Le grade de principal : entre antichambre et cul-de-sac
En juin, lors de l’une de ses réunions biannuelles, cette fois-ci à Los Angeles, les 120 associés de L.E.K. dans le monde ont décidé de mettre sur pied un nouveau comité interne. Nom de code : Partner development Committee. « Le virage de principal à partner était un peu négligé », explique Rémy Ossmann, qui est l’un des six associés à rejoindre ce comité interne.
Ce comité aura pour mission de garder un contact régulier avec les principals du cabinet – 35 globalement à l’heure actuelle – et de favoriser une transition aussi souple que possible vers le partnership. C’est l’une des mille et une façons qu’ont les cabinets d’encadrer ce dernier échelon, jugé particulièrement charnière et exigeant.
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Et pour cause, c’est à partir de ce moment qu’un consultant est censé débuter le développement d’un portefeuille de clients. En théorie, en bonne intelligence avec les associés qui délèguent une partie de leurs propres clients aux nouveaux principals, en leur confiant la charge de la faire croître.
De manière récurrente, ce passage dans la pyramide des consultants en stratégie fait l’objet d’un training et d’un mentorat. C’est-à-dire que le principal est suivi par un partner avec qui il définit les missions et les clients sur lesquels il sera amené à travailler. Avec en ligne de mire, la promesse d’un passage rapide au grade de partner et une entrée au capital du cabinet.
Un pré-partner salarié
Au BCG, par exemple, il faut compter quatre années au grade de principal, en se spécialisant progressivement sur un domaine d’expertise du cabinet (les paiements, l’IT, les risques…). Ce qui est vrai dans la plupart des pyramides hiérarchiques où la case « principal » figure quasi systématiquement, hormis quelques exceptions comme chez Simon-Kucher.
« Le principal est la personne la plus importante pour chacun des projets que nous vendons puisqu’il joue un rôle de chef de projet vis-à-vis du client. Il s’assure que le projet avance en coordonnant les consultants impliqués, mais aussi les différents partners sollicités. Il incarne la crédibilité du projet », selon Hanna Moukanas, le patron du bureau de Paris d’Oliver Wyman.
Mieux, « le grade de principal est un sas dans lequel on entre si on a un avenir dans ce métier ; c’est le moment où on prend la décision de consacrer sa vie au conseil en stratégie, ou non ». Chez les ex-OC&C qui ont rejoint Parthenon-EY voilà un an, le grade de principal a été remplacé par associate partner – comme chez Roland Berger à la fin des années 1990 avant que le cabinet européen n’adopte à son tour l’appellation de principal.
« On devient associate partner entre 33 et 36 ans. Cette étiquette est plus claire : à ce stade, la personne est un “partner in training”. C’est-à-dire qu’elle conserve un mode de rémunération salarié, mais a des activités quasi similaires à celles d’un partner », explique Bruno Bousquié, ancien d’OC&C et managing partner chez Parthenon-EY.
À la différence près que l’associate partner ne peut pas engager la société, comme le fait le partner, au moment de la signature des missions avec les clients, et rend compte à un partner référent avec qui la base commerciale de l’associate partner est affinée. Un pré-partner salarié en quelque sorte.
Un statut hybride ou bâtard
Un statut hybride ou bâtard, selon le qualificatif qu’on veut retenir, qui a plusieurs avantages selon un ancien principal de Roland Berger au début des années 2000, qui a depuis quitté le conseil en stratégie et souhaite conserver l’anonymat. « Faire entrer quelqu’un dans le partnership n’est jamais une décision facile : le grade de principal est un bon test pour voir si la mayonnaise interpersonnelle prend, pour faire le tri entre ceux que le partnership n’a pas envie de promouvoir et ceux qui n’ont finalement pas envie d’être promus. Tout particulièrement des femmes qui peuvent renoncer devant la charge de travail, profondément contradictoire avec la vie personnelle. Puis cela crée de la gratification dans un secteur qui est très avide de promotions rapides », raconte ce dirigeant d’entreprise.
Comme chez Bain, qui a créé le grade quelques années en arrière pour au moins deux raisons de ressources humaines internes. « Des managers trouvaient leur titre insuffisamment gratifiant. Et là où en moyenne on change de grade tous les dix-huit mois dans le conseil en stratégie, il y avait un tunnel de trois ou quatre ans de manager à associé », explique Olivier Marchal, le chairman de Bain & Company France. Idem chez L.E.K. où ce grade existe depuis moins de 10 ans : « On constait un essoufflement. Le grade de principal a été créé en signe d’encouragement », dit Rémy Ossmann.
Puis vient le « jour où l’associate est autoporteur et peut rentrer au capital du cabinet », selon Bruno Bousquié. Comprendre : le jour où l’associate partner produit le chiffre d’affaires minimum annuel attendu d’un associé. Et à condition aussi d’avoir su ménager les associés en place qui peuvent voir les nouveaux entrants plutôt comme des menaces que comme des opportunités.
Savoir ménager les associés
« Un principal qui génère trop de frictions avec les associés rend son élection impossible », détaille Rémy Ossmann. Ce sera d’ailleurs un des objectifs du comité interne de L.E.K. que de « débugger des fins de missions difficiles où des feedbacks négatifs de partners sur certains principals peuvent remonter ». Un comité « médiateur » ou « garde-fou » pour éviter que des principals ne trébuchent sur la dernière marche pour de mauvaises raisons.
Ce qui n’arrive que dans une minorité de cas. D’autant plus que souvent les associés voient d’un bon œil la spécialisation de principals dans leur domaine, ce qui leur ouvre dans le même temps les portes d’un siège d’associé senior. Le passage de principal à associé se ferait donc dans 90 % des cas, selon Bruno Bousquié.
Car les managers dont le potentiel est jugé insuffisant ont souvent déjà quitté le navire, parfois avec l’aide du cabinet pour se recaser chez certains clients. Quant à ceux qui n’ont pas de qualités managériales ou commerciales, ils peuvent être orientés vers des directions de recherches ou d’expertises, et donc sortir aussi de la course au partnership.
L’hyper sélection propre au conseil en stratégie remplirait donc bien son office. Et le grade de principal ne ferait pas exception. Sauf que le chiffre de 90 % ne s’applique pas à toutes les sociétés. Il est de 60 à 80% chez L.E.K. Le CEO d’Advention, Alban Neveux, estime à 50 % les principals qui gravissent la dernière marche. Même estimation du côté d’un ancien principal de McKinsey Paris pour qui entre 40 à 50 % des principals passent partners.
Principal n'équivaut pas partner
Quid des autres ? Trois raisons au moins à un taux d’écrémage sans doute plus important qu’à d’autres changements d’étages de la pyramide. Primo : principal n’équivaut pas de manière automatique à celui de partner. « Je ne suis pas d’accord pour dire que principal est égal à partner. Le passage au grade de principal sanctionne un potentiel. Après il faut savoir se réinventer, ce qu’un certain nombre de personnes n’arrivent pas à faire », explique Olivier Marchal.
Deuxio, le grade de principal a ses caractéristiques propres. Il faut y montrer sa capacité à devenir le taulier et assumer une charge de travail complexe. Au BCG, c’est la première fois que les consultants se retrouvent à devoir gérer plusieurs cas de front. A fortori, les principals sont facturés de 10 à 20% plus chers que les project leaders (managers au BCG).
Tertio, le grade de principal peut parfois servir de station de complaisance ou de fourre-tout notamment pour des profils experts précieux, mais dont on sait qu’ils ne pourront pas monter plus haut. Ce que confirme l’ancien principal de Roland Berger qui n’a, lui, pas passé le cap de l’actionnariat, car il souhaitait prendre la direction d’une entreprise.
« Il n’est pas rare de voir des profils coincés à ce grade pendant des années, au service d’un partner, par exemple des anciens de l’industrie très forts sur un secteur, mais qui n’ont pas les compétences managériales ou commerciales. » « Beaucoup de principals ont été promus sans aucune expérience commerciale, pour bons et loyaux services en quelque sorte. A fortiori ils n’ont pas la culture du réseau et pensent que tout le commercial peut se faire par LinkedIn », résume un ancien d’AlixPartners. Ou comme dit l’ancien de Roland Berger : « Principal, cela peut devenir un bâton de maréchal honorifique pour des aspirants maréchaux qui ne le deviendront pas ».
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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