De Uber à Bird, la folle course d'un ex-Roland Berger

 

Après Singapour ou Madrid, Driss Ibenmansour, l’ancien consultant du cabinet Roland Berger, a posé à nouveau ses valises à Paris l’été dernier, où il dirige la filiale française de Bird, le spécialiste mondial de la micro-mobilité électrique en free-floating qui, avec le déconfinement, vient de relancer ses services.

Portrait d’un jeune homme pressé de 33 ans, devenu, au gré de ses expériences, l’un des meilleurs spécialistes du secteur de la micro-mobilité.

Etienne Thierry-Aymé
22 mai. 2020 à 05:48
De Uber à Bird, la folle course d'un ex-Roland Berger

 

« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. » La maxime du poète René Char rendue célèbre par l’actuel président de la République, Emmanuel Macron, pourrait tout aussi bien s’appliquer à Driss Ibenmansour, l’actuel DG de Bird France, la filiale française du leader mondial des trottinettes en free-floating qu’il a rejointe l’été dernier.

Bird France emploie aujourd’hui 125 salariés, et opère à Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux et Annecy.

Même si, en raison du confinement, ses trottinettes étaient encore à l’arrêt il y a quelques semaines encore, Driss Ibenmansour gardait, le jour où nous l'avons interrogé, son naturel optimisme. Il a des raisons pour cela. « Chez Bird, nous sommes depuis longtemps concentrés sur la rentabilité et la viabilité financière de notre modèle, explique le DG pour la France. Nous avons par ailleurs eu la chance de finaliser une levée de fonds en ce début d’année. »

La chance ? Pas que. « Les mesures préventives de réduction des coûts salariaux, prises notamment aux États-Unis, doivent également nous permettre de tenir sur la durée. » Le DG de Bird France d’envisager déjà l’après covid-19 avec confiance : « Notre secteur va être amené à jouer un rôle essentiel à la sortie de cette crise. »

Le goût pour l’économie

Très tôt, les bonnes fées se penchent sur le berceau de Driss Ibenmansour : naissance à Casablanca au Maroc en 1987, père dirigeant de l’une des plus grosses banques africaines, mère entrepreneure dans la signalétique pour les entreprises… Sœur aînée, de 36 ans, diplômée de l’ESCP. Petit-frère ingénieur de 28 ans en génie civil.

Driss Ibenmansour effectue toute sa scolarité au lycée Lyautey de Casablanca. Son bac ES en poche, en 2005, il opte pour la prépa d’IPESUP à Paris. Il quitte alors le Maroc et le cercle familial pour l’internat du foyer Bossuet, au cœur du Quartier latin.

À IPESUP, Driss se passionne pour la culture générale (matière à la croisée de la philosophie et de la littérature) et l’économie, « deux des matières qui m’ont permis de rentrer à HEC ». Il se souvient aussi y avoir appris à rédiger, « ce qui m’aide encore aujourd’hui ».

Du campus de Jouy, et de ses études à HEC, avec ses promos de 300 personnes, Driss retient surtout « ce sentiment d’appartenance » ainsi que « l’ouverture à l’international », avec les nombreux échanges et stages effectués pendant sa scolarité.

S’ouvrir à autre chose que le M&A

Au cours de sa césure, en 2009-2010, il file à New York comme analyste financier, au département M&A du Crédit Agricole. Puis enchaîne, toujours en fusions-acquisitions, à la banque Rothschild. « Deux super expériences ! » Pas assez en tout cas pour le convaincre que c’est la voie qu’il souhaite suivre. C’est pourquoi il décide d’opter pour un master en strategic management. « Je souhaitais m’ouvrir à autre chose que le M&A. Je commençais à réfléchir au conseil, explique-t-il. Et c’était de loin le master qui préparait le mieux aux entretiens. »

D’esquisser alors, sans aucun regret, cet autre parcours qui aurait pu être le sien : « J’aurais sans doute pu gagner plus en restant en M&A. Mais plutôt que de suivre la tendance du moment, et d’être guidé par le prestige et l’aspect financier, j’ai essayé d’avoir une vision à plus long terme, de savoir ce que j’avais vraiment envie de faire plus tard. »

Recalé chez McKinsey, il est alors reçu chez Roland Berger en septembre 2011. Embauché en tant que junior consultant, il y gravira tous les échelons : consultant en 2013, senior consultant en 2014.

Un cabinet d’envergure mondiale

Roland Berger ? « Un cabinet d’envergure mondiale, qui me donnait accès à beaucoup d’opportunités, analyse-t-il. J’ai eu aussi, lors des entretiens, un très bon contact avec les partners. Et, je me suis dit : “Tiens, je me verrais bien ici !” » Enfin, à l’époque, en 2011, Roland Berger « faisait partie des cabinets qui montaient, qui grappillaient des parts de marché ».

Que retenir finalement de ces presque quatre années passées chez Roland Berger ? « J’ai beaucoup aimé cette expérience. D’abord, pour la diversité des missions proposées : de la stratégie pure, du travail en chambre. Mais aussi des missions plus opérationnelles. J’ai également eu la chance de travailler à l’international, notamment au Maroc ainsi qu’à New York. »

Un travail en cabinet qu'il dit avoir aussi beaucoup aimé pour son atmosphère « très dure, très exigeante, mais à la fois très bon enfant ».

Parmi les missions l’ayant marqué profondément, celle réalisée pour le compte d’une grande banque française aux implantations aux quatre coins du monde. « Pays par pays, il nous a fallu revoir entièrement la base des coûts », se souvient-il.

Puis, enfin, quelques personnalités qui ont marqué son parcours au sein du cabinet, à commencer par Charles-Édouard Bouée, le CEO français parti l’été dernier, « quelqu’un de très aimable, qui a bien porté le cabinet, il a beaucoup participé à son internationalisation, à son ouverture, notamment vers la Chine ».

Il y eut aussi Didier Bréchemier, le partner en charge des transports à Paris, « très calé sur les sujets de mobilité », ou Laurent Benarousse, l’un des partners secteur public à Paris et patron du bureau de Casablanca, qui vient de rentrer au conseil de surveillance du groupe Roland Berger. « Fin connaisseur du Maroc, de son tissu économique, des personnes clés… Il avait construit Roland Berger au Maroc », juge a posteriori Driss Ibenmansour.

Consultant, une expérience qui lui sert encore aujourd’hui

Une expérience qu’il utilise encore aujourd’hui chez Bird France. « Avec l’arrêt de l’activité lié au confinement, nous avons dû passer au crible l’ensemble de nos contrats pour notamment renégocier les termes de paiement, les rendre plus flexibles. »

Et, d’analyser : « L’idée était de trouver les optimisations là où on le pouvait, sans mettre à mal nos fournisseurs, bien sûr. Sachant qu’il y a des coûts plus ou moins faciles à aller chercher. »

L’ex-consultant souligne alors l’apport important de ses anciennes missions dans ces moments-là : « Mon expérience en conseil m’aide aujourd’hui à avoir une approche beaucoup plus analytique, moins dans l’émotion. »

Impose ta chance…

Flash-back en 2015. Le tournant vers la mobilité dans le parcours de Driss. Lorsqu’il quitte Roland Berger, Uber existe en effet déjà depuis un an et demi. Impose ta chance. « J’ai été un de ses premiers utilisateurs à Paris. J’étais tombé amoureux du service. J’avais trouvé le concept révolutionnaire. Je m’étais alors mis à enquêter. Et grâce à un copain centralien, qui avait rejoint l’entreprise, j’ai postulé », se remémore-t-il.

« Ils commençaient à lancer leur marché au Moyen-Orient. C’est comme ça que je les ai rejoints pour d’abord ouvrir le service en Égypte, puis au Maroc pour recruter les premiers chauffeurs et caler le business. »

Toujours chez Uber, il intègre ensuite les équipes de Singapour pour diriger la ligne de business en charge d’incuber les nouveaux produits liés à la mobilité. Finalement, Driss restera chez Uber deux ans et neuf mois, jusqu’à 2017.

L’expérience du free-floating

2017, c’est en effet l’année où fleurissent sur les trottoirs de Singapour des centaines de milliers de vélos en libre-service. Driss est immédiatement conquis par le service : « Je me déplaçais uniquement de cette façon, explique-t-il, et je me suis tout de suite dit que ça pourrait cartonner en Europe. Je me suis alors rapproché du recruteur, un ancien d’Uber. »

Impose ta chance, encore. « C’est dans mon caractère. J’ai toujours été dans une démarche proactive. Quand un produit ou un service me plaît, que j’aime sa mission, je me renseigne. Et, très souvent via mes différents réseaux, j’arrive à trouver la bonne personne pour me connecter à l’entreprise ! » confie celui pour qui « toute nouvelle rencontre est une opportunité ».

L’effondrement d'Ofo

C’est ainsi qu’il s’installe à Madrid, fin 2017- début 2018, en tant que DG des vélos Ofo, la première plateforme mondiale de free-floating. Il développe le service dans plusieurs villes d’Espagne et du Portugal. La croissance est alors fulgurante. La chute le sera tout autant. La maison mère chinoise, plutôt mal gérée, décide moins d’un an plus tard de fermer ces filiales à l’étranger.

« J’ai dû licencier tout le monde, y compris moi-même. Ce qui est évidemment frustrant, et émotionnellement assez difficile. Mais cela m’a donné le goût de la micro-mobilité et du transport durable. »

Ex-consultant, un profil apprécié

La micro-mobilité, et la mobilité, des secteurs dans lesquels on retrouve beaucoup d’anciens consultants – quoique les anciens Roland Berger y sont moins nombreux que les ex-BCG ou McKinsey par exemple. « Uber recrute plutôt dans ces cabinets-là. Chez Bird, par exemple, il y a pas mal de de personnes qui viennent du BCG, parce qu’un des grands patrons venait lui-même du BCG, il a recruté dans ce cabinet, ce qui a généré un appel d’air… » estime-t-il.

Un tropisme d’anciens du conseil dans ce secteur qui s’explique assez naturellement selon le DG de Bird France : « En 2015, quand j’ai rejoint Uber, ce secteur était en hyper croissance sur des métiers très opérationnels. Rien d’étonnant donc à ce que ces entreprises aient alors puisé dans le vivier des cabinets de conseil dans lequel vous trouvez des profils capables de manager des équipes, de travailler dur, intensément, tout en ayant cette forte capacité analytique. Les start-up de la micro-mobilité ont suivi la tendance, en allant recruter chez les anciens d’Uber. » Et de souligner : « Vous ne vous trompez pas trop en recrutant des anciens consultants. C’est d’ailleurs pour ça que ces profils plaisent. »

En septembre 2018, alors que son expérience s’achève à peine chez Ofo, Driss est recruté par Scoot, spécialiste des scooters, trottinettes et vélos électriques en libre-service, où il rebondit, toujours à Madrid. Moins de dix mois plus tard, en juin 2019, l’entreprise Scoot est rachetée par Bird, qui souhaitait se diversifier. « Juste après l’acquisition, Bird cherchait son DG pour la France, le timing était le bon... » À l’été 2019, Driss revenait donc en France presque six ans après l’avoir quittée.

Investisseur et dénicheur de talents

Avec dans ses bagages, une nouvelle corde à son arc, celle d’investisseur. Il a par exemple investi une partie de ses économies dans Monk.ai, la solution d’évaluation de l’état d’un objet avant et après son utilisation (par exemple les voitures de location) grâce à l’intelligence artificielle, ou dans la plateforme de livraison à la demande Tousfacteurs…

« À titre privé, j’investis sur mes économies, de petits montants, dans la mobilité, un secteur que je connais bien. Et, dans lequel je peux apporter de la valeur, de l’expertise aux entrepreneurs que je soutiens, explique-t-il, le business angel, car c’est beaucoup plus simple pour moi d’identifier les bons potentiels dans ce secteur. » Un travail d’accompagnement que Driss Ibenmansour, le business angel, compte bien développer à l’avenir à plus grande échelle, « si mes moyens financiers me le permettent », confie-t-il.

Avec comme intérêt, non dissimulé, de repérer « les nouvelles tendances, et d’aider à faire éclore les meilleures innovations » pour, pourquoi pas, dans un proche avenir, se lancer lui-même. « Dans les cinq ans, j’aimerais bien pouvoir monter ma propre structure dans la mobilité urbaine. Et Paris me semble aujourd’hui l’endroit idéal pour le faire. C’est en ce moment un véritable laboratoire de la micro-mobilité », conclut Driss Ibenmansour, déjà prêt à emprunter un nouveau chemin.

Étienne Thierry-Aymé pour Consultor.fr

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Etienne Thierry-Aymé
22 mai. 2020 à 05:48
tuyau

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commentaires (2)

Bobo bobby
22 mai 2020 à 23:23
Inspirant !

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Nihad kabbaj
22 mai 2020 à 17:02
Excellent article. Très inspirant ! Une fierté pour les marocains, en espérant qu'il mette à profit ses compétences au Maroc, qui souffre d'une absence totale de solutions de micro-mobilité et transport durable...

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