le media indépendant du
conseil en stratégie

icone burger fermee

rechercher sur le site

icone recherche
Featured

« Ne lisez pas que Les Échos ou Le Point, mais aussi Libé ! »

Lire, lire et encore lire, ne pas s’enfermer dans des positions dogmatiques ou partiales, cultiver une longueur d’avance intellectuelle : tels sont quelques-uns des conseils de gestion de carrière que Paul-André Rabate, le fondateur de CVA, donne aux lecteurs de Consultor.

Benjamin Polle
24 Jul. 2023 à 18:00
« Ne lisez pas que Les Échos ou Le Point, mais aussi Libé ! »
© Paul-André Rabate

Quel regard jetez-vous sur le métier de consultant en stratégie après plusieurs décennies de pratique ?

Un regard critique. Dans ce métier, il y a à boire et à manger. Tout le monde se fait appeler aujourd’hui conseil en stratégie quand 5 à 10 % des cabinets en font réellement.

À celles et ceux qui voudraient en faire réellement, quels conseils donneriez-vous ?

Qu’on ne demande pas la même chose en conseil en informatique et en conseil en stratégie, les attentes des clients ne sont pas les mêmes. Et qu’au sein même des marques les plus établies, il faut bien faire la part des choses : entre BCG et BCG Gamma, les clients et les sujets abordés n’ont rien à voir par exemple.

Et quand on s’intéresse exclusivement au conseil en stratégie aux directions générales, quelles sont les bonnes pratiques ?

Il n’y a pas, à vrai dire, les 10 commandements du bon consultant en stratégie. On peut raisonnablement donner des ingrédients, qui sont à adapter en fonction des capacités et du caractère de chacun. Je ne donnerais jamais les mêmes conseils à des personnes différentes.

N’y a-t-il pas des points communs aux gens qui choisissent de se lancer dans la strat’ ?

L’ambition, probablement. Dans tous les métiers, il faut être ambitieux. Mais dans le conseil en stratégie, il faut l’être encore plus qu’ailleurs. Parce qu’on s’expose personnellement, parce qu’il faut tenir la route, parce qu’il faut avoir de l’énergie. Vous aurez face à vous des clients et des collègues d’un niveau très élevé vis-à-vis desquels il faut faire au moins jeu égal. C’est aussi une carrière jalonnée d’obstacles et de métamorphoses : les attendus d’un business analyst, l’efficacité et la rigueur, ne sont plus du tout les mêmes pour un profil de partner qui aura pour mission de conseiller des hauts dirigeants, et qui devra être doté d’un pouvoir de conviction et d’un pouvoir de vente. C’est une évolution parfois brutale que peu de gens parviennent à mener à terme.

L’image d’Épinal du consultant qui souffle à l’oreille du patron est celle de quelqu’un qui sait embarquer ses interlocuteurs, sait leur parler, sait leur vendre ses analyses. Cela correspond-il en partie à la réalité de ce que les consultants en stratégie doivent être ?

Le consultant en stratégie qui essaie de vendre tout et n’importe quoi avec du bon « storytelling » est à proscrire. Peut-être y arrivera-t-il deux ou trois fois, mais pas quatre. Personnellement, certains des clients avec lesquels je travaille aujourd’hui étaient déjà dans ma clientèle avant même la création de CVA. C’est ce que je répète à l’envi aux jeunes consultants : mettez-vous dans les chaussures du client. Le conseil en stratégie souffre de vouloir « fourguer » n’importe quoi à ses clients, des produits communs et standardisés, pour faire des honoraires. Cela se fait au détriment du sur-mesure. L’équation du bon stratège est de ne pas pousser à la vente tout en gagnant sa vie à la fin de la journée.

Cette équation, comment parvient-on à la solutionner au mieux ?

C’est un métier que l’on apprend en le faisant, en se mettant dans les traces des meilleurs et en évitant l’obsolescence. Un élément clé de la créativité est de s’enrichir soi-même et d’être en avance par rapport à tout le monde. Il faut lire, lire et lire encore, et éviter à tout prix le copier-coller. La raison d’être d’un bon consultant est d’apporter sa propre vision, résultat des connaissances existantes, mais augmentées de sa propre analyse. Prenez l’intelligence artificielle, le pire est de répéter ce qu’on lit dans la presse. Non, le consultant en stratégie doit savoir dire en quoi l’IA change son client et son métier. Le défi est là : dans la capacité d’absorption de tous les éléments disponibles sur un sujet donné et leur traitement en quelque chose de plus intelligible et plus pertinent pour le client.

Concrètement, comment faites-vous pour y arriver ?

Je lis énormément d’articles. Je bombarde les équipes d’articles, de bonnes analyses que je grappille ici et là.

Où précisément ?

The Economist, Foreign Affairs… Je choisis toujours quelques sources qui me semblent les plus pertinentes et avec des analyses les plus solides sur le plus long terme. L’écueil est de n’avoir qu’un son de cloche dans ses lectures qui sont très polarisées et de se priver de toute une partie des faits. Aux États-Unis, par exemple, si vous n’êtes branchés qu’au New York Times, sans être branché au côté trumpiste du pays, vous allez passer à côté d’une grande partie des choses. En France, ceux qui lisent Le Point ou Les Échos doivent aussi s’astreindre à lire Libé !

En quatre décennies d’exercice du métier, y a-t-il des missions qui vous ont particulièrement marqué ?

J’ai plusieurs missions préférées, bien sûr. Pour commencer, déjà, j’applique un principe immuable : je passe toujours 50 % de tout mon temps avec un nouveau client la première année de notre collaboration. Cela dit, mon travail sur le sujet de l’approvisionnement en uranium en France m’a particulièrement intéressé dans la mesure où il est pluriel. Il recouvre des enjeux géostratégiques, économiques, techniques et politiques.

Vous disiez que le bon consultant en stratégie doit être tout entier attelé à sa tâche de s’informer, de faire émerger une connaissance pointue et différenciante, cela lui laisse-t-il le temps de manager les équipes avec lesquelles il travaille ?

Un bon manager ne fera pas forcément un bon consultant en stratégie, c’est vrai. Ne pas faire comme tout le monde et chercher à apporter une réelle créativité à ses clients implique parfois de ne pas être des plus organisés du point de vue des ressources humaines. Il faut chercher les meilleurs équilibres.

Du point de vue humain, de quelles qualités faut-il faire montre pour espérer faire son trou ?

Le conseil est un métier de confiance, ce qui, comme chacun sait, ne se décrète pas. Un consultant en stratégie doit inspirer confiance et doit avoir énormément confiance en soi. En comex, avec des gens qui ont 20 ans de plus que vous, il n’est pas possible de se cacher derrière son petit doigt. Cette confiance se construit.

De quelle manière ?

En se forgeant des convictions : vous n’aurez pas envie de vous confier aux soins d’un chirurgien qui hésitera à poser son diagnostic. Un client fera de même avec un consultant incertain. C’est une juste posture à trouver, en évitant les deux extrêmes : celui du pleaser et celui du professeur. Le pleaser dit ce que le client a envie d’entendre. Le professeur lui fait la leçon. La juste ligne est de convaincre votre client avec des arguments forts et travaillés qui reposent sur trois éléments : les écritures, ce sont les savoirs fondamentaux ; les paraboles, ce sont les histoires, les cas concrets et les miracles, ce sont les résultats.

Le conseil en stratégie est connu pour ses durs horaires. Comment fait-on pour tenir le coup et pour ne pas claquer la porte ?

C’est un métier de service qui n’est pas plus compliqué qu’un autre métier de service. On ne doit pas être l’esclave de ses clients, on ne doit pas être l’esclave de ses supérieurs. Si vous êtes efficace, vous ne le serez pas. Si vous ramez, il ne faut pas compenser par un surcroît de besogne. Ce n’est pas un métier de besogneux : ceux qui dérapent sont ceux qui veulent compenser. La passion et le plaisir doivent rester au cœur et c’est ce que le client retient. Si vous prenez plaisir à ce que vous faites, le client prendra plaisir à travailler avec vous.

Est-ce un métier que l’on choisit pour faire fortune ?

Non, dans ce cas, faites du trading. Le conseil en stratégie n’a pas l’argent pour premier driver.

Vous avez créé votre propre cabinet : recommandez-vous de faire de même ?

Absolument, mais le parcours est semé d’embûches ! C’est un marathon avec beaucoup de sprints. Le prérequis est d’avoir des éléments nouveaux à apporter. Sinon rien ne sert de se lancer.

à lire aussi

Corporate Value Associates Paul-André Rabate
Benjamin Polle
24 Jul. 2023 à 18:00
tuyau

Un tuyau intéressant à partager ?

Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !

écrivez en direct à la rédaction !

commentaires (1)

Francois M
25 Jul 2023 à 09:08
Excellent et si vrai ;-)

citer

signaler

1024 caractère(s) restant(s).

signaler le commentaire

1024 caractère(s) restant(s).
10 + 5 =

France

  • Enquête : plongée dans la clientèle de McKinsey en France
    03/12/24

    C’est l’un des secrets les mieux gardés par tout cabinet de conseil, a fortiori par McKinsey… Identité des grands groupes conseillés par le cabinet de conseil, clients faisant les belles heures du bureau parisien : Consultor lève le voile. 

  • McKinsey France : nouveau départ chez QuantumBlack qui ne conserve que deux associés
    27/11/24

    Le principal intéressé l’annonce lui-même : dès la fin du mois de novembre, Mickael Brossard ne fera plus partie de McKinsey ni de QuantumBlack, l'entité dédiée à l’IA, la data et l'informatique quantique. 

  • BCG : Guillaume Charlin sur le départ
    18/11/24

    L’un des ténors du BCG en France, Guillaume Charlin, 54 ans, patron du bureau de Paris entre 2018 et 2022, serait en passe de quitter le cabinet.

  • Alerte rouge : la com de crise au secours des cabinets de conseil
    15/11/24

    Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.

  • Un partner d’Oliver Wyman se lance à son compte
    15/11/24

    Le partner Retail/Consumer Goods d’Oliver Wyman, Julien Hereng, 49 ans, a quitté tout récemment la firme pour créer son propre cabinet de conseil en stratégie et transformation, spécialisé dans les secteurs Consumer Goods, Luxe et Retail, comme il le confirme à Consultor.

  • Missions strat’ ESG : go ou no go ?
    13/11/24

     À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa. 

  • Tir groupé pour le partnership français du BCG qui s’enrichit de 5 associés
    11/11/24

    Si Arnaud Bassoulet, Florent Berthod, Sophie Gebel et Marion Graizon ont toutes et tous rejoint le BCG il y a plus de six ans… parfois plus de dix, Lionel Corre est un nouveau venu ou presque (bientôt trois ans), ancien fonctionnaire venu de la Direction du Trésor.

  • Trois promotions et un transfert : 4 nouveaux partners pour McKinsey en France
    08/11/24

    Trois des heureux élus sont en effet issus des effectifs hexagonaux de la Firme : Jean-Marie Becquaert sur les services financiers, Antonin Conrath pour le Consumer, et Stéphane Bouvet, pilote d’Orphoz. Quant à Cassandre Danoux, déjà partner Stratégie & Corporate Finance, elle arrive du bureau de Londres.

  • Le partnership français de McKinsey perd 7 associés en 2 mois
    30/10/24

    L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.

Adeline
France
cva, Paul andre rabate, managing partner, interview, corporate value associates
12996
Corporate Value Associates
Paul-André Rabate
2023-07-25 08:56:49
1
Non
France: « Ne lisez pas que Les Échos ou Le Point, mais a
à la une / articles / « Ne lisez pas que Les Échos ou Le Point, mais aussi Libé ! »