Automobile Club, Interallié, Le Siècle… : les clubs, un truc vieillot, mais encore utile
Si peu de partners souhaitent en parler, ils sont encore un certain nombre à les fréquenter – pour le haut lieu de réseautage qu’ils constituent encore.

« Le mec qui m’invite à l’Automobile Club, je me dis que c’est clairement un mec qui a raté un train », rigole un associé de cabinet parisien.
L’Automobile Club de France, le Siècle, le Cercle de l’Union Interalliée : ces clubs symbolisent encore la socialisation des élites politiques et économiques françaises Ils sont cependant vieillissants : leurs conseils d’administration sont constitués majoritairement d’hommes d’une moyenne d’âge supérieure à 50 ou 60 ans.
Ces organisations s’avèrent de moins en moins attrayantes pour les hauts cadres, qui leur préfèrent des lieux jugés plus récents, aux codes moins rigides, et à l’adhésion souvent plus aisée (bien que toujours coûteuse), tels que le Saint James ou encore le club we are_ (plutôt à destination des industries culturelles et digitales). Les clubs de sport ne sont pas en reste, comme le Lagardere Racing – qui lui en revanche n’a rien de récent : « C’est juste un club de sport très cher, constate un autre associé, et ça marche très bien. » L’adhésion coûterait environ 7000 euros, à laquelle s’ajoute la cotisation annuelle d’environ 2000 euros.
Les consultants ne font pas exception à cette dynamique, et notre premier associé anonyme renchérit, un brin narquois : « Les anciens clubs sont de plus en plus décalés avec l’époque. S’y rendre, je pense que ça équivaut quasiment à envoyer un anti-signal à ses clients et ses prospects. Le mec qui est invité trois fois par semaine à l’Automobile Club, c’est qu’il travaille dans la gériatrie. »
à lire aussi

Le partner vend, délivre, staffe, se fait noter et évaluer… Voire défend son pré carré commercial et chasse une part grandissante de rémunération variable.
Le crépuscule des clubs historiques arrive peut-être. Mais, pour l’instant, ils sont loin d’avoir disparu du paysage. Guillaume de Ranieri, associé de McKinsey, est toujours membre de l’Automobile Club, tout comme son collègue et senior partner Franck Laizet, ainsi que leur homologue de Roland Berger Christophe Angoulvant. Chez Roland Berger également, le senior advisor Jean-Michel Mangeot est membre de l’Interallié. Du côté du Siècle, on retrouve Olivier Marchal, président de Bain France, mais aussi Matthieu Courtecuisse, président du Syntec Conseil, ou encore Agnès Audier, senior advisor du BCG. À chaque club, ses possibilités. Au Siècle, les dîners mensuels permettent d’échanger sur un sujet prédéterminé avec un parterre de hauts fonctionnaires, dirigeants ou journalistes. L’Automobile Club et l’Interallié sont avant tout un endroit où l’on peut organiser petits-déjeuners et dîners.
Clubs et consultants retraités
Documenter ces pratiques de socialisation est ardu. Quelques chercheurs ont écrit sur les liens entre clubs et consultants en stratégie, mais souvent à titre d’exemples dans le cadre d’ouvrages plus généraux sur le conseil. Ainsi, dans son livre Sociologie du conseil en management, Michel Villette n’hésite pas à déclarer que « le conseil n’est pas un métier, mais une relation », dans laquelle les plus influents sont ceux disposant « d’un carnet d’adresses étendu et pertinent ». Selon lui, les clubs constituent donc l’un des nombreux moyens d’élargir ce carnet d’adresses.
Les principaux concernés considèrent-ils les clubs explicitement et avant tout comme des moyens de progresser professionnellement ? Les intéressés demeurent très réticents à en discuter. Contacté par nos soins, pour savoir s’il serait disposé à évoquer ses clubs de prédilection, un consultant nous a ainsi répondu avec véhémence : « Sûrement pas ! Je suis membre de ces cercles depuis 40 ans ! Je ne vais pas vous raconter ma vie, désolé !!! (sic) » La plupart des autres se sont référés aux codes internes des clubs, qui leur interdisent d’en parler. Lorsqu’ils ont accepté, c’est évidemment sous condition d’anonymat, et du bout des lèvres.
Vœu pieux de désintérêt
De fait, pourquoi donc s’intéresser aux fréquentations des associés ? Contactés, certains d’entre eux rejettent le sujet au rang de futilité, ou bien estiment qu’il ne s’agit que de leur vie privée. Or, comme le souligne involontairement un autre consultant, le cloisonnement entre vie mondaine ou privée et vie professionnelle est loin d’être étanche. Et ce, bien que la plupart des associés se défendent de réseauter lors des soirées, déjeuners ou autres réjouissances.
Dans une même discussion, nous pouvons donc entendre que participer à un club, on ne le fait que pour les rencontres, « à titre personnel », sans représenter son cabinet : « Ce n’est pas un endroit où l’on vient pour faire du business. »
Un réseautage trop maladroit serait effectivement risqué : « Les gens qui font trop d’entrisme, je ne pense pas qu’on leur confirme leur statut de membre. Ce n’est pas l’esprit du tout. »
Cinq minutes plus tard, toutefois, ce même consultant regrette que ses collègues soient « trop peu investis dans ce type d’activités ». Et de conclure : « C’est bien de positionner le cabinet. Et puis, c’est l’opportunité de rencontrer des gens qui peuvent être utiles pour le business. »
Car si l’associé fonde sa légitimité dans le savoir-faire qu’il détient, ce sont bien d’abord ses relations qui lui permettent de travailler.
Ce que le sociologue Michel Villette résume ainsi : « Pour conseiller, il faut être demandé, et pour être demandé, il faut être connu : la relation est première. »
Et le club fournit donc à la fois un endroit et un prétexte pour de nouvelles rencontres professionnelles, même si l’on n’y parle pas directement affaires.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (1)
citer
signaler
Manuel de survie
- 26/09/23
C’est un peu leur chasse gardée. Le recrutement de leurs pairs est historiquement aux mains des consultants dans la plupart des cabinets de conseil en stratégie. Les ressources humaines, elles, n’ont pas (vraiment) voix au chapitre lors des entretiens. Oliver Wyman, Avencore et L.E.K. Consulting ont joué la carte de la transparence.
- 21/09/23
Plusieurs dirigeants de cabinets et consultants témoignent de l’accélération de l’automatisation de certaines tâches à faible valeur ajoutée. Conséquence, certaines missions sont arrêtées par des clients, et la question des recrutements se pose sur le moyen terme. Inversement, l’essor de l’IA pourrait redorer le blason du métier en l’allégeant de ses tâches les plus pénibles.
- 07/09/23
Un consultant augmenté. Tel serait l’avenir incontournable du métier dans l’ère IA qui est en train de se mettre en place. L’IA, un outil clef annoncé comme nécessaire pour une transformation réussie des entreprises clientes. Alors, les cabinets sont en train de se doter de ces compétences spécifiques et complexes, notamment via la formation de leurs consultants généralistes.
- 31/08/23
La Cour d’appel de Versailles a donné raison au cabinet Archery qui reproche à une ex-partner d’être intervenue auprès des mêmes clients, EDF en particulier, une fois partie chez Accenture. Pour des avocats et partners interrogés par Consultor, ce procès est surprenant tant « emmener ses clients avec soi » est un usage établi.
- 25/08/23
McKinsey met à la disposition de ses collaborateurs son propre outil d’IA générative, « Lilli », qui devrait accroître la productivité du cabinet.
- 01/08/23
Elles sont aujourd’hui surnommées le Davos français. Créées en 1992, les Rencontres économiques d’Aix, qui se déroulent historiquement début juillet, ont depuis quelques années gagné leurs lettres de noblesse. Six cabinets de conseil suivis par Consultor (Bain, Kéa, PMP Strategy, McKinsey, Accuracy et le BCG) étaient présents cette année, déplaçant des équipes conséquentes, et en premier lieu leurs chef(fe)s d’orchestre. Des rencontres où il fait bon d’être…
- 29/06/23
Le cabinet déploie depuis le 1er juin un programme d’accompagnement familial ouvert à tous les parents. Il comprend un congé parental élargi, des aides mensuelles pour la garde d’enfant, ainsi qu’un soutien accru aux personnes salariées du cabinet engagées dans des démarches de procréation médicalement assistée, d’adoption ou qui sont confrontées à une interruption de grossesse.
- 28/06/23
L’intelligence artificielle pourrait-elle remplacer les consultants ? La question a été posée par l’Observer à plusieurs associés de McKinsey, dont Alex Ingla, directeur de la branche IA du cabinet.
- 27/06/23
Il a fondé le cabinet Advancy avec Sébastien David il y a près de 25 ans. Éric de Bettignies, ingénieur des Mines, consultant chez Arthur Andersen et Kearney, a voulu faire de sa « boutique » un cabinet face aux mastodontes du secteur.