Chef d’état-major puis consultant : interview de Pierre de Villiers sur sa collaboration avec le BCG

 

Presque deux ans après avoir quitté ses fonctions de chef d’état-major des armées (CEMA), Pierre de Villiers est aussi consultant en stratégie à son compte, dans un cabinet qu’il a fondé et qui porte son nom, et pour le Boston Consulting Group (BCG) en tant que senior advisor une journée par semaine.

Une nouvelle manière de servir pour ce saint-cyrien et militaire de carrière. Dans une interview accordée à Consultor, il explique les raisons de ce choix « fortuit » et le sens qu’il espère apporter aux entreprises dans lesquelles il intervient.

24 Avr. 2019 à 15:04
Chef d’état-major puis consultant : interview de Pierre de Villiers sur sa collaboration avec le BCG

 

10 heures pétantes, vendredi 19 avril boulevard Sébastopol à Paris. L’ancien chef d’état-major des armées arrive à la minute près dans les locaux de l’agence de communication qui gère ses relations publiques depuis qu’il a quitté ses fonctions avec pertes et fracas dans un épisode public et rare de différend avec le président de la République sur le budget des armées.

Presque deux ans donc. Depuis, Pierre de Villiers a une vie littéraire effervescente avec deux livres à son actif. Servir qui raconte une vie consacrée à l’armée française et plus récemment Qu’est-ce qu’un chef ? sur les figures de l’autorité qui manqueraient à la société française pour aller de l’avant. Le succès de librairie ne se dément pas et l’agenda ne désemplit pas.

Dans cette nouvelle vie d’écrivain et de conférencier, une bizarrerie avait pourtant mis la puce à l’oreille de Consultor quelques mois après que le CEMA avait démissionné : le conseil en stratégie. Pierre de Villiers consultant du BCG ? Un an après son intronisation comme senior advisor du cabinet, Consultor l’a rencontré.

Consultor : mercredi 17 avril, le général Jean-Louis Georgelin a été choisi par le gouvernement comme représentant spécial du chantier de reconstruction de Notre-Dame. Cela témoigne-t-il d’un savoir-faire spécifique de l’armée qui n’existerait pas ailleurs dans la société ?

Pierre de Villiers (P. d. V.) : La nomination d’un ancien CEMA (Jean-Louis Georgelin a occupé ces fonctions de 2006 à 2010, NDLR) est une forme de reconnaissance de l’institution militaire. L’armée est un laboratoire pour notre nation, en particulier pour notre jeunesse. Elle montre qu’il est possible de vivre ensemble, voire d’aller jusqu’à se sacrifier collectivement pour la défense de la France et des Français. On décrit Jean-Louis Georgelin comme un homme d’autorité. Il l’est. L’autorité, c’est l’art de faire croître et grandir. Jean-Louis Georgelin a toujours su faire confiance à ses équipes et à ses subordonnés.

Jean-Louis Georgelin est emblématique de ce que vous faites depuis juillet 2017 : diffuser dans la société plus largement les valeurs acquises pendant quarante-trois ans au sein de l’armée. D’abord auprès des jeunes puis rapidement auprès des entreprises en tant que consultant. Comment cette seconde idée vous est-elle venue ?

P. d. V. : La jeunesse était pour moi une évidence, parce que 50 % des effectifs de l’armée ont moins de 30 ans et qu’elle est l’avenir de notre société, des diplômés aux non-diplômés, des quartiers favorisés aux quartiers sensibles. L’entreprise, ensuite. Je l’ai toujours côtoyée à l’armée. En tant que CEMA, j’organisais des déjeuners avec des chefs d’entreprise. L’armée n’est pas une entreprise comme les autres, mais nous avons pour point commun de gérer un groupe de personnes vers un objectif unique. Sur ce plan, les armées se sont beaucoup transformées ces vingt dernières années. Nous avons vécu ce que vivent les entreprises : « Pendant les travaux, la vente continue ! » Tout en supprimant 50 000 postes, nous avons conduit des opérations extérieures très complexes. L’armée, du point de vue du savoir-faire, de l’organisation, des processus, de mises en synergie des personnes au service d’un bien commun, a des choses à apporter à l’entreprise. La preuve : les nombreuses sollicitations que je reçois des PME comme des grands groupes.

Comment avez-vous « rencontré » le BCG ?

P. d. V. : C’est une rencontre fortuite intervenue via une relation commune entre François Dalens, qui est un patriote et aime l’armée, et moi-même. François Dalens m’a contacté pour que nous nous rencontrions.

Connaissiez-vous ces grands cabinets de conseil en stratégie avant de rejoindre les équipes de l’un d’entre eux ?

P. d. V. : Non, je n’avais pas eu l’occasion de travailler avec eux pour la simple raison qu’ils ne sont pas les plus compétitifs sur la majorité des marchés publics. Je suis allé au BCG avec ouverture d’esprit et la conviction que je pourrais y apporter quelque chose, une vision humaniste tout particulièrement. S’ils sont venus me chercher, c’est qu’ils partagent cette vision.

Pourtant, les consultants en stratégie ne sont pas nécessairement connus pour leur humanisme quand il leur incombe de trancher de douloureux dilemmes d’entreprises… L’humilité, que vous appelez de vos vœux comme l’une des valeurs cardinales de la société française, y a-t-elle sa place ?

P. d. V. : Au BCG, je n’ai pas découvert une « armée de clones » chargés de faire du business plan au kilomètre. Mais des personnes très humaines, réceptives à mon discours et qui le mettent en œuvre dans les groupes du CAC 40. L’objectif est que chaque personne de l’entreprise se sente connue et reconnue. Le BCG m’apporte des outils de compréhension et d’analyse des groupes du CAC 40 ; je pousse des valeurs humaines dans leurs méthodologies. Voilà comment fonctionne notre collaboration un jour par semaine en moyenne.

La limitez-vous à des groupes français ?

P. d. V. : Je ne déroge pas à mon credo  : remettre l’homme au centre des groupes français du CAC 40. D’autant que j’aime la langue française. L’anglais, c’est bien, mais nous devons aussi entretenir et développer la langue française. Il faut que ces groupes retrouvent le génie français. Je crois au génie français, non pas parce que je suis un patriote ou par nostalgie du passé. Je suis pour la nostalgie créatrice qui permet de mettre en œuvre la phrase de Saint-Exupéry : « Il ne suffit pas de prévoir l’avenir, il faut le permettre ». Dans ce sens-là, je suis un entrepreneur. J’aime mon pays et développer les forces économiques, financières et humaines est une autre façon de le servir.

Un an après, pensez-vous avoir tenu ce pari ?

P. d. V. : Le bilan est bon. Nous sommes dans un cabinet de stratégie, nous ne sommes pas dans le quotidien des entreprises pour y prendre des décisions de gestion de crise. Je travaille avec le bureau français sur un point précis : la transformation des organisations et en particulier l’adhésion vis-à-vis des grands changements qui s’accentuent et s’accumulent.

J’interviens au BCG sur le contexte géopolitique d’un monde qui n'est ni en paix ni en guerre, sur la menace djihadiste, sur le changement climatique ou la migration massive. Également sur le temps qui presse et stresse ; les ruptures technologiques qui conditionnent la vie des entreprises au présent et au futur ; l’éloignement du pouvoir, c’est-à-dire le creusement du fossé entre ceux qui décident et ceux qui exécutent, dont les « Gilets jaunes » sont une illustration.

Aux entreprises qui vous interrogent sur ces sujets, que répondez-vous ?

P. d. V. : Qu’il est plus difficile de diriger une entreprise aujourd’hui qu’il y a dix ans ; je l’ai pour ma part vécu au sommet de l’armée. Je leur livre aussi quelques clés pour faciliter l’adhésion à ces grands changements. Celle-ci démarre avec la confiance, se poursuit avec l’autorité et s’achève dans la stratégie. Il faut à tout prix sortir du temps court, mettre fin au billard à trois bandes et aux éléments de communication sans aucune franchise.

Humanisme et business, n’est-ce pas une contradiction fondamentalement irréconciliable ?

P. d. V. : Je ne crois pas à la mondialisation heureuse, je pense même qu’elle est devenue inhumaine. Mais je ne nie pas la réalité : la mondialisation s’impose. En rejoignant le BCG, je souhaitais aussi en être un acteur de l’intérieur. Pour y porter un message simple : certes le marché des affaires peut être cruel, mais il doit retrouver son humanité. La performance économique et financière doit être compatible avec le bonheur et l’épanouissement des personnes qui travaillent au sein des organisations. Ces deux piliers doivent être la ligne stratégique de nos grands groupes dans les dix ans qui viennent. C’est ma conviction. Je pense apporter quelque chose en ce sens au sein du BCG, sinon je ne resterai pas.

Lorsque, comme vous, on a fait la guerre, se bagarrer pour des parts de marché et des pourcentages de PIB n’apparaît-il pas un peu vain ?

P. d. V. : Dans les opérations militaires d’aujourd’hui, on refait la guerre. Ce qui n’était plus le cas avant la chute du Mur de Berlin, qui avait un petit air de forteresse dans le désert des Tartares. On sait à nouveau ce qu’est la barbarie : le viol, le pillage, l’égorgement, la décapitation, tout cela à quelques heures de Paris et aujourd’hui, à l’heure où je vous parle. J’ai été aussi confronté à ce niveau de violence et cela permet, en effet, de prendre du recul. Ce recul, je peux l’apporter dans les prestations de conseil en stratégie auxquelles je collabore : par rapport au temps court, aux crises, aux difficultés considérées comme majeures… Je suis frappé par la pression qui pèse aujourd’hui sur les dirigeants. Une pression que, dans l’armée, nous sommes habitués à gérer. À la guerre, nous ne jouons pas avec des indicateurs économiques et financiers ou avec le taux de chômage, mais avec la mort et la blessure physique ou post-traumatique. Évidemment, cela nous aguerrit quand vient le moment de prendre des décisions difficiles.

Depuis les débuts du quinquennat de Nicolas Sarkozy, les cabinets de conseil en stratégie sont sollicités par les administrations publiques pour se réformer. Cela vous semble-t-il aller dans le bon sens ?

P. d. V. : Je vous le redis : entre 2008 et 2015, l’armée a supprimé 50 000 postes de fonctionnaires, c’est-à-dire 60 % du total de la suppression des postes de fonctionnaires au sein des services de l’État. Ce n’est pas rien. Je me suis fait aider par des experts venus de l’extérieur, car il est par instant indispensable d’avoir un regard neuf. Parfois, vis-à-vis de sa propre organisation, on n’a pas toujours les capacités sur l’art et la manière de la faire évoluer au mieux. Ce regard extérieur est nécessaire pour l’État, pour les entreprises et les grands groupes.

Du fait de vos anciennes responsabilités, y a-t-il eu des moments délicats à gérer dans la conduite de certaines missions de conseil ?

P. d. V. : Non, car j’ai veillé à mettre une cloison étanche entre mes activités antérieures et ce que je fais aujourd’hui. C’est simple, je ne traite avec aucun groupe de défense que ce soit dans le cadre des prestations que je fais avec ma propre société ou pour le BCG. Les règles sont claires. Je veux aller voir ailleurs, dans d’autres secteurs. C’est ce que je fais depuis deux ans. Je connaissais bien l’État, moins bien l’entreprise. Cela s’inverse très rapidement.

On vous prête une vocation nationale que vous avez poliment mais fermement déclinée. Est-ce toujours le cas ?

P. d. V. : J’ai une vocation nationale par mes activités de conseil en stratégie à tous les niveaux, par les livres que j’écris et les conférences que je donne. C’est ma façon de servir. Donc, pour être franc : non, je ne ferai pas de politique politicienne.

Propos recueillis par Benjamin Polle pour Consultor.fr

Boston Consulting Group François Dalens
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François Dalens
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