que c’étaient des gens qui s’étaient cooptés. »

Le jeune partner prend part à la success-story pendant 19 ans. Il garde une sensibilité pour les missions de stratégie industrielle, « peut-être un lien inconscient » avec son décor familial. Le développement d’OC&C s’intensifie : le bureau atteint 30, 40 puis 50 partners dans les années 2010. C’est en partie ce qui pousse Philippe Pruneau à revendre ses parts [à Julia Amsellem, devenue ensuite partner chez EY-Parthenon, ndlr], et à fonder son propre cabinet de conseil, Crescenda. Mais c’est aussi ce qui explique selon lui la chute du bureau à partir de 2013, le nombre de partners étant devenu trop important.  

« Une fois le cap fatidique des 30 partners dépassé, c’est devenu beaucoup plus difficile à gouverner, lance-t-il. Les liens interpersonnels ayant disparu, trois bureaux de suite ont cédé aux propositions de rachat. » La première vague de rachats par Oliver Wyman est rapidement suivie par plusieurs offres d’EY-Parthenon, qui signe la fermeture du bureau parisien en 2017.

« Il fallait sauver le navire »

Philippe Pruneau, qui continue à effectuer des missions en tant qu’indépendant, dit alors « s’ennuyer profondément. Ce que j’aimais, c’étaient les équipes ». Son vœu est exaucé lorsqu’il est contacté par ses anciens collègues du bureau de Londres : « Ils m’ont proposé de rouvrir Paris avec eux. Et j’ai dit oui tout de suite. » Pourquoi une telle absence d’hésitation, après avoir revendu ses parts ? « J’avais passé 20 ans à monter ce projet, répond-il. On avait réussi à en faire quelque chose qui plaît, avec des clients et une bonne réputation. Je ne pouvais pas le laisser disparaître.»

Le bureau 2.0 d’OC&C Paris conserve la même structure, et s’oriente davantage vers le corporate et les missions de private equity, aux dépens d’une approche moins sectorisée. « C’est l’influence de Londres», pour Philippe Pruneau, qui se charge alors de recruter ses successeurs. « On a assez facilement embauché : en 24 mois, nous étions 24 » plaisante-t-il, se réjouissant de la croissance rapide du bureau, qui s’est poursuivie en 2021. Et pour cause : « Les partners que j’ai recrutés sont très bons ! » lance fièrement le senior partner, dont les deux principaux recrutements sont François Rousseau, ancien de Bain et de Kearney et chargé des missions industrie et BtoB, ainsi que Stéphane Blanchard, passé par Roland Berger et Monitor Deloitte, spécialisé dans le PE et la brand conso.

« Plus de contact avec la réalité »

Depuis sa retraite en octobre 2021, Philippe Pruneau dit avoir pu prendre du recul sur le secteur du conseil, dont les mutations ont été nombreuses depuis son arrivée dans les années 1980. « Ce qui me frappe le plus, ce sont les affaires McKinsey. » En tant qu’ancien de la maison et ancien concurrent, il se dit frappé par l’impunité qui règne : « Il y’a une sorte de “Goldman-Sachsisation”, beaucoup passent entre les gouttes. Ça ne me paraît pas sain. »

Comment un jeune consultant peut-il alors se sortir de l’« indécence » qu’il dénonce ? « Le seul conseil que j’ai à donner, c’est de rester honnête intellectuellement. Ce n’est pas facile, parce qu’il y a beaucoup de choses qui peuvent pousser à ne pas l’être, avertit-il. Dans ce boulot, c’est important de faire le tri entre l’essentiel et le reste. Si on conserve une honnêteté intellectuelle et qu’on s’interdit d’être aigri, je pense qu’on peut continuer à faire ce métier très longtemps. » C’est d’ailleurs ce qu’il dit être parvenu à faire avec sa femme, Karine Pruneau, qu’il a rencontrée lorsqu’il était en poste chez OC&C, depuis devenue directrice générale de Zehnder Group France.

Du goût pour le conseil à l’amour du ballon ovale

S’il a quitté sa profession de partner, Philippe Pruneau continue à agir quotidiennement. Depuis six ans, il exerce en tant qu’entraîneur bénévole pour les jeunes rugbymen du Stade Français. D’abord guidée par la passion – l’ancien consultant ayant pratiqué ce sport toute sa vie –, cette décision s’est vite transformée en engagement personnel. « Le premier évènement du club auquel je suis allé, c’est l’enterrement d’un jeune de 18 ans qui est mort sur un terrain, confie-t-il. Contrairement à ce que dit la fédération, ces circonstances n’ont rien à voir avec la fatalité. »

Frappé par la multiplication des actes de violence dans ce sport, il décide alors de conjuguer son nouveau rôle d’éducateur avec ses anciennes compétences de consultant : « Je me suis mis à la recherche de réponses, car rien n’est fait en France. C’est là que le métier du conseil a servi : j’ai commencé par regarder les choses factuellement, car s’il y’avait un problème, il y avait peut-être des solutions. » Philippe Pruneau adopte ainsi la même méthode que pour ses anciens clients : par des calculs, des tableurs Excel, des articles de recherche, des rencontres avec des professionnels du sport et du domaine médical, il s’est interrogé sur les moyens de faire bouger « un système aussi inerte que la FFR ».

Même si les tragédies successives (morts ou mutilations) ont permis des déclarations officielles qui se veulent aller dans le bon sens, les mesures prises ne sont pas suffisantes pour Philippe Pruneau. Il recommande dans un récent article LinkedIn, non seulement l’interdiction des rucks [mêlées ouvertes, ndlr] pour les moins de 16 ans, mais aussi la mise en place de formations (pour tous les acteurs, des formateurs aux joueurs en passant par les arbitres) et de grades de maîtrise, permettant de moduler les contacts autorisés selon le grade obtenu par le joueur. Tout cela en gardant un principe en tête, qu’il employait déjà en tant que consultant : « Ne provoquera le changement que les gens qui y trouveront vraiment un intérêt. »

« Quand on termine une carrière comme la mienne, on se demande ce qu’on a fait d’utile. Et ce qui est utile dans ce qu’on sait faire, résume-t-il. Même si je crains de ne pas parvenir à provoquer un changement, j’aurai au moins fait passer des choses. Quoiqu’à force de s’obstiner, on y arrivera peut-être. »

McKinsey OC&C François Rousseau Stéphane Blanchard
Anouk Milliot
08 Mar. 2023 à 18:00
tuyau

Un tuyau intéressant à partager ?

Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !

écrivez en direct à la rédaction !

commentaires (1)

Pruneau
09 Mar 2023 à 15:54
L'article est très fidèle.
La photo un peu moins. Les gamins que j'entraîne ont mois de 12 ans. et sont un peu moins costauds que ceux-ci. Désolé pour le collègue qui les entraîne et qui a bien vingt ans de moins que moi ;-)

citer

signaler

1024 caractère(s) restant(s).

signaler le commentaire

1024 caractère(s) restant(s).
10 + 4 =

L'après-conseil

  • Arnaud de Bertier : « Chez McKinsey, je ne faisais pas partie des meubles, mais des murs ! »

    Une trentaine d’années au compteur de McKinsey. Alors senior partner, Arnaud de Bertier change de voie il y a 5 ans. Et il n’opte pas, en fin de carrière, pour la facilité. C’est un doux euphémisme. Sa destinée : prof de maths de collège en zone d’éducation prioritaire. Rencontre avec un homme réfléchi qui dit avoir trouvé sa – nouvelle – place.

  • Passion tattoos

    Le départ précoce d’une consultante junior chez Bain qui quitte le cabinet pour embrasser sa passion pour les tatouages.

  • Les bifurqueurs vers l’humanitaire : vers un alignement (de sens) des planètes

    Les changements de cap peuvent être pour le moins radicaux. Certains consultants ou ex-consultants décident de quitter les salons dorés du conseil pour se consacrer aux grandes causes humanitaires et philanthropiques. Portraits de trois d’entre eux : Daphné Maurel, Alban du Rostu, deux alumnis de McKinsey, et Bahia El Oddi, une ancienne de Bain, pour qui il était devenu temps d’aligner les planètes de leurs valeurs profondes avec leur carrière pro.

  • Prima : le nouvel entrant de la piz’ parisienne premium

    La restauration chez Jean-Stéphane de Saulieu, c’est un truc qui vient de loin, de sa famille auvergnate, et un avec lequel on ne rigole pas. Voilà un an, l’ancien associate partner de Bain a tiré un trait sur 10 ans de carrière dans le conseil pour un virage pro à 180 degrés. Il est, depuis le début de l’année, le gérant d’une pizzeria haut de gamme aux Batignolles à Paris. Un modèle qu’il compte vite répliquer. Il explique à Consultor les raisons de cette mini-révolution professionnelle – dans laquelle le background conseil sert à tout… et à rien à la fois !

  • « Ginette » réunit tous ses anciens

    Avencore, le cabinet de conseil en stratégie spécialiste de l’industrie, est le partenaire unique de la Soirée Ginette Alumni, une réunion de tous les anciens du prestigieux lycée privé Sainte-Geneviève – une première du genre.

  • Nouveau « brûlot » littéraire d’un ancien du conseil en stratégie

    Il est un secteur qui décidément inspire de plus en plus la littérature. Le conseil en stratégie, et en décor ses cabinets stars, est au cœur de l’intrigue fictionnelle de Bruno Markov, pseudo d’un ex du secteur. Le Dernier Étage du monde, un premier roman au vitriol qui éreinte par là même l’univers des banques d’affaires et de la tech, vient en effet de paraître dans une maison parisienne reconnue, Anne Carrière.

  • « Il y a 3500 partners chez McKinsey, nous ne partageons pas tous les mêmes valeurs morales »

    Après 17 ans chez McKinsey Allemagne et France, Carsten Lotz, 46 ans, ouvre une nouvelle page blanche de son parcours. L’ex-associé énergie/ferroviaire se consacre aujourd’hui à 100 % à ses premières compétences de cœur : la théologie et la philosophie. Introspection et réflexion à temps complet sont ainsi inscrites à son programme. À des années-lumière de la vie à mille volts de consultant et de ses valeurs fondamentales…

  • Bain, Google, Uber, Lattès… Itinéraire d’un Wunderboy pressé

    À 36 ans, le Bainie, Thomas Barthuel, ne serait-il pas un hyperactif ? En neuf ans de carrière, pas moins de cinq fonctions différentes chez Google, Uber, Phenix, et depuis juin dernier, au sein d’une start-up tech néerlandaise. Last but not least, l’ex-consultant a réussi à faire publier chez Lattès, Wunderbike, une autofiction sur les questions existentielles d’un trentenaire qui peine à faire concorder ses valeurs personnelles fondamentales avec le monde des affaires.

  • Le consultant qui a trouvé la foi

    Récit du parcours de Lucas Tierny, entre conseil et pratique religieuse.

Adeline
L'après-conseil
oc&c, McKinsey, Philippe pruneau, rugby, après conseil, Philippe kaas, Mines de Nancy
12365
McKinsey OC&C
François Rousseau Stéphane Blanchard
2023-03-08 23:16:54
1
Non
L'après-conseil: Philippe Pruneau : des bancs du conseil à ceux du S