2,5 Mds€ en 3 ans : la Cour des comptes épingle les dépenses de conseil de l’État belge
Deloitte, le BCG, McKinsey : les cabinets de conseil sont bien installés dans les arcanes de l’État fédéral belge.
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Sur 3 ans, de 2020 à 2022, les ministères et régions (« entités fédérées »), provinces et organismes d’intérêt public, ont mobilisé 2,5 milliards d’euros pour des prestations intellectuelles – dont 492 millions dédiés au conseil hors IT (19 % des dépenses engagées).
De son côté, le conseil en stratégie, management et organisation a représenté 87,2 millions d’euros, soit 3,45 % des dépenses totales.
Pour réaliser ce rapport, la Cour des comptes belge a recueilli des données portant sur les prestations de conseil de 137 organisations fédérales.
Hors du champ IT, elle a examiné des missions « de réorganisation, de rédaction de processus, d’audits, d’accompagnement ou mise en place de projets, de conseil en gestion, d’aide au management et de coaching ou encore, d’évaluation de politiques publiques ou de projets spécifiques », ainsi que des prestations de conseil juridique.
Les principaux « consommateurs » de conseil externe
Toutes catégories de conseil confondues, plusieurs gros acheteurs publics se distinguent nettement. A commencer par l’opérateur public ferroviaire belge, la SNCB, en tête avec 465 millions d’euros dépensés entre 2020 et 2022. L'entreprise publique est suivie par Infrabel – le gestionnaire du réseau ferroviaire –, avec 318 millions d’euros.
Et la dynamique ne semble pas s’être ralentie : en 2024, selon Le Monde, la SNCB aurait encore consacré 160 millions d’euros au conseil externe.
Le BCG et McKinsey parmi les 15 prestataires les plus sollicités
La Cour des comptes a relevé les cabinets de conseil et autres entités ayant été le plus fréquemment mobilisés. En première position : Deloitte, qui concentre à lui seul un volume significatif de missions (hors IT), à raison d’une trentaine de millions d’euros.
Selon le rapport, 60 % de ses prestations relèvent du conseil en stratégie, management et organisation, et plus de 30 % ont été réalisées pour le ministère de la Santé publique belge, notamment durant la crise sanitaire.
Parmi les autres cabinets et prestataires les plus sollicités figurent deux purs stratèges, à savoir le BCG en 9e position, et McKinsey, 14e. Le BCG a été mobilisé pour un peu plus de 10 millions d’euros et McKinsey, pour 6 millions d’euros – dans le cadre de marchés publics ou « autres contrats ».
Si le BCG a bénéficié de nombreuses commandes publiques belges de 2020 à 2022, cela s’est poursuivi par la suite. En témoigne un avis d’attribution publié en juin 2025, qui porte sur un accord-cadre de 4 ans destiné à réaliser des analyses d’impact et des études de contexte stratégique. Le BCG en est le chef de file, aux côtés de Sia Partners et PwC, pour un montant maximal de 1,2 million d’euros.
À l’automne 2025, deux autres accords-cadres ont été conclus sur un périmètre très proche. En octobre, un contrat-cadre multi-attributaire de 4 millions d’euros sur 5 ans a été attribué au BCG, à Deloitte, Roland Berger et au cabinet belge SMA et Associés, habitué du conseil au secteur public de son pays. Il s'agit d’accompagner le département Strategy d’Infrabel.
Un mois plus tard, un autre avis d’attribution d’un montant similaire – 4 millions d’euros, également sur 5 ans – a été publié. Le marché porte sur la mise en œuvre du plan stratégique d’Infrabel et c'est le BCG qui a été choisi.
Bilan : un recours massif et « peu justifié » au conseil externe
Au-delà des montants, la Cour des comptes belge dresse un constat sévère : pour 78 % des dossiers examinés, la justification du recours à un cabinet externe apparaît comme lacunaire, voire absente.
Les administrations invoquent régulièrement « un manque d’expertise, des équipes sous-dimensionnées ou l’urgence du besoin », sans analyse préalable suffisante des alternatives internes. Quant aux études « coûts-avantages », elles sont quasi inexistantes et aucune « cartographie des compétences publiques » ne permet d’arbitrer entre internalisation ou externalisation.
L’État fédéral belge s’exposerait ainsi « à une dépendance durable à certains cabinets et à des risques de conflits d’intérêts », tout cela en l’absence « d’évaluation des résultats ».
Ce rapport fait écho à celui de « notre » Cour des comptes nationale. En juillet 2023, celle-ci mettait en lumière un triplement des achats de conseil hors informatique entre 2017 et 2021, après avoir déjà alerté à plusieurs reprises sur le même sujet. Elle dénonçait des « anomalies » dans le fait de confier des missions à des cabinets de conseil externe pour des tâches relevant du cœur de l’action publique.
À l’argument « de la rapidité » invoqué par les administrations françaises, la Cour des comptes opposait la nécessité de faire preuve de « discernement », estimant avoir constaté « que le souci d’aller vite conduisait, dans de nombreux cas, à passer commande de manière précipitée, au prix de pertes de temps ultérieures, de surcoûts et surtout d’écarts importants entre les attentes des ministères ou établissements publics commanditaires et les prestations livrées ».
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La Cour des comptes a rendu public lundi 10 juillet un rapport sur le recours par l’État aux prestations intellectuelles des cabinets de conseil. Il entérine un triplement des achats de conseil hors informatique entre 2017 et 2021, et appelle à mettre un terme à plusieurs « anomalies ». Parallèlement, mercredi, l’Assemblée nationale présentera en commission des lois le fruit de la brève mission qu’elle a également consacrée au sujet et devrait acter le report aux Calendes grecques d’une éventuelle loi sur le sujet.
Des recommandations largement convergentes
Face à ce constat partagé, les deux Cours des comptes préconisent des remèdes très similaires. Ainsi, l’entité belge recommande de définir « une stratégie fédérale claire » encadrant le recours au conseil externe, de rendre obligatoire « une analyse coûts-avantages » avant toute externalisation, de mettre en place « une cartographie des compétences internes » et d’évaluer systématiquement la qualité des prestations réalisées.
Un exemple extrait du rapport illustre bien les risques liés à l’absence de pilotage rigoureux des projets. Un marché « de consultance en organisation, initialement estimé à 1,8 million d’euros », a atteint, à la fin de son exécution, « plus de 47 millions d’euros ».
Affaire à suivre.
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