Vins & spiritueux : quels espoirs de rebond ?
Entre baisse de la conso, appel d’air chinois et droits de douane potentiellement doublés aux US, quelles sont les options pour les grandes maisons du secteur – et la valeur ajoutée de ceux qui les conseillent ?

Le 30 avril dernier, l’annonce d’une réduction de 13 % des effectifs de Moët Hennessy a secoué le monde des vins & spiritueux.
De son côté, avant même les déclarations de l’administration Trump – qui compte appliquer des droits de douane de 20 % sur les importations en provenance de l’UE à partir de juillet 2025, contre 10 % actuellement –, le groupe Pernod-Ricard avait vendu, fin avril, une partie de son portefeuille de vins à un consortium d’investisseurs internationaux. Ceci « dans le cadre du cycle de vie naturel d’une entreprise », précise Arthur Crépy, ex-consultant d’EY-Parthenon désormais pilote strat & business development de Martell Mumm Perrier-Jouët, la filiale cognac/champagne de prestige de Pernod-Ricard.
Quant au groupe Rémy Cointreau, en avril également, il a dû mettre au chômage partiel les deux tiers des effectifs charentais de sa marque de cognac Rémy Martin, pour « 3 à 6 mois ».
Ces grandes maisons sont-elles en train de vaciller ? Quel type de missions confient-elles aux cabinets de conseil en strat ?
« Normalisation » ou crise contrastée
En France, la filière des vins & spiritueux représente 150 000 emplois directs, auxquels s’ajoute un écosystème étendu impliquant l’industrie (fabrication de bouteilles), le papier-carton (conditionnement), ou encore le transport.
Selon Clément Berardi, partner chez Kéa Tilt, « les ventes de vins tranquilles, notamment rouges, souffrent depuis plusieurs années dans le monde entier ».
À l’inverse, Camille Drumel, partner Consumer Goods & Retail chez Simon-Kucher, observe qu’en 2024, « les ventes de vins effervescents – hors champagne – ont augmenté de 2 à 3 %, voire de 7 à 9 % pour les Prosecco ».
Le champagne, majoritairement exporté (plus de 50 % des ventes), subit toutefois un coup de frein, avec une baisse en volume « d’environ 9 % en 2024 », note Clément Berardi. Sachant qu’il avait bénéficié « d’excellents fondamentaux volume et valeur à la sortie du Covid », complète Arthur Crépy.
Même scénario, accentué, pour le cognac, exporté à 98 % – dont 38 % aux États-Unis et 25 % en Chine. En 2024, il chute de 20 % en volume sur le marché chinois, freiné par les mesures antidumping temporaires de Pékin à l’encontre des exportateurs européens. « Nous menons un lobbying intensif auprès du gouvernement français et des instances européennes pour débloquer cette situation », indique Arthur Crépy.
Des facteurs tant structurels que conjoncturels, avec « la perte de pouvoir d’achat en Europe et le ralentissement économique en Chine ». Toutefois, en 2024, « la baisse des exportations de l’ensemble de la filière a été de 4 % seulement en valeur », souligne Clément Berardi.
Cela conduit Arthur Crépy comme Camille Drumel à préférer parler de « normalisation, après le pic post-Covid ».
Le temps des remises en cause
Ces tensions obligent les acteurs de la filière à « requestionner leur valeur ajoutée, leur modèle, et à renouer avec les jeunes générations ». Enfin ? Pour Clément Berardi, ils ont sans doute eu tendance à minimiser les signaux d’alerte.
Camille Drumel estime que les grandes maisons se sont « beaucoup reposées sur leur image de marque. On voit le cognac perdre des parts de marché face à la tequila, laquelle est portée par de multiples petites marques très tendance et dynamiques ». Pour se repositionner, la stratégie marketing est décisive.
Entre le développement du NoLo (alcohol) – « Moët a investi dans French Bloom, Pernod-Ricard a une gamme de vins et de boissons sans alcool [Ceder’s, Cinzano Spritz, ndlr] – et l’évolution de la gastronomie vers « davantage de mondialisation et de végétalisation », l’enjeu pour les grandes maisons de vins & spiritueux est de réussir à demeurer « un partenaire de vie, dans une logique globale de plus grande sobriété et de responsabilité », explique Clément Berardi. Pour cela, elles misent également « sur des vins, effervescents, tranquilles ou spiritueux, moins alcoolisés, en adéquation avec les attentes des consommateurs ».
Dans le même esprit, une autre tendance est celle du « sourcé et du bio/organique » venant compléter une gamme « regular » déjà existante, ajoute Camille Drumel.
De son côté, Arthur Crépy insiste sur « la nécessité d’identifier ce qui rassemblera les consommateurs de demain, sachant qu’il faut y penser dès maintenant dans le cadre de produits à temps de vieillissement ».
Une filière qui doit repenser son développement
Amélioration de l’efficacité commerciale, pilotage des transformations et ajustements organisationnels à horizon 6 mois/1 an : voilà le type d'enjeux de court terme, liés à la crise, sur lesquels Kéa Tilt intervient auprès des grandes maisons du secteur. Les missions visant « l’adaptation du capital humain, parce qu’une entreprise repose essentiellement sur ses salariés » sont prégnantes actuellement.
D’autres demandes portent sur « la réinvention du modèle : comment repenser le développement, les innovations, les modalités d’expansion, en visant de nouvelles géographies ? Des dynamiques très fortes existent en Asie du sud-est ainsi qu’aux Émirats arabes unis – avec des taux de croissance à plus de 2 chiffres –, ou encore au Mexique ». Certains marchés matures, l’Espagne ou l’Allemagne notamment, maintiennent par ailleurs un certain dynamisme.
Sur le marché des vins & spiritueux premium, « certains taux de pénétration consommateurs sont encore très faibles, confirme Arthur Crépy. Malgré l’instabilité et la volatilité ambiantes qui dépendent de facteurs exogènes, « il existe des poches de croissance ».
Pour Simon-Kucher, Camille Drumel évoque des sujets « de route-to-market : comment redynamiser les canaux de distribution ? Cela passe par la qualification de l’univers client de l’acteur concerné : est-il sur les bons points de vente et canaux ? » La question est ensuite de savoir s’il se positionne « avec sa propre force de vente, sur quelques points de vente “flagships” qu’il veut gérer de A à Z, ou en déléguant la partie logistique à un distributeur tout en gérant l’activation et la mise en avant sur le POS, ou encore en déléguant à 100 % à un distributeur ou retailer ».
L’efficacité commerciale fait aussi partie des sollicitations adressées à Simon-Kucher. Il s’agit de déterminer si les équipes de vente « sont mobilisées sur des activités à valeur ajoutée pour les clients, ou si elles font surtout de la prise de commandes, ne servant pas assez le discours de valeur que la grande maison souhaite avoir auprès de ses clients ».
Par ailleurs, la tendance est au recentrage du portefeuille de marques sur celles « qui fonctionnent bien et que l’on sait comment vendre ».
Le recours aux consultants revu à la baisse ?
Pour Clément Berardi, « si le niveau d’exigence des clients reste très élevé – parce qu’ils sont sous pression et que l’exigence fait partie de leur ADN –, la dynamique reste bonne. Dans chaque “crise”, il y a des opportunités de repenser les modèles et d’accélérer sur les innovations ».
Camille Drumel parle de son côté de « stabilité des demandes, moyennant l’évolution de leur nature ». Les budgets sont en revanche « plus étalés dans le temps ».
Arthur Crépy se montre, pour sa part, catégorique. Pernod-Ricard, « historiquement consommateur de conseil, notamment pour structurer le groupe et harmoniser les façons de travailler des différentes entités/les interactions entre le siège parisien, les équipes de marque et les marchés, a considérablement réduit l’ensemble de ses activités de conseil, ces derniers temps ». Des cellules stratégiques internes, constituées précédemment « moyennant le recrutement d’anciens consultants à différents niveaux de l’organisation », sont sollicitées.
Selon le directeur strat & business development de Martell Mumm Perrier-Jouët, l’urgence est de construire des modèles de résilience. « Nos grands paquebots doivent s’adapter à des creux d’activités alors qu’ils ont déjà en cave la croissance de demain. Cette résilience concerne tant l’amont – chaîne d’approvisionnement, gestion des stocks, enjeux environnementaux – que l’aval : comment toucher de nouveaux consommateurs, afin de réduire la dépendance à certains marchés. »
Dans ce contexte, quelle est la valeur ajoutée des cabinets ?
De prime abord, l’ADN très marqué des grandes maisons de vins & spiritueux peut apparaître comme un frein à la transformation. Cependant, au fil du temps, ces maisons « ont su se transformer en silence. Elles l’ont parfois oublié », note Clément Berardi. Le rôle des consultants est d’identifier « le gène qui va leur permettre de se réinventer ». Elles passent ainsi « d’une approche anxieuse des nécessaires transformations à une vision d’un avenir désirable ».
Par ailleurs, une expertise « approfondie des différents leviers de “premiumisation” (excellence produit, responsabilité, expérience), et la capacité des équipes à challenger leurs clients à cet égard » constituent des leviers clés, indique Clément Berardi.
Globalement, « pour une maison disposant d’une marque regular et d’une, organique, par exemple, le choix des canaux de distribution, la détermination du prix, les accords commerciaux à conclure autour du concept organique, les plans de vente… doivent être réfléchis, souligne Camille Drumel. Le fait d’être un cabinet proche de l’implémentation, qui dispose d’une expertise éprouvée du go-to-market, fait la différence. »
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