Quand les consultants ont la bougeotte
Certains consultants enchaînent trois, quatre ou cinq cabinets.
Dans le secteur du conseil en stratégie, les « move » ne sont pas rares. Ils font même partie intégrante de la progression de carrière. Mais certains consultants sont particulièrement cumulards.

Pourquoi bougent-ils autant ?
- Les appels du pied dans son réseau
C’est le cas, par exemple, de Daniel Feldmann, qui a passé sept années chez McKinsey (jusqu'au grade d'engagement manager) avant de rejoindre Roland Berger (jusqu'au grade de principal) pendant près de quatre ans, jusqu’en 2015 où il est parti pour Theano Advisors (où il est partner), « “dragué” par un ancien collaborateur ».
- L'envie de toucher au commercial
Si Daniel Feldmann a fait le choix de quitter McKinsey, c’est parce que le cabinet « est un endroit extraordinaire », selon lui, pour les métiers de conseil et de chef de projet, mais en termes de développement commercial, il est resté sur sa faim. « Chez McKinsey France à l'époque où j'y étais, les clients appellent grâce à la puissance de la marque. Le mot “vente” n’est jamais prononcé. Avoir créé un écosystème comme le leur, c’est formidable, mais si vous voulez apprendre, ne pas être simplement un “vendeur assis”, ce n’est pas le meilleur endroit. »
Direction Roland Berger donc, cabinet pour lequel un chasseur de têtes le contacte et où, explique Daniel Feldmann, « ils sont vraiment très bons sur la partie vente ».
- Quand la concurrence pousse vers de plus petits cabinets
D’autres raisons expliquent le changement régulier de postes dans le conseil en stratégie. Comme la très forte concurrence omniprésente dans les plus grandes maisons aux staffs pléthoriques : « Il y a une importante concurrence interindividuelle entre les consultants, qui sont diplômés des grandes écoles et qui ont accès aux grands cabinets. Certains sont forcément moins bons que d’autres et ils se retrouvent dans des parcours descendants », dit Marie-Rachel Jacob, professeur-chercheur à l’EM Lyon business school.
Des envies de « conduire son propre business, avec sa clientèle, d'être plus autonome » peuvent aussi justifier « que l’on quitte un grand cabinet pour en rejoindre un plus petit », ajoute Sébastien Stenger, enseignant chercheur à l’Institut supérieur de gestion et auteur de Au cœur des cabinets d'audit et de conseil : de la distinction à la soumission.
- La fidélité aux personnes, pas à la marque
Pour Julien Nathan, qui est passé de Mars & Co à Roland Berger, puis par AlixPartners, Booz & Company et finalement est revenu à Roland Berger, les choix ont été déterminés par l’humain, justifie-t-il. « Je suis peut-être peu fidèle au cabinet, mais davantage aux personnes », explique-t-il. Attaché à des membres de son équipe, le senior consultant a, dans la quasi-totalité des cas, profité du départ d’un confrère pour le suivre vers un autre cabinet.
Les revers du nouveau job permanent
- Absorber les changements d'environnement même en vieillissant
Julien Nathan le reconnaît tout de même, ces changements ont un coût d’acquisition non négligeable. Se réhabituer à un environnement peut déstabiliser « et plus on prend de l’âge, moins c’est évident », rit-il.
- Justifier des choix professionnels changeants
D’autant qu’il faut savoir justifier ses choix de carrière en arrivant dans un cabinet : « Les RH et la direction peuvent vouloir des explications. On explique donc, mais après, il faut faire ses preuves. En arrivant, il y a toujours des a priori, un peu comme si on était étranger au conseil et que l’on venait d’un autre milieu. »
Pas sûr que ces CV à « cabinets multiples » soient mal vus du côté des recruteurs
Pour Marie-Rachel Jacob, pas sûr que ces CV à « cabinets multiples » soient mal vus du côté des recruteurs. « Dans le conseil, ils réfléchissent davantage en fonction de leurs besoins sur le moment. » Du point de vue des recruteurs, le pragmatisme managérial l’emporte à plates coutures sur la fidélité à la marque employeur. À quelques nuances près, dont une de taille : l’âge.
Pour les consultants situés à des grades intermédiaires ou inférieurs, il n'est pas certain qu’il y ait beaucoup de latitude pour des changements à répétition. « Le nouvel employeur pourrait se demander si le départ est lié à la performance, à une mauvaise satisfaction des attentes, par exemple », s’interroge Sébastien Stenger, .
À des grades supérieurs, on considérera a contrario que les consultants ont fait leurs armes. Leur légitimité n’a, a priori, plus à être interrogée. Avec quelques trous dans la raquette. Comme lors de ce récent passage, précoce selon les standards du secteur, d’un grade de principal dans un cabinet A à celui de partner dans un cabinet B. Non concluant aux dires, peut-être malveillants, des collègues du cabinet B.
Audrey Fisné avec Benjamin Polle pour Consultor.fr
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