Les conseils d’un mentor pour réussir dans le métier du conseil en stratégie
Hanna Moukanas a plus de trente ans de responsabilités à son actif, tant en France qu’au niveau mondial. Il est l’un des quatre fondateurs de MID, une société française de conseil en stratégie rachetée par Oliver Wyman en 1995, qu’il n’a plus quittée. Il a dirigé les practices et capabilities transverses mondiales à partir de Boston, et dirige actuellement le bureau de Paris.
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Aujourd’hui, Hanna Moukanas accompagne des conseils d’administration, PDG et équipes dirigeantes sur des sujets de transformations stratégiques et organisationnelles complexes. L’écouter, c’est déjà beaucoup apprendre du métier.
1. Ne pas tomber amoureux de la maladie mais du patient
Lors des séances de mentoring qu’il prodigue, Hanna Moukanas a coutume de dire que « la première chose importante que doit intégrer un consultant, c’est de ne pas tomber amoureux de la maladie mais du patient ». Comprenez : de même que le médecin n’est pas là uniquement pour s’attaquer à des maladies, mais pour soigner des patients, le consultant ne doit pas se laisser étourdir pas la résolution de problèmes, mais bien rester focalisé sur les clients. Un point de vigilance majeur, selon expérience : « Souvent on entre dans le conseil en stratégie parce qu’on aime cracker des problèmes. Et certains réalisent trop tard qu’ils n’ont pas suffisamment investi dans les relations humaines pour progresser dans leur carrière. » Hanna Moukanas, lui, en trente ans de carrière, s’étonne agréablement de ne pas avoir plus de quinze clients. Auxquels il est resté fidèle, qu’il a fait grandir autant qu’ils l’ont fait grandir.
2. Agir comme si on allait rester trente ans
« Même si on pense rester deux ou trois ans dans le conseil, il faut agir comme si on était là pour trente ans », Hanna Moukanas est convaincu que la construction d’une carrière se pense dans la durée, plutôt que dans la précipitation. L’objectif n’est pas d’accumuler des expériences dans des dizaines d’industries, mais de voir plus loin que la seule quête d’actions et d’efficacité. « Si vous connaissez la méthode DISC (dominance, influence, stabilité, conformité, la méthode DISC détermine le type psychologique d’un sujet selon quatre couleurs, NDLR), je dirais qu’il y a trop de bleu (conformité, NDLR) et de rouge (dominance, NDLR) chez les consultants. Or les profils les plus impactants et performants sont ceux qui sont les plus équilibrés entre les quatre dimensions. »
3. Apprendre à conter (et pas uniquement à compter)
Les chiffres, les données factuelles, les informations sont à la portée de tous. Ce qui fait la différence, c’est la capacité à les exploiter : « Aujourd’hui, tout le knowledge est accessible, le capital intellectuel est très organisé, mais les consultants doivent faire l’effort de synthèse. Il ne suffit pas de collectionner des slides, il faut raconter une histoire. Cela veut dire y penser, écrire un script avec une accroche, une progression, un pic, une fin… », explique le mentor. Pour lui, le consultant est un « conteur d’histoires » : « On ne se rend pas compte à quel point l’impact auprès d’un client dépend de la préparation qu’on aura consacrée à raconter et documenter son histoire. Avant d’arriver chez le client, on doit d’abord se demander quelle histoire on va conter. Les slides suivront. Et non l’inverse. »
4. Viser la pole position (toujours)
« Ce métier c’est de la Formule 1, prévient Hanna Moukanas. Si vous êtes en pole position, mais qu’après trois tours vous levez le pied, ça se voit très vite ! » Le secret pour réussir, c’est « la curiosité intellectuelle, l’envie d’aller plus loin, de gagner et de faire gagner les clients avec nous. C’est très exigeant, comme la F1. Et comme pour la F1, il faut être passionné. »
Le compteur de performance démarre tout de suite, dès la première réunion d’équipe : « On n’attend pas qu’une mission se termine pour faire le point sur le travail d’un consultant. On est évalué en permanence. Il y a les feed-back avec les managers pendant les missions, les interactions avec les clients… Tout au long du parcours, on accumule des points. Chez Oliver Wyman, en particulier, nous avons une grille d’évaluation sophistiquée qui permet aux consultants de savoir précisément ce qu’on attend d’eux et sur quels points ils doivent progresser au cours d’un projet. Si vous attendez la fin pour bien faire, ce sera trop tard. »
5. Sauvegarder 20 % du temps pour la vie personnelle
Pour durer, il faut apprendre à gérer son temps de travail. Sinon, c’est le risque de burn-out : « Si on donne trop à manger aux poissons rouges, ils meurent », rappelle Hanna Moukanas qui aime employer des analogies pour se faire comprendre. « On travaille tant qu’on veut, beaucoup, mais il est tout aussi important aussi d’être fier de sa vie familiale, culturelle, sportive. » Pour y arriver, le maître mot, c’est la discipline : être strict avec soi-même sur ce qu’il y a à faire et la quantité de temps qu’on va y consacrer. Et tenter tant bien que mal de respecter la règle des 80/20 : 80 % de travail, 20 % pour soi. « Le perfectionnisme dans le métier c’est une qualité, mais aussi notre pire ennemi. Parce qu’on n’a jamais fini de cracker un problème ! »
6. D’abord, se bâtir une expérience multicarte…
Au départ, l’idéal est de faire le plus possible de missions, cela permet de tester ce qu’on aime et là où on est bon. « Les deux ou trois premières années, le staffing va s’assurer qu’on travaille les différents compartiments de jeu des consultants. » Le conseil du mentor est de multiplier au maximum les expériences, les pays, pour se faire un parcours à la carte : « Je dis souvent aux jeunes de profiter de la dimension mondiale d’Oliver Wyman. Et même si la crise du covid-19 va probablement avoir un impact durable sur les voyages, cela n’empêche pas de travailler sur des projets à l’étranger. Les outils de visioconférences font leurs preuves. »
7. … ensuite, se spécialiser
Après la phase de découverte, Oliver Wyman demande à ses consultants de choisir, au moins, un secteur et un sujet de prédilection : « Nous aimons l’idée que nos collaborateurs construisent leur propre carrière. Il faut voir notre métier comme un sablier : au départ on ne sait rien sur rien. Et, au fil des années, on se spécialise. On devient plus pertinent, on gagne en confiance avec les clients. L’avantage de choisir un sujet (la supply chain, par exemple), c’est de permettre de passer d’une industrie à une autre. Si vous croisez à la fois une spécialité de secteur et de sujet, alors vous pouvez potentiellement intervenir pour beaucoup d’industries et sur des problématiques diverses ! »
8. Naviguer dans l’inconnu
Certains sujets sont très codifiés, techniques. Pour eux, on peut utiliser des recettes « prêtes à l’emploi », puiser dans des expériences similaires et appliquer les remèdes qui marchent. Mais parfois, il n’y a pas de référentiel : « Dans ce cas, il faut être très créatif. Et savoir rassurer le client sur notre capacité à trouver des solutions… même si nous ne les avons pas encore. Certains consultants adorent cet exercice qui fait monter l’adrénaline. D’autres ne sont pas du tout à l’aise, se sentent comme des imposteurs dans ce genre de situation. Il faut travailler encore plus dur, en déséquilibre. »
9. Faire du business development et du pro bono entre deux missions
Quand on est on the bench, on ne reste pas les bras croisés : « Dans les intermissions, faites du business development pour le cabinet. Mettez-vous dans une équipe qui construit des propositions commerciales pour démarcher des clients. C’est important d’être exposé dès tout jeune à la démarche commerciale », recommande le partner.
On peut aussi travailler à la création de contenu. Ou encore se lancer dans un projet pro bono, qui apporte beaucoup de sens à la pratique du métier.
10. Élargir, entretenir, faire vivre son réseau
Pour se démarquer, c’est simple, il faut bien gérer son réseau de connaissances : « Le networking fait partie du toolkit du consultant », assène Hanna Moukanas. Construire des réseaux entre consultants, avec des clients, des associations professionnelles… « Au cours des missions, vous êtes amené à parler à beaucoup de monde, vous interrogez des experts… Chaque fois, c’est une nouvelle carte de visite. Mais la saisir dans son logiciel de contacts ne suffit pas. Un réseau qui n’est pas entretenu, nettoyé, mis à jour, meurt. Il ne vaut plus rien. » À Noël, Hanna Moukanas envoie 200 à 300 cartes écrites à la main ou envoyées de manière digitale, mais avec une règle, toutes sont personnalisées : « Fixez-vous l’objectif de passer 20 % de votre temps à travailler votre réseau. Si vous n’y arrivez pas, ce n’est pas grave, ce qui compte c’est de penser à ces 20 %. C’est en travaillant votre réseau que vous serez visible. »
11. Créer des ponts entre les clients et penser au capital humain
Le réseau a une autre vertu : permettre de créer des liens entre des clients, jeter des ponts entre des personnes qui ne se parleraient pas sans votre intervention. « La capacité à mettre en relation est une des qualités notables du consultant. Les clients adorent qu’on leur apporte des idées, de nouvelles relations. J’invite à rendre des services à son réseau sans que ce soit directement pour son travail. Proposez d’aider, jouez le partenaire. Vous serez crédité de la confiance de l’autre. » Travailler son réseau c’est être en contact, mais aussi – surtout – dans l’écoute. « Malheureusement, souvent les consultants passent d’une mission à une autre et oublient le capital humain. Pourtant, il est primordial de l’entretenir. » Et si ça ne rentre pas directement dans le champ de vos missions, vous savez maintenant que cela fait entièrement partie du métier. Si vous souhaitez y grandir vite et bien.
Delphine Sabattier, pour Consultor.fr
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